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Le prêt à usure surnaturel : ou la christianisation de la loi naturelle, par Paul-Raymond du Lac

« Celui qui donne au pauvre, prête à usure au Seigneur ; et le Seigneur récompensera sa bonne œuvre, en lui rendant cent pour un » (Prov, XIX, 17)

La religion chrétienne est bien la religion vraie révélée par le vrai Dieu. Jésus-Christ accomplit la loi, mais il ne vient pas l’abolir, et tous les germes de l’homme nouveau du Nouveau Testament se trouvent dans l’Ancien Testament. La citation plus haut en est une illustration.

La vérité contenue dans ce proverbe est à la fois profonde et parlante si on veut bien la lire avec les yeux des gentils ou des cœurs durs de l’Ancienne Loi : dans le monde déchu sans le Christ, la loi naturelle, peu ou prou respecté en général, fait place à une justice pointilleuse, humaine et très dure, formaliste au possible. Le dû doit être rendu à chacun ; et la loi du talion est déjà un progrès immense de l’Ancien Testament par rapport à la vendetta incontrôlée…

Qui a étudié les lois en terre gentille dans les grandes civilisations sait bien par exemple que le « prêt » doit être remboursé coûte que coûte, le tribut payé, le service donné forcément rendu, sans tergiversation.

Le pauvre est ainsi à la merci du riche, car ne pouvant jamais rendre, soit on ne lui prêtera jamais même si cela est vital, soit il deviendra peu à peu le dépendant puis l’esclave de son prêteur.

Certaines tribus primitives d’Amérique du nord connaissaient la mise en esclavage quand un affamé venait demandait de la nourriture : une vie contre une vie, le pauvre demandant nourriture doit la vie au riche, il lui donne donc sous forme de lien de dépendance…1

Le Japon aussi a admis à partir du XIIIe siècle la possibilité de se réduire en esclavage ou de réduire en esclavage sa femme et ses enfants en cas de famine ; et ce fut une loi d’exception prise par « charité » ; mieux valait-il devenir esclave que mourir.

Car chez les gentils on ne « donne » jamais au sens de don gratuit, sans exigence de contre-don : il y a toujours une exigence parallèle équivalente, qu’elle soit visible ou plus dissimulé. Le sujet est bien connu depuis les études pionnière de Mauss, et les exemples glanés par Levi-Strauss dans Tristes tropiques.

Rien de gratuit sur cette terre… C’est une question de justice.

Que fait la religion chrétienne ? Nous pourrions croire qu’à première vue elle est une révolution, puisqu’en introduisant la charité véritablement libérale, sans attente de retour, que celui-ci soit absolu (pure charité) ou d’un retour non-équivalent (on attend en retour beaucoup moins que ce qu’on a donné). Dans le monde temporel elle est une révolution, dans un certain sens, car enfin les riches donnent aux pauvres sans attendre en retour qu’ils leur soient dévoués par la force ou non. Donner de la nourriture à un affamé, habiller celui qui est nu, loger celui qui est sans toit, devient un devoir moral, comme l’intime Notre Seigneur dans l’évangile : mais ce devoir évangélique de perfection n’est pas contraint par la loi et dépend de la liberté de chaque âme de l’exercer ou nom (la charité contrainte s’appelle le socialisme!).


Car l’ancienne justice ne disparaît pas avec le christianisme : elle est sublimée sur le plan surnaturel. Là où auparavant la dette pesait sur celui à qui on octroyait un bien, elle pèse dorénavant, par décret divin, sur Dieu lui-même, qui se fait comme le garant surnaturel de tous ceux qui ne peuvent pas payer leur dette, et qui convertit la dette temporelle de bien faible valeur en une dette surnaturelle de sa propre vie de grâce, d’une vie infinie !

« Celui qui donne au pauvre, prête à usure au Seigneur »

Fini ainsi la dureté païenne, mais la justice n’est pas flouée, elle est déplacée et c’est à notre liberté qu’elle s’adresse : exiger le dû est justice, mais abdiquer de ce dû dans l’ordre temporel est hautement chrétien, pour le convertir en monnaie surnaturelle, si on peut dire.

La modernité a voulu croire que la libéralité chrétienne du don sans retour était absolue, comme si elle abolissait la justice, en oubliant que s’il n’y avait pas de retour temporel et visible, le retour n’avait disparu, mais qu’il était devenu surnaturel, et fondé sur la liberté humaine, seule à pouvoir poser de telles actes de charité.

La modernité oubliant cette justice surnaturelle en vient à nier la justice temporelle et ne veut plus rendre son dû à chacun, tant dans les châtiments – les méchants ne sont plus punis – que dans les récompenses – les bons ne sont plus récompensés : pire, elle pervertit la charité chrétienne en la rendant d’abord obligatoire (socialisme d’état de redistribution forcée) et purement temporelle.

Le catholique moderne (ou moderniste?) a trop tendance, influencé par ce monde révolutionnaire, de croire que la charité peut être exercée sans justice, alors que sans justice la possibilité même de la charité et de la miséricorde n’existe plus. La miséricorde n’est belle que justement parce qu’elle est une abdication volontaire d’une justice légitime : comment remettre une dette si on nie l’existence de toute dette ?

Jésus nous montre exemple, et son lieutenant de Dieu sur terre, exerçant la justice de façon ferme et miséricordieuse l’illustre dans la politique : et nous en bénéficions à chaque fois que nous allons au tribunal de la pénitence, dont la seule peine est la remise de peine, et le don des grâces divines.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

1Voir les travaux de Testard sur l’esclavagisme.

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