Idées

Comment ne pas croire la Tradition ? Ou de la démesure et de l’orgueil de l’homme

Qu’est-ce qu’une tradition ? Le fait de transmettre. Si l’on s’arrête à cette première définition, la tradition consiste ainsi à transmettre de génération en génération, constituant ainsi par expériences accumulées ce que nous appelons les cultures, ou encore les traditions, de par le monde.

La tradition a ceci de sain en soi qu’elle se fonde sur le sentiment, bon et naturel, de vouloir transmettre à ses enfants le meilleur, et par extension, transmettre à ses disciples, élèves, et partout dans la société ce qui est bon. La tradition a encore ceci de bon que, impliquant la transmission, elle encourage le lien entre les hommes, à la sociabilité, car qui dit tradition dit grande sociabilité, et société intriquée, tant dans la famille, les voisinages, les communautés, les corporations et tous les corps intermédiaires, jusqu’au royaume. De plus, la prise de conscience des lignées, et des pays, amènent naturellement à la conscience de la verticalité vers la transcendance, dans la prise de conscience instinctive de « ce qui nous dépasse » et, en même temps, suscite foncièrement l’essentielle humilité de se rendre toujours plus compte que nous ne sommes qu’un grain de sable insignifiant dans l’ensemble du cosmos, que nous ne sommes qu’un chaînon appartenant au grand tronc de l’humanité. L’humilité, naturellement acquise dans la tradition, éveille ensuite la vocation de la mission – il nous faut transmettre aussi à notre tour -, et suscite la prise de conscience que, dans l’humilité et la chaîne des temps, nous avons un rôle essentiel aussi : sans nos œuvres et notre activité, cette si longue lignée ininterrompue peut se briser. Qui sommes-nous pour décider de détruire ces siècles de travaux, de temps consacré, de vies menées par les ancêtres ? Non, on ne peut pas rester humainement indifférent, et il faut agir. C’est consubstantiel à la tradition. Celle-ci n’est donc pas statique, mais bien dynamique, puisqu’il faut transmettre, et elle suppose à chaque génération de tout reconstruire sur zéro – le zéro étant la nature humaine post-pêché originel, s’entend. Rien n’est définitivement acquis, et c’est un faux sentiment, bien dangereux, de croire que les choses sont acquises : il suffit d’oublier l’esprit pour la lettre, de faillir à transmettre une seule fois, pour que la chaîne se casse, condamnant le maillon manquant à sa perte, mais aussi de nombreux de ses descendants, s’il en a. L’avantage de la tradition, c’est qu’elle se régule aussi : ceux qui ont cette urgence que suscite le devoir de transmettre ont une descendance prolifique, qui réduit le risque de rupture, et autorise quelques brebis galeuses sans que l’édifice ne soit détruit, tout en augmentant tant sociabilité, vigueur et vitalité, et transmission de l’esprit, et en réduisant parallèlement toute pression excessive, qu’une inquiétude exagérée que suscite la crainte de la rupture de la transmission peut imposer au fils unique, sur lequel tout en vient à reposer sur lui, en oubliant ainsi la sérénité tranquille que la Foi donne. La tradition réalise ainsi des miracles à chaque génération, car, de zéro, elle donne l’expérience fondamentale nécessaire aux successeurs, soit la sociabilité, la moralité, la volonté, et donne cette vitalité et vigueur vivantes que seul l’esprit bien transmis procure. Les formes suivent naturellement, et les formes peuvent aussi porter l’esprit, la transmission n’est pas intellectuelle en première approche : elle se fait par l’exemple, le modèle, la pratique, la sociabilité, l’histoire, puis, en dernier lieu, quand l’essentiel est déjà fait, par l’étude potentielle quand des crises la rende nécessaire. La tradition bien faite suscite ainsi de bons fruits et pousse aux œuvres, preuves qu’elle fonctionne. La tradition est aussi bonne en soi, car, comme elle dure, elle ne peut que se tempérer, s’humaniser, et s’approcher de la vérité, elle n’aime ni la violence, ni les guerres ni le désordre, et contribue donc à l’ordre universel.

Néanmoins, me diriez-vous, des traditions semblent mauvaises. Cela est vrai. Il est possible de pêcher par une perte d’esprit, qui  oublie pourquoi on transmet – toujours une perte de vue de Dieu, au fond du fond -, et, sans l’esprit, seules des formes arides, et parfois blessantes, restent. Le pire arrive quand la tradition, à moitié oubliée en esprit, mais toujours là dans les formes, se combine avec une décadence généralisée et des incitations pernicieuses, entraînent une tendance à la rigidité et l’inflexibilité, bien loin de la nécessaire fermeté et intransigeance, car elle oublie tendresse et charité, à cause du fait qu’elle n’est plus sûre d’elle-même. Cette rigidité, parfois violente, peut déclencher, comble du malheur, une réaction des héritiers qui nient tout en bloc, en jetant tout ce qui est bon avec… Les dégâts sont considérables, et c’est notre malédiction occidentale, en particulier du XXème siècle, où les guerres et l’affaiblissement de la vitalité n’ont pas aidé à résister à la révolution, et où la tradition « sclérosée » et « congrue » s’est vu balancée (le bébé avec l’eau du bain) par la génération 68 – qui en ont du moins bénéficiée de la tradition, sans la transmettre à leurs enfants, qui en font les frais, ma génération.

Ce temps est pourtant fini, et la nouvelle génération ne peut que restaurer et reconstruire, vu qu’il ne reste plus grand-chose à casser, et vue que les mauvais fruits de la révolte, de l’orgueil et de la démesure sont flagrants pour tous ceux qui veulent bien voir, et même de plus en plus pour ceux même qui refusent de voir.

Toutes les traditions se valent-elles ? Non, bien sûr que non. Si la tradition, en soi, donne de bonnes choses, car elle encourage le lien, l’humilité, la prise de conscience du divin, l’ordre et la tempérance, tout en faisant profiter de l’expérience accumulée de milliers d’hommes, ce qui ne peut que faciliter le vie sur de nombreux points, il reste que le contenu de la transmission peut-être bon, ou non, ou mélangé. Quand le départ de la transmission est mauvais, simplement, son contenu mauvais sera atténué par la tradition et l’expérience accumulée, mais les racines restent mauvaises, et chaque retour aux fondements est l’occasion de repartir dans le mal : c’est l’exemple de l’Islam ; sa tradition mêle le bon et le mauvais, et il faut savoir qu’il est possible de transmettre fidèlement de mauvaises choses, bien que passer un certain degré de fausseté, ces choses ne peuvent que casser le lien et la chaîne du temps ; c’est pourquoi fondamentalement, une tradition qui vit et subsiste ne peut pas être trop mauvaise, car sinon elle disparaît, ce qui est rassurant pour nous. Mais chaque retour aux fondements, quand ils sont mauvais, est une période terrible de révolution – il suffit de regarder les djihadistes et autres fondamentalistes de l’Islam.

Car, en effet, comment ne pas adhérer pleinement a sa propre tradition, en tout ce qu’elle a de foncièrement bon et évident ? Comment se croire capable, de sa petite stature, du haut de ses quelques dizaines d’années, au mieux, et , pour les jeunes, de quelques années, de rivaliser avec des milliers de vies et de gens qui ont tous vécu des choses si différentes, mais aussi communes, qui ont affronté tant de choses, et sont arrivés tous aux mêmes conclusions ? Comment être assez fou, assez orgueilleux pour ne pas baisser la tête et se soumettre aux maximes universellement transmises ? Et ne pas prendre conscience, dans toute sa liberté, de ce qui nous dépasse ? La tradition, de plus, permet de prendre conscience des erreurs de nos devanciers, par l’exemple, la légende, l’histoire, qui indiquent les héros et les anti-héros, là aussi sur des centaines et centaines de générations. Cela permet aussi de contenir toute envie de démesure, ou de puritanisme : tous, dans nos ancêtres, nous avons des saints, mais aussi des damnés, et le même sang coule dans nos veines. Comment supporter de ne pas imiter les preux anciens et éviter le chemin pris par les vils ? Tout nous est montré, qui serait assez fou pour se croire si fort qu’il dédaigne ce don qui nous est fait de nous préparer le chemin, et nous indiquer les pièges et les embûches à l’avance, comment les éviter, comment les surmonter ?

En dernier lieu, et après cela plus personne ne devrait hésiter un instant de plus. Nous avons la Tradition. En plus de la tradition, cette sagesse de la transmission qui existe partout, et reste foncièrement saine – surtout dans les cultures dites « primitives » qui sont issus des temps plus proches de la Chute, et donc ont transmis plus fidèlement les vérités premières, en gardant les ferments innés de la bonne conscience du divin ; quand les « traditions récentes » qui se fondent certaines sur de grandes erreurs et des hérésies, sont beaucoup plus dangereuses – même si tout n’est jamais ni tout blanc ou ni tout noir, car traditions immémoriales viennent se croiser dans les traditions récentes – en plus de la tradition, disions-nous, nous avons la Tradition. Soit la Révélation par et dans Jésus Christ, foncièrement bonne, et qui s’incarne dans la Tradition de l’Église, élargie et mise en œuvre par la Royauté française dans notre royaume. C’est l’alliance du cercle sain de la transmission, et du contenu saint de la Révélation. Ce qui est transmis est bon, et la tradition fait en sorte de ne pas modifier ce dépôt précieux et sacré, de ne rien perdre, et, quand il le faut (en général du fait des hérésies dont la révolution n’est qu’un avatar, assez virulente certes, en tout cas toujours du fait de crises de la transmission), expliciter ce qui ne l’était pas encore, mais qui était déjà transmis dans la pratique.

Entre essentiel et accessoire, naturel et supranaturel, la Tradition universelle donne le trésor de Dieu dans son entier de génération en génération, et, à travers son lieutenant de Dieu sur Terre en France, le met en pratique dans les œuvres et les bons fruits, dans la fusion des traditions immémoriales, culturelles, humaines et terrestres, qui constituent ce que l’on appelle vulgairement notre culture ou notre identité nationale – qui, si accessoires, sont nécessaires et importantes aux hommes qui sont union de la chair et de l’âme -, à la Transmission, soit la redécouverte à chaque génération de la vérité de l’Amour de Dieu pour ses créatures.

N’hésitons plus une seconde et recevons tout de la Tradition. Que nous soyons appelés à l’humilité et à la conversion ! Et à la mission d’homme, de sujet, de français, dans la saine soumission à la Tradition, soumission active et libre qui fait naître une énergie démentielle pour faire découvrir à notre tour ce trésor de beauté à nos descendants, et à nos contemporains. Et en tant que catholiques, n’hésitons pas à être fondamentalistes, car ici le fondement est le Christ, la source de toute vie, de toute vérité et de toute morale ! La Charité par excellence, dont ne saurait jamais suffisamment abuser !

Si le Pape est dépositaire de la Tradition universelle, le Roi est héritier et dépositaire de nos traditions, et protecteur et ouvrier de la Tradition universelle dans ce monde fugace, pour honorer nos ancêtres, et donner des grâces toujours augmentées, espérons-le, à nos descendants.

Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France

Paul de Beaulias.

 

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