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Tâches nobles et tâches serviles, par Paul-Raymond du Lac

Je suis censé avoir grandi à la campagne, et pourtant je n’ai ai pas été tellement moins déraciné que celui qui vit à la ville : je veux dire que , toutes les routes étant goudronnées, il était hors de question de parcourir la campagne librement, du fait du danger des voitures, et le seul contact avec la nature était un jardin vraiment grand, mais guère plus.

Je n’ai évidemment jamais eu l’occasion de véritablement participer aux « travaux » de la campagne, que ce soit le soin des bêtes, ou bien des cultures diverses. Encore moins la manipulation de tous les outils et machines agricoles.

Pourquoi parler de cela ? Car l’autre jour, à 32 ans, en visite chez une amie qui a une bonne campagne, visite qui est l’occasion d’aider à s’occuper du domaine, je me suis amusé comme un fou à passer la tondeuse-tracteur, première fois que je faisais cela, lors d’une fin d’après-midi vermillon sous un soleil printanier doux comme il faut, au milieu d’une nature riante.

Je réalise à la fin de ma tâche accomplie que nous sommes un dimanche après-midi.

Et je me souviens de l’interdiction coutumière de procéder à des tâches serviles le dimanche. Il est tellement rare que j’ai l’occasion de m’occuper de travaux agricoles que ma vigilance sur ce point des commandements de l’Église était pour le moins émoussée.

Pour la première fois je comprends la logique prudente et sage de ce commandement, et de la réalité de la distinction entre les tâches serviles et nobles.

Les tâches serviles sont celles qui servent avant tout le corps, ou la part temporelle de notre être, et remplissent avant tout des fins secondaires, quoique nécessaires, pour la survie de notre corps, ou l’entretien de nos facultés naturelles plus ou moins basses.

Les tâches serviles ne se limitent évidemment pas aux tâches physiques et agricoles, mais aussi aux tâches mécaniques telles que les formalités administratives, la gestion des comptes et tout ce qui a trait en général à la logistique et à l’entretien d’une « affaire » quelconque, et toutes ces tâches qui remplissent trop souvent le quotidien ennuyeux du salarié lambda, ou du citoyen d’une République boulimique de procédures et d’obligations diverses, souvent tyranniques.

Toutes ces tâches serviles, entendues dans leur sens le plus large, ne mobilisent que certaines facultés plus ou moins basses de notre être : que ce soit notre corps, ou des « réflexes » mentaux ou psychologiques ne demandant que peu ou pas de volonté ni d’intelligence. En ce sens, une fois accomplie, elles donnent une grand satisfaction, puisqu’il est « facile » « d’achever » une telle tâche complétement, à la différence des tâches intellectuelles, ou de la méditation sur Dieu, qui ne sont jamais véritablement parfaites, puisque son objet nous dépasse, quand il s’agit de Dieu.

Telle ma joie de gamin d’avoir coupé de l’herbe, chose utile, certes, mais surtout divertissante et satisfaisante, même quand elles sont fatigantes et pesantes : ce qui est en soi bien, mais aussi, en un certain sens, dangereux quand le soin de ces tâches serviles dépasse la nécessité. On pourrait tomber dans un certain « activisme » de ces tâches, car terminées une à une elles divertissent et donnent une petite satisfaction à chaque fois, et, selon, on peut toujours les raffiner à l’infinie : voyez la « maniaquerie » d’un célibataire qui s’ennuie jusqu’à ranger son appartement au millimètre près – j’exagère, mais c’est pour donner une image.

Le moine fait vœu de pauvreté pour ne pas dépendre outre mesure de la nécessité de posséder des biens de cette terre, qui impliquent leur lot de tâches serviles – et même dans le cas hypothétique où l’on aurait des domestiques, qui sont aussi à « gérer » : les relations mondaines de conversation et d’échanges peuvent tout autant, en ce sens, être comptées dans les tâches serviles, parfois nécessaires, souvent divertissantes, même quand elles sont pesantes. Dans tous les cas ces « soucis » occupent, et viennent polluer le détachement de l’âme et la contemplation des choses du bon Dieu.

Les chartreux observent le silence en partie pour cette raison.

Il devient ainsi tout à fait logique que l’Eglise interdise les tâches serviles, hors nécessité, le dimanche, afin de laisser l’âme respirer et se porter volontairement vers Dieu : c’est le moment de méditer, prier, participer plus assidument aux sacrements et aux offices.

D’où aussi la hiérarchie véritable entre tâches serviles et tâches nobles, ces tâches qui appellent ou tournent l’âme vers la contemplation de Dieu : d’où le fait qu’un chef qui cherche le bien commun, bien supérieur, s’adonne à une œuvre noble, d’où le fait que le savant qui cherche la vérité se rapproche de Dieu, et que le consacré à Dieu, se dédiant le plus à Dieu dans son état de vie lui-même, s’occupe des tâches les plus nobles.

Nous sommes un composé d’âme et de corps, donc nous avons besoin aussi des tâches serviles, des nécessités : la question, comme dans tout, est de ne pas s’y perdre, et ne pas oublier que seul Dieu et notre fin surnaturelle comptent là-dedans.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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