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Ex-libris. « Mémoires de Ponce Pilate », par Anne Bernet

Anne Bernet, Mémoires de Ponce Pilate, 1998.

Ce roman digne de la plus grande érudition historique mise au service du plus grand talent littéraire porte bien la patte de notre chère Anne Bernet.

Cette dernière nous plonge ici au plus près de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ via le seul personnage historique que nous citons tous les dimanches dans le Credo : Ponce Pilate. De tous les protagonistes qui ont participé à crucifier le Christ, aucun autre n’est cité : ni l’abominable traître Judas, rongé par l’avarice et la jalousie, ni les grands prêtres Caïphe et Anne, prêts à tout pour maintenir leur hégémonie religieuse, ni Hérode, le fils luxurieux et lascif de son homonyme de père, l’infanticide en chef, ni encore aucun apôtre, tous fuyards (hors Jean) à commencer par Pierre, le triple renégat…

Nous connaissons tous les efforts de Ponce Pilate pour sauver la vie de Notre-Seigneur. Il était convaincu de son innocence et dépité devant la haine des juifs contre ce roi de charité, mais nous connaissons aussi son dépit et son entêtement à refuser la Vérité incarnée, qu’il questionna longuement dans les coulisses du procès. Nous connaissons surtout sa phrase terrible : « Je m’en lave les mains. » Il peut se laver les mains, son péché n’en est pas lavé pour autant car, dépositaire de l’autorité que lui a donné l’empereur — et Dieu à travers l’empereur —, il avait le devoir et la responsabilité de faire régner la justice. Seul Dieu pardonne, personne ne se pardonne lui-même efficacement.

Anne Bernet nous fait donc visiter un monde ancien à travers les replis imaginés — et souvent plausibles — de la psychologie du chef de guerre romain devenu gouverneur de la pire contrée de l’empire, la Judée.

Venons-en à la critique, que nous bornerons à quatre points.

Saluons tout d’abord le cadre historique et la solide connaissance non seulement des civilisations romaines et juives, mais aussi gauloises. Saluons notamment l’hypothèse hardie mais très bien placée de ce légionnaire gaulois, ancienne connaissance de Pilate, devenu le centurion du « Non sum dignus est » : ce personnage fait le liant avec la Gaule, ce qui permet à Anne Bernet de souligner à quel point la religion et la dévotion des Gaulois étaient loin de celles des Romains, devenus à cette époque des athées en puissance, des blasés du surnaturel, des hommes froids de cœur, face à des Gaulois plus primitifs, dont la religion possédait, selon les connaissances que nous avons, des points d’accroche providentiels avec la religion du Christ.

Saluons dans un second temps l’audacieuse supputation faite par l’auteur au moment ultime pour Ponce Pilate, lorsqu’il cède à la pression des juifs et accepte de laisser le Christ aller à la mort. Anne Bernet nous dévoile sa reconstitution personnelle du combat psychologique de Ponce Pilate. Il se voit d’abord massacré par l’empereur que l’on a convaincu de sa traîtrise. Il ne bronche pas. Un gouverneur romain de sa trempe, qui a vu la mort en face des dizaines de fois, ne saurait s’émouvoir de sa propre mort, une donnée évidente. Puis, il imagine sa femme et ses enfants traînés et massacrés, avec viol en prime… Là, il craque, et livre l’Agneau. Cette supposition nous semble tout à fait édifiante et en tout cas plausible. Tirons-en un enseignement : pour aimer le Christ comme il nous a aimés, il ne suffit pas d’être prêt à se sacrifier, il faut aussi être prêt à sacrifier tout ce qui nous est le plus cher, y compris notre famille. Au fond, les moines et les prêtres ne font rien d’autre quand ils entrent en religion. Jésus lui-même l’a fait, car il savait que son sacrifice suprême ferait souffrir sa Mère chérie et ses chers amis, et qu’il signait là l’arrêt de mort du peuple juif, qu’il aimait pourtant infiniment. Il n’a pas reculé.

Le roman, bien que nous l’ayons beaucoup apprécié, possède quelques limites. Nous ferons part de deux réserves à son sujet, l’une de nature psychologique, l’autre de nature théologique. Le Ponce Pilate décrit nous semble bien trop « gentil », avec trop « d’états d’âme ». Nous avons du mal à imaginer qu’un gouverneur romain, ancien soldat ayant massacré des centaines de personnes, ayant vu toutes les horreurs des campagnes et de la cour, pourrait encore avoir une once de cœur ou de naïveté. Or le récit d’Anne Bernet dépeint Ponce Pilate comme un être en recherche de la vérité, écœuré par les intrigues politiques, etc. Personnellement, nous n’y croyons pas, mais cela n’enlève rien à la qualité du roman, qui, en donnant cette touche de féminité au gros bourrin que devait être Ponce Pilate, embellit certainement la réalité… Pourquoi pas, après tout.

En revanche nous ne pouvons adhérer à l’hypothèse théologique censée justifier la tradition orientale selon laquelle Ponce Pilate se serait converti après la Crucifixion. Cela se résume dans les mots de conclusion, sous le discours de Ponce Pilate :

« Oui, en vérité, je T’ai abandonné. Parce qu’il fallait que je T’abandonne. Parce que Ta force avait besoin de ma faiblesse. Seigneur, si je T’avais sauvé, nous restions perdus… »

L’idée, c’est que Ponce Pilate était comme « prédestiné » à condamner Notre Seigneur, et que cela était nécessaire pour le Salut de toute l’humanité. Nous ne pouvons que décrier avec force cette hypothèse qui cède quelque peu aux interprétations modernistes. Ponce Pilate s’est peut-être converti suite au procès de Notre Seigneur, mais cela nous importe peu. Quoi qu’il en soit, il est certain que sa faute fut immense et qu’il n’aurait jamais dû condamner le Christ, comme Judas n’aurait jamais dû trahir le Christ. Que le bon Dieu ait en fin de compte utilisé ces maux pour un plus grand bien, cela ne fait aucun doute, mais tout aurait pu (et dû) se passer sans ces maux : aucun péché n’est jamais nécessaire, il est toujours issu de la faiblesse humaine et de sa malice.

Nous n’avons pas besoin d’excuser la faute de Pilate, qui est particulièrement inexcusable : il était extérieur aux affaires juives, il connaissait l’innocence de Notre Seigneur, il ne le haïssait pas et il avait les moyens de le sauver, tant par son autorité, que par son pouvoir (toutes les troupes romaines en Judée), et pourtant il l’a condamné de la pire des façons : en se défaussant, en faisant semblant de ne pas décider par lui-même[1].

Tout cela ne signifie pas que Ponce Pilate n’a pas pu se convertir avant la fin de sa vie, mais si son sort n’est pas aussi certain que celui d’un Judas, du moins le passif est lourd, et l’on ne peut tenter d’expliquer son salut en rejetant la faute sur Dieu, qui aurait été assez cruel pour forcer Pilate à pécher pour réaliser le salut du reste du monde. Non, non et encore non !

Cette réserve fondamentale faite, nous pouvons recommander sans inquiétude ce bel ouvrage.

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


[1] En cela, Ponce Pilate préfigure la Modernité, qui fait mine de supprimer l’autorité pour mieux supprimer les responsabilités. Mais ce n’est là qu’un tour de passe-passe, car l’autorité, aussi niée et dissoute soit-elle, existe toujours !

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