CivilisationSocieté

Le piège du tutoiement révolutionnaire, par Paul-Raymond du Lac

Nos colonnes ont déjà parlé à plusieurs reprises du problème de la politesse et de la disparition déplorable du voussoiement, ici et . Le problème, sinon épineux, est du moins douloureux, car il devient aujourd’hui compliqué de ne pas froisser les gens en les voussoyant : en particulier quand ils croient bon, pour manifester une certaine familiarité ou amitié, voire une camaraderie, de vous demander de vous tutoyer. Il n’est pas facile de refuser, et parfois imprudent de le faire…

Nous encouragerons dans cet article avant tout le voussoiement en famille : dernier bastion peut-être du véritable voussoiement qui expose le respect profond et l’amitié véritable. En famille, personne pour s’opposer au voussoiement, il ne s’agit que d’une volonté des parents : il est donc facile à mettre en place ce voussoiement, ce n’est qu’une question de volonté.

Ce n’est évidemment pas une passion pour le “rétro” qui me pousse à défendre le voussoiement des parents par leurs enfants, mais bien des principes traditionnels essentiels pour aider à la restauration de la famille : le voussoiement aide immensément à restaurer l’autorité paternelle et la piété filiale.

Nous nous contenterons de retranscrire les arguments, vraiment éternels, de Mgr Gaume qui, déjà à son époque, prévoyait les dégâts du tutoiement et les attaques contre le voussoiement, dont la Révolution dite française s’était déjà faite le fer de lance :

« Prêché par la réforme, développé par la philosophie, chanté par la poésie anti-chrétienne, passé dans les mœurs, inscrit dans les lois, l’affaiblissement du pouvoir paternel n’a pas tardé à produire la diminution de la piété filiale. Les précieux usages que nous avons signalés, et qui attestaient dans les familles anciennes cette crainte révérencielle de la part des enfants, ont presque entièrement disparu. Au respect religieux pour les parents a succédé une familiarité indécente. Il est un mot qui résume, à lui seul, cet abaissement, et, si nous osons le dire, ce découronnement sacrilège de l’autorité paternelle. Ce mot, qui n’existe dans notre langue moderne que parce qu’il exprime un sentiment moderne, c’est le mot tu employé par les enfants à l’égard des auteurs de leurs jours. Le tutoiement, langage de la familiarité, convenable entre les égaux, devient indécent, et trahit la violation d’un rapport sacré, lorsqu’il va de l’inférieur au supérieur, de l’enfant au père. Il sent la farouche égalité de 93, dont il est la conséquence, comme elle-même fut la traduction des enseignements philosophiques et protestants.

Partout ailleurs le bon sens chrétien a fait prompte justice de cette innovation dangereuse; elle n’a survécu que dans la famille. Là cependant elle aurait dû cesser d’abord : il est facile d’en comprendre la raison. D’un côté, l’enfant, toujours en contact avec son père et sa mère, tend à se familiariser avec eux, à oublier la distance qui les sépare; d’un autre côté, la tendresse des parents les abaisse chaque jour, en mille circonstances de détail, au niveau de l’enfant. On conçoit dès lors combien il est nécessaire pour celui-ci d’être rappelé au respect envers les auteurs de ses jours. Il faut qu’il trouve dans sa vie habituelle des usages, dans son langage même des formules qui lui redisent à chaque instant cette vertu fondamentale de la société domestique. Grâce cependant à l’abus que nous déplorons, l’enfant n’a qu’une formule appellative pour parler à son père, à sa mère, à son domestique, à son cheval ou à son chien : tous sont à la même personne. » (Mgr Gaume, Histoire des sociétés domestiques, ESR, 2023 (1854), p. 455)

Tout est là ! La famille est par définition le lieu de la charité par excellence, et de la familiarité la plus forte : il est facile de tomber dans la mauvaise proximité faisant des parents non pas des chefs mais des amis, et des enfants leurs égaux… Comme le dit Mgr Gaume, puisque la famille est ce lieu naturel voulu par Dieu, le voussoiement est d’autant plus nécessaire afin de bien rappeler la hiérarchie divine mise dans la famille.

Vous préférez tutoyer ? Alors, voici ce qui se passe… Si on ne savait pas que l’auteur écrivait en 1854, on penserait qu’il ne fait que constater les maladies de l’enfant-roi et de la déchéance de l’éducation que tout un chacun observe aujourd’hui comme une banalité courante…

« Si nous pénétrons au foyer domestique, nous trouverons que ce langage révolutionnaire est la fidèle expression des mœurs. Admirateurs de leurs enfants, esclaves de leurs caprices, la plupart des parents poussent leur aveugle tendresse jusqu’à l’idolâtrie. Que le petit dieu manifeste un désir, si peu réfléchi, si peu raisonnable qu’il soit, on accourt, on s’empresse, on s’efforce de le satisfaire ; le plus souvent on cherche à le deviner, et pour le satisfaire rien n’est épargné. Parents insensés ! prenez-y garde ; ces caprices aveugles, cet esprit de domination que vous flattez avec tant de complaisance, feront un jour votre supplice. À cette première faute vous en ajoutez une seconde. Vous excitez dans vos enfants des goûts qui ne sont pas de leur âge. Pour jouets, vous leur donnez des objets de luxe ; pour amusements, des spectacles et des bals ! des spectacles d’enfants ! des bals d’enfants ! Que leur donnerez-vous lorsqu’ils seront sortis de l’enfance ? »

La famille est la première et fondamentale église (ecclesia), un petit sanctuaire, un petit couvent, naturel et voulu par Dieu. Comme dans n’importe quel couvent de femmes, le prêtre vient bien de l’extérieur, aumônier, confesseur : mais il n’est jamais, en général, le chef de la communauté. Le couvent à son supérieur, sa hiérarchie et son fonctionnement. Elles sont vraiment des sœurs, avec une mère, et le Père au ciel, de même que l’Époux, Jésus-Christ : on n’imaginerait pourtant mal qu’elles se tutoient… C’est la même chose, au fond, dans la famille !

La restauration n’est si difficile en pratique : il s’agit de volonté, et elle commence sur nous et nos familles. Alors, à nous de jouer ?

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.