Histoire

Pourquoi le 27-Juillet pourrait être fête nationale ?

Bataille Bouvines

De tous nos rois, Philippe Auguste est celui qui agrandit le plus le domaine de la couronne, multipliant, durant son règne, la surface de celui-ci par cinq. En 1180, le territoire sur lequel le monarque capétien exerçait une pleine autorité d’État s’étendait seulement, du nord au sud, de Laon à Bourges et, d’est en ouest, de Sens à Orléans. En 1223, il comprenait toutes les régions du nord jusqu’à Lille, à l’ouest la Normandie, l’Anjou et le Poitou, au sud l’Auvergne. Seules les régions de l’est, Champagne et Bourgogne, demeuraient inchangées.

Les opiniâtres conquêtes du septième Capétien direct trouvèrent leur point d’orgue et l’apogée de son règne le 27 juillet 1214. Car il y eut un avant et un après Bouvines. Sur le plan militaire comme sur le plan politique et, surtout, historique.

Sur le plan militaire, si la bataille ne fut pas la première bataille rangée de l’Histoire, elle fut, depuis la chute de Rome, la première bataille organisée en bataille rangée. Avec une disposition en lignes et en colonnes, assortie d’une préparation tactique relativement élaborée, distinguant les ailes du centre, fixant à chacun une mission relativement précise et, surtout, une déclinaison de manœuvres à effectuer en cas d’échec des premiers mouvements.

Elle fut aussi la première bataille où, malgré le rôle demeuré central de la chevalerie, des combattants complémentaires, notamment des arbalétriers, à pied et à cheval, tinrent une place essentielle. Philippe Auguste, redoutant en effet la supériorité numérique de la vaste coalition européenne formée contre lui, avait fait appel aux communes du royaume, et non pas seulement aux villes, pour fournir des hommes en grand nombre. Afin de leur prouver qu’ils n’étaient pas ce qu’on appellerait plus tard « de la chair à canon », le roi prit deux décisions révolutionnaires : les chevaliers protégeraient «les gens de pied» afin que ceux-ci pussent au mieux ajuster leurs tirs de carreaux sans se faire embrocher ; et il leur octroyait le droit de porter, eux aussi, l’oriflamme de Saint-Denis, jusqu’ici réservé aux combattants nobles, ce drapeau rouge uni, qui – on l’oublie souvent, comme Lamartine en 1848 – fut le premier drapeau français.

Le chiffrage des forces en présence reste sujet à controverses. Selon les études les plus récentes, il semblerait que Philippe-Auguste ait aligné 1200 chevaliers et entre 4500 et 5000 piétons, contre 1500 chevaliers dans le camp du chef de la coalition adversaire, l’empereur germanique Othon IV.

Bouvines fut enfin la première bataille, depuis celle d’Hastings, dont le sort se décida en quelques heures, comme les futures batailles modernes, contrastant avec les longues, et toujours à reprendre, chevauchées caractéristiques des conflits armés de l’époque.

La victoire combinant plusieurs types de combattants resterait un modèle d’école jusqu’en 1453 et la bataille de Castillon, première du genre à être remportée par l’artillerie et mettant ainsi fin au Moyen âge, en même temps qu’à la guerre de Cent ans. 

Sur le plan politique, la victoire de Bouvines a considérablement renforcé la position du roi de France, à la fois contre les grands féodaux du royaume, toujours prêts à contester l’autorité royale, que contre les puissances extérieures qui voyaient d’un mauvais œil l’expansion du royaume de France et s’étaient alliés afin d’en partager les dépouilles. C’est après Bouvines qu’on commença, de l’autre côté du Rhin, à appeler la France « la grande nation » et à ne plus remettre en cause son existence sauf, bien sûr, lorsque cette remise en cause émanait du royaume lui-même…

L’embryon d’État que Philippe-Auguste s’efforçait de mettre en place dans le sillon de l’œuvre initiée par son grand-père, Louis VI le Gros (roi de 1108 à 1137) et poursuivie par son père, Louis VII (roi de 1137 à 1180), sortit considérablement renforcé de Bouvines. On sut d’abord faire retentir la victoire non comme un succès momentané dans une suite d’escarmouches à répétitions ou comme un tournois de seigneurs appelant une prochaine demande de revanche mais comme une avancée considérable et non susceptible de recul dans la fortification du royaume. Ce que le politologue Marcel Prélot appellerait, au XXe siècle, « l’institutionnalisation du pouvoir ». Déjà confiant dans l’avenir de la monarchie capétienne, Philippe II n’avait pas fait sacrer son fils, le futur Louis VIII,  par avance selon l’usage créé par Hugues Capet.

La victoire de Bouvines donna lieu, à Paris et dans toutes le villes et villages du royaume, à plusieurs journées de liesse qui ne célébraient pas seulement un succès militaire mais surtout le triomphe de ce qu’on pourrait qualifier d’« idéologie royale ». La communication politique prenait naissance avec les chroniques officielles, spécialement celles de Guillaume le Breton, consacrant dans sa Philippide une place centrale à « l’année de Bouvines ». Le roi apparut pour la première fois en contact direct avec ses sujets, même les plus modestes, sans médiation seigneuriale. Le combat commun avait forgé entre eux un lien qui surpassait la relation féodo-vassalique. « N’était-ce pas, comme l’a écrit Gérard Siver, dans sa biographie de Philippe-Auguste (Paris, Perrin 2003), une situation idéale vers laquelle devaient tendre la souveraineté renaissante et les germes de l’État nouveau ?» Même s’il faudrait encore plusieurs siècles pour parvenir au bout du chemin, on peut estimer que Bouvines posa une pièce essentielle dans la lente édification du rouage.

C’est pourquoi, sur le plan historique, Bouvines s’est inscrit en repère de la construction de la France. Jusqu’à la Révolution, on citait cette victoire comme l’un des actes fondateurs du royaume. Les historiens républicains eux-mêmes ne la renièrent pas, Jules Michelet puis Ernest Lavisse mettant l’accent sur le commencement de la fin de la féodalité, qui passait désormais « au deuxième rang », et sur la modernité de Philippe II, dont ils auraient presque fait un précurseur de la république en abolissant les classes sociales. On en fit aussi un des symboles de l’indépendance de la France. Le 27 juillet 1914, on commémora Bouvines à grand déploiement de drapeau tricolore et de Marseillaise vibrante. Une souscription fut lancée en vue d’édifier un monument. La guerre bloqua le projet. Cinq ans plus tard, la France n’édifierait plus que des monuments aux morts.

Daniel de Montplaisir


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