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La Troisième République et le colonialisme. Réflexion d’après Bainville

 

Citons la petite histoire de France de Bainville sur le sujet :

« Comme l’Empire de Napoléon III était tombé, il fallait choisir pour la France un nouveau gouvernement. Serait-ce la monarchie avec Henri V ou la République ?

À l’Assemblée nationale de 1871, les monarchistes étaient les plus nombreux. Mais ils ne surent pas se mettre d’accord, et les républicains l’emportèrent. Pourtant la République ne fut votée qu’à une voix de majorité.

Le premier président fut le maréchal de Mac-Mahon, celui qui avait dit à Sébastopol : « J’y suis, j’y reste. » Depuis, il y a eu huit autres présidents, élus pour sept ans, mais qui ne sont pas tous allés jusqu’au bout de leur mandat. L’un d’eux, Sadi-Carnot, le petit-fils du grand Carnot de la Révolution, fut assassiné par un anarchiste. Et le plus célèbre de tous fut Raymond Poincaré, qui a été président pendant la Grande Guerre.

Je ne vous raconterai pas l’histoire de la troisième République, car j’aurais à vous citer trop de changements de ministres et de ministères. Pendant ces batailles de la Chambre des députés, des

Français hardis agrandissaient les colonies de la France. Le Tonkin fut conquis sur les Pavillons-Noirs. La Tunisie fut ajoutée à l’Algérie. Ensuite ce fut le Maroc, où le maréchal Lyautey a laissé un aussi grand nom que jadis Dupleix dans l’Inde. Toute l’Afrique du Nord est devenue française quatre-vingts ans après que Charles X avait pris Alger.

Au cœur de l’Afrique, d’autres Français allaient porter notre drapeau.

Le commandant Marchand, accompagné d’un lieutenant qui devait être un grand général et rendre illustre le nom de Mangin, traversa audacieusement tout le continent noir, et, parti de l’océan Atlantique, arriva en Égypte. Là, sur le Nil, à Fachoda, il rencontra les Anglais, et l’on crut un moment que les anciennes guerres coloniales avec l’Angleterre allaient renaître. Mais cette vieille querelle était finie, et l’on s’aperçut que la France et l’Angleterre avaient plus de raisons de s’entendre que de se battre.

Les colonies n’ont pas été inutiles à la France. Car elle y a trouvé de bons et fidèles soldats, cette armée noire qui nous aide à tenir tête à un ennemi plus nombreux.

Car il y avait maintenant à côté de nous une grande Allemagne qui, non contente d’avoir annexé l’Alsace et la Lorraine, était jalouse que la France fût riche et qu’elle eût un sol fertile qui donne en abondance du pain blanc et du bon vin. Bien que la France évitât de provoquer les Allemands, ils ne cessaient de rendre leur armée plus forte, de fabriquer plus de fusils et plus de canons, et l’on sentait qu’ils n’attendaient qu’une occasion de nous envahir encore.

Comme ils étaient 60 millions contre 40 millions de Français, il nous fallait des alliés pour pouvoir nous défendre. C’est ainsi que se forma l’alliance franco-russe. Le danger allemand devenait si menaçant pour tout le monde, que le tsar de Russie n’hésita pas à s’unir à la République française. Ensuite, l’Angleterre elle-même, inquiète de la grande flotte que l’Allemagne s’était donnée, se rapprocha de nous, et ce fut l’entente cordiale entre Anglais et Français qui oublièrent les luttes d’autrefois.

Pendant les dix années qui précédèrent 1914, les Allemands ne cessèrent pas de nous chercher des querelles et de nous adresser des provocations. L’empereur Guillaume II disait tout haut qu’il tenait « son épée aiguisée et sa poudre sèche ». L’armée allemande devenait de plus en plus nombreuse. Pourtant il y avait beaucoup de gens, en France et ailleurs, qui ne voulaient pas croire que la guerre fût possible. Les Allemands se chargèrent de les détromper. »

L’enchaînement fatal qui conduisit aux guerres du vingtième siècle se mettait en place : l’Assemblée était au départ monarchiste, mais devint rapidement républicaine et franc-maçonne, pour le plus grand malheur de la France. Bainville ne s’appesantit pas sur crimes bien connus à son époque de cette troisième république : instabilité récurrente, persécutions anticatholiques (avec la séparation de l’Église et de l’État en 1905, l’expulsion des ordres religieux et la spoliation des biens de l’Église, sans compter l’affaire des fiches et la persécution des officiers catholiques dans l’armée), diplomatie catastrophique, très mauvaise préparation de la guerre…

Le colonialisme au mauvais sens du terme fut entrepris par Jules Ferry et ses confrères républicains, qui voulaient « civiliser » le monde entier. Ils y servirent et y propagèrent l’universalisme laïciste et révolutionnaire — oubliant que seule la foi catholique est véritablement universelle —, mais certainement pas la « civilisation occidentale » et encore moins la « civilisation française ». Ce colonialisme est le reflet de l’égoïsme national d’alors, qui se veut « plus fort » que les autres grandes puissances… Les monarchistes et les conservateurs en général étaient au départ tout à fait contre cette aventure coloniale. Autrefois, toute guerre devait avoir un motif juste, et toute conquête une raison juste : il ne pouvait pas être question de conquérir pour conquérir, et d’imposer son joug pour imposer son joug, comme le faisaient les anciens empires païens (se fondant sur le principe de la raison du plus fort).

Disons pour nos lecteurs que la colonisation française fut diverse et polymorphe : les protectorats du Maroc et de l’Annam, conservant l’intégrité des spécificités de ces royaumes, ne peut être comparé avec l’intégration au territoire français de l’Algérie ou avec le découpage géométrique de l’Afrique.

Notons encore que la colonisation française fut très différente de la colonisation anglaise : les Anglais n’ont jamais rien eu à faire des indigènes, qu’ils exterminèrent souvent (Amérique du Nord, Afrique du Sud, Australie) ou ignorèrent royalement ailleurs, les utilisant simplement pour faire du profit. Si les Français ne se mélangèrent pas aussi facilement que les Ibériques (regardez les sangs-mêlés de l’Amérique centrale et de l’Amérique du sud !), ils se sacrifièrent généreusement pour améliorer le sort des populations locales. Ce fut le cas en particulier des nombreux missionnaires et colons catholiques — malgré le pouvoir républicain et souvent contre celui-ci, qui se méfiait d’eux et leur mettait des bâtons dans les roues —, qui continuèrent l’œuvre de la France millénaire en apportant le Christ de part le monde.

Pourquoi le colonialisme moderne était-il voué à sa propre perte ? Il était « impérialiste » : les républicains et autres modernes se croyaient supérieurs et voulaient imposer leur civilisation. Certes, cet aspect fut atténué par l’œuvre des missionnaires dans de nombreuses contrées, en particulier en Afrique noire et au Vietnam, pourtant, le refus de l’État républicain de vouloir porter la parole du Christ et de soutenir l’Église a rendu la colonisation à terme insoutenable : il est vrai que la France a apporté ponts, infrastructures et médecine moderne partout dans ses colonies, mais dans quel but ? À quoi bon apporter le progrès matériel si on n’apporte pas le salut des âmes ? À quoi bon avoir des ponts et des écoles si c’est au prix de l’oubli de sa culture ?

Les missionnaires et nombre de bons Français — à l’image du très légitimiste maréchal Lyautey — respectaient les cultures locales dans tout ce qu’elles avaient de bon, les langues et les coutumes — comme les ibériques dans les Amériques —, mais les révolutionnaires capitalistes, puis marxistes, firent l’œuvre du diable en y apportant la tyrannie, les divisions et la domination.

La colonisation française ne peut se comprendre que par la compréhension de ce double aspect : en fonction des pays et des régions, la part républicaine fut hégémonique (comme en Algérie), ailleurs non (comme au Maroc, en Indochine ou en Afrique noire).

Il est certain que de nombreux « colonisés » surent bon gré à la France d’avoir fait cesser les guerres tribales et l’esclavagisme local, il est aussi démontré que les colonies, contre le lieu commun, furent un trou financier pour la France et contribua fortement à son déclin ultérieur : bref, tout cela fut un grand gâchis, qui est paradoxalement utilisé aujourd’hui  par tous les néo-révolutionnaires et les néo-colonialistes pour attaquer la France, pourtant victime du même mal qu’est l’esprit révolutionnaire !

Paul de Lacvivier

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