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L’affectation érudite  du traducteur – tendance à l’exotisme, par Paul -Raymond du Lac

 

Tout traducteur le sait, et aussi plus ou moins tout universitaire qui travaille avec des langues soit mortes et antiques soit éloignées : il existe une tendance à  l’originalité qui voudrait croire que certains concepts sont intraduisibles, ou forcément mal traduits.

 

Il y a  une part de vrai, bien sûr, en ce sens que pour la nuance certains mots ne vont pas avoir un équivalent exact dans la langue cible, et donc le traducteur devra jouer avec la-dite langue cible pour retranscrire le sens principal, ou faire passer l’idée générale quitte à changer la syntaxe et la grammaire de la source (oui, je suis cibliste, vous l’aurez compris). Chaque langue a son génie certainement, mais il est aussi certain, il faut le dire, que toutes les langues ne sont pas égales et certaines sont bien plus pauvres que d’autres.

 

Cela dit il ne faudrait pas croire que « l’intraduisible » existe. Car étant tous des hommes, avec la même nature humaine, nous pouvons concevoir a priori tous les mêmes choses, comme créature de Dieu doué de raison et de volonté : les différences linguistiques ne sont que contingentes, conséquences de la punition divine à Babel :  il ne faudrait pas croire,  par une sorte de revanche de l’orgueil humain et de son amour propre, que cette variété linguistique, qui  est une punition, serait une richesse ! Elle est avant tout un obstacle que nous connaissons bien à  la communication et à la paix entre les hommes.

 

Croire que la variété linguistique pourrait avoir en soi une valeur absolue est une idée dangereuse : si certains concepts ne pourraient pas être traduisibles, cela signifierait qu’il y aurait des humanités différentes en nature, et donc que l’on serait comme d’une autre espèce les uns  aux autres, avec certaines races ou peuples incapables de comprendre certaines réalités philosophiques ou divines ! Une sorte de racisme  linguistique en bref.

 

Non, et la mission chrétienne le prouve : l’évangile et la Bible, la Foi et les sacrements, se communiquent partout et dans tous les temps au-delà justement de la barrière des langues ; mieux, les apôtres recevant le saint esprit se font comprendre en simultané de tous, comme si Dieu dans l’acte des apôtres avait voulu bien signifier que rien n’est insurmontable dans la différence des langues.

Prenons encore une raison plus prosaïque et très évidente quand on y réfléchit : le fait qu’il existe de vrais polyglottes prouvent bien qu’une même personne peut atteindre une maîtrise parfaite et érudite de plusieurs langues, justement car nous sommes tous les mêmes hommes !

 

Une certaine pédanterie érudite, cherchant un peu l’originalité et flattant, parfois très subtilement, l’amour propre, veut toujours soit changer les traductions classiques pour le plaisir de se compliquer la vie et d’avoir l’impression de faire quelque chose, et in fine d’obtenir un résultat rien que d’abscon, soit de vouloir faire croire qu’on (les autres traducteurs) n’avait rien compris avant cette « nouvelle » traduction car une partie  du sens de tel concept est ignoré dans la traduction : cela peut, parfois et à la marge, être vrai, mais en général c’est très faux. Le but n’est pas de fournir une traduction exact dans la forme, mais une traduction juste qui transmet avec exactitude les concepts de départ, et les idées, dont les mots ne sont que le véhicule. Tout l’art du bon traducteur est justement de parvenir à faire passer ces idées, ce qui supposent une très bonne compréhension de la  pensée (plus que des mots) de l’auteur, et une bonne maîtrise de la langue cible pour exprimer cette pensée une fois bien comprise. Ici, telle ou telle langue sera plus pénible, car par exemple, une langue sans académie française fixant les définitions, la grammaire et la syntaxe sera bien plus variable et imprécise, et donc il faudra plus d’expériences pour saisir le concept ou l’idée dans une expression lexicale et grammaticale mouvante où l’idée et le concept sont mal attachés au mot, et parfois avec une imprécision supplémentaire à niveau que la grammaire se simplifie, sans compter le problème du  public qui n’a pas forcément le même niveau de compréhension, même quand il est cultivé, pour ces langues sans référent comme ce que nous avons avec l’académie française.

 

Ne tombons ainsi pas dans la pédanterie érudite de la recherche infinie de la nouvelle interprétation (n’est-ce pas un protestantisme académique que cette « libre-interprétation » ?) ou de l’originalité en traduisant inutilement des concepts classiques par d’autres mots, sous prétexte qu’ils portent à confusion. Restons simples, sachons que la langue est aussi une pratique qui doit prendre en compte ceux qui « parlent » : à trop charger la forme, on gêne la transmission du message et plus personne ne suit – et souvent d’aillleurs il n’y a plus rien à suivre, car pour des pinailleries de second ordre on perd l’idée principale en route !

 

Un exemple. Prenons une phrase de saint Thomas d’Aquin : « Parvus error in principio magnus est in fine ». Nous trouvons dans un ouvrage par ailleurs intéressant la traduction suivante : « Une petite erreur dans le principe (du raisonnement) est grand au terme (du raisonnement) ». Les parenthèses sont des  ajouts du traducteur, et on ne comprend pas très bien en français ce que cela veut dire. En voyant le latin, on comprend tout de suite, et on se demande pourquoi  le traducteur, qui pourtant prône la clarté et la compréhension dans la traduction ne traduit simplement par « Une petite erreur dans le principe devient grande dans ses conséquences ». C’est certainement moins exact formellement, mais bien exact conceptuellementet facile à comprendre, et très parlant tant sur le plan inetellectuel que pratique !

 

Ne faisons pas trop compliqué, car cela nous aménerait trop vite à tomber dans un orgueil du savoir très subtil…

 

Peut-être que tout traducteur ou chercheur utilisant des langues devrait, pour faire preuve d’humilité, se souvenir que ce travail est servile, et que tel un Tiro, qui écrivait pour Cicéron, ou d’autres hommes, c’étaient les esclaves qui  se chargaient de ce genre de besogne.

 

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac

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