Histoire

Les Royaumes méconnus (7) Népal : une royale tragédie

Jamais depuis le massacre des Romanov en juillet 1918 et celui de la famille royale d’Irak en juillet 1958, une famille royale n’avait connu un tel carnage. Dans la soirée du 1er juin 2001, le roi Birendra[1], la reine Aishwarya[2] et la quasi-totalité de la famille royale du Népal furent abattus au palais royal de Narayanhiti, à Katmandou, lors d’un repas familial. Le prince héritier Dipendra[3], gravement blessé, fut transporté à l’hôpital où il resta dans le coma pendant trois jours avant de décéder à son tour. C’est le frère cadet du défunt roi, Gyanendra[4], absent lors du drame, qui accéda au trône.

La vérité sur cette tragédie n’est toujours pas connue. Les autorités népalaises prétendirent que c’était le jeune prince héritier, âgé de 29 ans, qui avait assassiné sa famille, à la suite d’un désaccord avec le souverain au sujet de son éventuel mariage. On affirma même que Dipendra était sous l’emprise de l’alcool et de la drogue lorsqu’il aurait fait irruption dans la salle à manger, armé d’un fusil automatique. Après avoir abattu ses parents, ses sœurs et d’autres membres de sa famille, il aurait retourné son arme contre lui.

La population du royaume, dans sa majorité, n’a jamais cru à la version du gouvernement népalais. Des rumeurs coururent selon lesquelles Gyanendra aurait été l’organisateur d’un complot visant à éliminer le roi Birendra, dont il ne partageait pas les vues libérales. Son absence lors de la terrible soirée contribua à accréditer cette thèse au sein du peuple. Le prince Paras, fils de Gyanendra était présent, lui. Il fut l’un des rares rescapés de la tragédie. Ce fait renforça encore les soupçons visant le nouveau roi. De telles accusations contribuèrent à l’impopularité du roi Gyanendra, qui, avant son accession au trône, était connu pour ses opinions conservatrices, opposées à la monarchie parlementaire rétablie par le roi Birendra en 1990.

La tragédie du 1er juin 2001 resurgit de temps à autre dans l’actualité du pays. En juillet 2008 un journal népalais publia le témoignage d’un sous-officier, présent le soir du drame, qui affirmait que le prince héritier Dipendra fut assassiné en premier. Il aurait été trouvé dans sa chambre, gisant avec deux balles dans la tête, du côté gauche, alors qu’il était droitier. L’arme du soi-disant suicide, un fusil d’assaut, aurait été retrouvée loin du cadavre. Toujours selon le témoin, des hommes en uniforme d’officier dont l’un portait un masque de Dipendra, firent irruption dans la salle, au moment du repas, et tirèrent sur les convives. Le sous-officier affirmait en outre avoir, avec d’autres soldats, transporté le roi, blessé, à l’hôpital, où Birendra aurait ensuite été déclaré mort. Le journal qui publia ce témoignage indiquait que le témoin avait été arrêté le lendemain de la tragédie et qu’il était encore emprisonné en 2008. Si ce témoignage était véridique, il innocenterait le prince héritier et pourrait renforcer la thèse d’un complot dans lequel l’armée était impliquée. Aucune reconstitution n’a été diligentée, et les cadavres n’ont pas été autopsiés : ils furent brûlés, selon les rites hindouistes, dès le lendemain du massacre.

Les difficultés du nouveau roi s’accentuèrent lorsqu’il décréta l’état d’urgence en 2005 afin d’exercer lui-même le pouvoir. Le gouvernement s’était en effet révélé incapable de mettre un terme à l’insurrection maoïste qui gagnait chaque jour davantage du terrain. Mais en 2006 Gyanendra fut contraint par la rue de rétablir le Parlement dans ses droits, après une longue grève générale en faveur de la démocratie. Ayant été contraint de nommer le chef de l’opposition premier ministre, le roi vit ses pouvoirs et prérogatives de plus en plus réduits par le Parlement. En 2007, une résolution fut votée par 270 voix contre 3, appelant à faire du Népal un Etat fédéral, démocratique et républicain. Le 10 avril 2008 fut élue une assemblée constituante comprenant un tiers de députés issu de l’ancienne guérilla maoïste. Lors de sa séance inaugurale, tenue le 28 mai suivant, la monarchie fut abolie et un président de la « République Démocratique Fédérale du Népal » élu. Le palais royal ayant été nationalisé pour devenir un musée, le roi Gyanendra dut se résoudre à le quitter. Il vit depuis dans une ancienne résidence royale située à l’extérieur de la capitale.

C’est ainsi que disparut le dernier royaume hindouiste de la planète.

La nouvelle république est loin d’être une réussite. L’assemblée constituante dut s’auto-dissoudre en 2012 sans être parvenue à rédiger une nouvelle constitution, faute d’accord entre ses membres. Les élections de novembre 2013 virent le reflux des maoïstes et la victoire des partis traditionnels.

L’établissement de cette république ne fut pas une conséquence du massacre de la famille royale, même si ce dernier évènement le facilita. Le processus qui devait mener à l’abolition de la monarchie avait en fait débuté en 1996 lorsque le Parti Communiste du Népal (maoïste) lança une guérilla meurtrière dans les campagnes. Cette guerre civile fit près de 20 000 morts et causa le déplacement de 150 000 Népalais des zones rurales. Elle ne s’acheva qu’en 2006, lorsque des accords de paix furent signés. Ce sont ces accords qui permirent l’entrée des anciens rebelles à l’assemblée constituante et au gouvernement. Le but initial des maoïstes était l’établissement d’une république populaire. Le compromis historique qui fut conclu avec les partis politiques traditionnels les firent renoncer à ce but, tout en demeurant intransigeants sur la question de l’abolition de la monarchie.  

Les organisations de droit de l’Homme, tant nationales qu’internationales, ont souvent dénoncé la terreur que les maoïstes népalais faisaient régner dans les zones qu’ils contrôlaient. Leurs pratiques n’étaient pas sans rappeler celles des Khmers Rouges, eux aussi d’inspiration maoïste : embrigadement, massacres et enrôlement d’enfants soldats. Si, au début du conflit, ils reçurent le soutien de nombre de paysans sans terre ou de déshérités, le retour de la paix a mis en lumière la réelle nature de ces communistes fanatiques et a sans doute conduit à leur défaite électorale de 2013. 

Le souverain déchu multiplie les visites en province, en particulier les plus déshéritées. Il participe à des cérémonies religieuses à travers tout le pays. Il s’est aussi prononcé pour la liberté religieuse et a même rendu hommage aux établissements catholiques, dans le domaine de l’éducation. Il s’abstient cependant de parler politique. Tous ces petits gestes lui ont fait regagner un peu de popularité, tandis que les politiciens au pouvoir en perdaient, à force de disputes politiciennes et de scandales. La nostalgie de la monarchie, garante d’un ordre séculaire et des traditions, semble très vivace. La défaite des adversaires les plus acharnés de la monarchie (les maoïstes) aux élections de 2013 pourrait donc ouvrir à terme la voie à une restauration du Royaume du Népal.

Les Népalais n’ont pas oublié que c’est le roi  Prithvi Narayan[5], de la dynastie des Shah, qui unifia le pays en 1768. L’histoire du Népal en tant que nation est donc indissociable de l’histoire de cette dynastie et de l’institution monarchique. Le roi Birendra avait succédé à son père le roi Mahendra[6] en 1972. Il était le onzième souverain issu de cette famille Shah qui régna sur le pays himalayen depuis son unification. C’était un souverain aimé et respecté qui avait le bien-être de son peuple à cœur. En 1975, il instaura la gratuité de l’éducation primaire dans tout le royaume. Le peuple n’a pas oublié que c’est aussi lui qui réintroduisit la démocratie parlementaire dans le pays, en 1990. Son assassinat ainsi que celui de sa famille, toujours non élucidés, demeurent un traumatisme pour la majorité des trente millions de Népalais.

Hervé Cheuzeville

 Emblème du royaume de Népal de 1962 à 2006


drapeau royal de 1992 à 2006

[1] Né le 28 décembre 1945, roi du Népal du 31 Janvier 1972  à sa mort, le 1er juin 2001.

[2] Née le 7 Novembre 1949.

[3] Né le 27 juin 1971.

[4] Né le 7 juillet 1947, roi du Népal de 2001 à 2008.

[5] Prithvi Narayan Shah, né en 1723, devint roi de Ghorka en 1743, puis roi du Népal unifié en 1768. Il mourut en 1775.

[6] Né en 1920, roi du Népal de 1955 à sa mort en 1972.

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