Histoire

Les exemples du Bienheureux Noël Pinot pour le 230e anniversaire de son martyre. Lettre mensuelle aux membres et amis de la Confrérie Royale

Bien chers amis,

Nous voici déjà au deuxième dimanche de la Sainte Quarantaine. Tempus fugit, dit l’adage. Le temps passe, et nous file entre les doigts. Nos résolutions du Carême sont-elles toujours tenues ? Changent-t-elles notre vie ? Nous rapprochent-elles toujours plus de Dieu dans cette relation que nous devons développer avec Lui ?

Certains disent que la vie est une préparation à mourir. Dans un sens oui, mais cette pensée mortifère n’est pas très réjouissante ! Si nous partons dans cette optique, notre vie ne sera qu’un — long — enchaînement de choses à faire ou à ne pas faire. Où est donc l’amour, la charité ?

Certes, cette période du Carême est marquée par la pénitence et l’ascèse, mais nous ne sommes pas appelés à faire la grimace. Que Notre Seigneur ne puisse pas nous traiter d’hypocrites ! Avant de faire des pénitences exemplaires — et surtout de les tenir : cela ne sert à rien de prendre comme résolution de jeûner au pain et à l’eau devant les autres tous les jours de Carême pour se goinfrer de biscuits dans le secret ! — voyons comment nous pouvons couronner nos efforts par la charité.

Laissez-moi vous conter l’histoire du Curé de Louroux-Beconnais. Les parents de familles nombreuses le savent bien, l’arrivée, bien que très réjouissante, d’un petit nouveau n’est pas toujours simple à organiser matériellement. Pourtant René et Claude Pinot accueillirent avec joie la naissance de Noël, le 19 décembre 1747. Dernier de seize enfants, Noël fut baptisé le lendemain. Son enfance est obscure mais nous savons que les vertus chrétiennes dont il faisait preuve, ainsi que sa piété exemplaire le désignèrent comme une âme d’élite de la paroisse Saint-Martin [1]. Le fils ainé de cette pieuse famille, René, fut ordonné prêtre en 1753. Ce fut lui qui enseigna les premiers rudiments de latin à son plus jeune frère. Noël fit ses études au collège qui devint par la suite l’actuel hôtel de ville d’Angers. Entré au séminaire dès ses 18 ans, il fut ordonné prêtre en 1770, dès qu’il eut atteint l’âge canonique alors même que ses études n’étaient pas terminées. Il fut donc obligé de se rasseoir sur les bancs de l’école pour terminer sa Philosophie.

Nommé par son évêque aumônier des Incurables d’Angers [2], notre jeune prêtre faisait, par ses œuvres, l’édification à la fois des fidèles et du clergé. Ce dernier, touché du zèle du jeune prêtre pour les âmes, mais également admiratif de sa science ecclésiastique, lui présageait une grande destinée. Notre Bienheureux se retrouve donc dans un premier ministère ingrat aux yeux du monde, un ministère auprès des mourants. Il n’y aucun honneur, rien de quoi se glorifier dans un tel apostolat. Pourtant n’est-ce pas un des plus beaux ministères aux yeux de Dieu ? Prier pour les agonisants et leur apporter un petit réconfort matériel, parfois seulement un sourire, n’est-ce pas plus méritoire que de siéger en une chaire de Théologie dans une Grande École parisienne ? La charité passe par les actes quotidiens et avant de monter plus haut ou d’avancer dans ce Carême 2024, il nous est toujours bon de nous rappeler que les actes de miséricorde sont les plus prompts à exciter la Miséricorde de Dieu.

Arrivant sur ses quarante ans, l’abbé Pinot fut présenté à Monseigneur de Vivier, évêque d’Angers, afin qu’il reprenne la cure de Louroux-Béconnais. La décision fut rapidement prise et, est-ce par un pressentiment mystérieux, le nouveau curé pris possession de sa cure le 14 septembre 1788 en la fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix[3]. Pendant deux ans, l’abbé Pinot fit de cette paroisse, la plus grande en superficie du diocèse d’Angers, un havre de catholicité. Les pauvres y affluaient pour y recevoir les secours de l’âme et du corps tandis que le Curé, vivant frugalement, utilisait les revenus de la cure pour venir en aide aux indigents. 

La Terreur n’avait pas encore trop troublé les pays de l’Ouest mais ses signes avant-coureurs étaient de plus en plus visibles. La Constitution Civile du Clergé, décrétée le 12 juillet 1790 et sanctionnée, à contrecœur et après six semaines de lutte, par Louis XVI le 24 août, sonnait le glas de l’Église catholique en France. Les évêques seraient désormais élus[4], la Primauté du siège de Pierre n’était plus reconnue[5], les ordres religieux sont supprimés.

L’évêque d’Angers, les curés et vicaires et tous les prêtres de la ville, reçurent le 31 décembre 1790 ordre de prêter le serment après la grand-messe paroissiale. L’évêque, et son clergé à sa suite, refusant ce serment, furent déposés dès le 5 février 1791[6].

Permettez-nous une rapide parenthèse sur un point que soulève le refus de l’évêque et de son clergé à se séparer du Saint Père. Le Pape, le roc sur lequel l’Église est fondée, le Serviteur des Serviteurs de Dieu et son Office, semblent être malmenés depuis quelques temps. Cette crise, au lieu de nous mettre en colère ou bien de nous désespérer, bien que ce soient des réactions normales et humaines, peut nous permettre de réfléchir à l’épineuse question de l’ultramontanisme. Les Papes, l’Église en a vu de toutes les couleurs : des saints, des médiocres, des combattants mais également des mauvais. Pourtant ils furent tous couronnés du Souverain Pontificat et ceci même si leur règne fut catastrophique. Le Pape n’est pas un gourou, un prophète ou un super homme. Il est un homme, prêtre, évêque, pécheur, qui fut élu par un Conclave pour régir, un temps, la barque de Pierre qu’est l’Église ; mais parfois le capitaine du navire n’est pas un bon marin ! Nous entendons aujourd’hui des appellations : « antipape », « imposteur », « élection invalide »… etc. Le seul problème avec ces phrases est que le Pape, dès qu’il est accepté comme tel par tous les cardinaux, ce qui est le cas, est le Pape. Si des cardinaux avaient annoncé une fausse élection, il en serait autrement, mais ce n’est pas le cas. L’Église, notre Mère, peut souffrir d’un mauvais Pape. Eh bien, souffrons avec elle et faisons des actes de pénitence, de charité pour le Pape, son successeur et toute l’Église. Est-ce que notre Bienheureux aurait prêté serment sous un mauvais Pape ? Non, jamais, car il était catholique. Notre amour et attachement nous lient à l’Église et au Ministère pétrinien, et non pas forcément à la personne qui tient cet Office. Notre pire ennemi peut devenir notre chef hiérarchique, pourtant il peut faire du bon travail ; à l’inverse pour notre meilleur ami. Ne soyons pas trop prompts à juger à notre niveau, mais faisons ce qui est en notre pouvoir : prions, jeûnons et redoublons de sacrifices pour notre Sainte Mère l’Église.

Les regards des fidèles de la paroisse de Louroux-Béconnais se tournaient vers leur curé. Que ferait-il ? La date pour qu’il prête serment fut fixée au dimanche 20 février 1791. Après la grand-messe, le curé ayant déposé ses ornements à la sacristie, refusa de prêter serment. Le maire lui fit dire qu’il était considéré comme démissionnaire et ne pouvait plus exercer de juridiction sur sa paroisse. Le curé répondit que la loi, pas plus que le maire, ne pouvaient lui retirer des pouvoirs qu’il tenait de Dieu et de l’Église, qu’il restait curé légitime de la paroisse, unique dépositaire de l’autorité pastorale, et que s’il ne pouvait rien contre la force, il ne soumettrait jamais sa conscience à des lois injustes et nulles devant Dieu. La semaine qui suivit se passa sans troubles, tout le monde attendait le dimanche suivant.

Le dimanche 27 février, après la grand-messe dite par le curé Pinot, ce dernier monta en chaire. Voici le compte rendu du procès-verbal réalisé à cette occasion (fautes de français comprises !) :

« Le dimanche 27 février, le sieur Pinot étant monté en chaire avant le dernier évangile commença par annoncer au peuple que sans doute il allait être surpris de l’entendre parler sur les matières qu’il allait traiter, qu’il savait bien à quoi il s’exposait, mais que ni les tourments ni les échafauds n’étaient capables de l’arrêter ; qu’il le devait à sa conscience, au public qu’il devait instruire, et que le Dieu qu’il venait de recevoir lui commandait impérieusement de détourner le troupeau qui lui était confié des sentiers de l’erreur où il allait se précipiter. Tant que les lois que l’Assemblée nationale a faites, a-t-il dit, n’ont parlé que sur le temporel, j’ai été le premier à m’y soumettre ; c’est en raison de cela que j’ai fait une déclaration pour la contribution patriotique, que j’ai payé les impôts dont on m’a chargé. Mais aujourd’hui qu’elle veut mettre la main à l’encensoir, qu’elle attaque ouvertement les principes reconnus depuis tant de siècles par l’Église catholique, apostolique et romaine, mon silence serait un crime, je dois vous avertir, tout me commande de vous instruire. Vous voulez savoir ce qui m’empêche de prêter le serment ? C’est que je ne le puis en conscience, c’est qu’il contrarie la religion. Aussi tous les évêques de France n’ont-ils pas voulu s’y soumettre ; l’assemblée a détaché la France de notre chef visible qui est le Pape, de sorte qu’il portera le nom de chef des fidèles et n’aura aucune communication avec eux. Vous voyez que cela est évidemment contraire à notre religion. Dès votre plus tendre enfance, vous avez appris que l’Église frappait d’anathème le prêt à usure : aujourd’hui, un décret de l’Assemblée nationale l’autorise. Nous avons toujours considéré les vœux comme ce qu’il y a de plus sacré, et quiconque les eût ci-devant violés eût été traité d’impie et d’apostat ; cependant l’Assemblée nationale a jugé à propos de les dissoudre ; elle a dit : « Sortez, religieux et religieuses !» et les couvents où habitaient le recueillement et la sainteté se sont ouverts. Pour vous convaincre que nous ne pouvons prêter le serment sans manquer à notre religion et sans nous rendre indignes de notre saint ministère, c’est que moi qui vous parle, après avoir étudié tous les livres saints, après avoir consulté les gens les plus pieux et les plus attachés à notre religion, je verrais mon supplice préparé que je m’y refuserais car, ainsi que firent les premiers fidèles en se refusant aux lois injustes des rois du paganisme ; c’est ainsi que nous devons faire. Croyez que si plus des deux tiers du clergé de France, et notamment celui des grandes villes où il est plus instruit qu’ailleurs, s’est refusé au serment, ce n’est pas le regret qu’il a pour les choses d’ici-bas, mais la crainte qu’il a de perdre son âme. Rien ne m’empêchera d’être votre curé, et quand on m’arracherait de force, je le serais néanmoins ».

Le curé fut coupé par le maire, mais put sortir de l’église et regagner son presbytère. Le vendredi 4 mars, la Garde Nationale venait l’arrêter. Placé en détention à Angers, son sort de prisonnier fut amélioré par rapport au commun bandit par crainte des représailles de la population. Vint la comparaison devant le Tribunal du Directoire. Les juges, troublés, manquèrent d’absoudre l’abbé Pinot et le condamnèrent seulement à passer deux ans éloigné de sa paroisse. Au lieu d’être relâché, notre Bienheureux fut transféré de prison. Jugé à nouveau, le premier jugement fut confirmé et Noël Pinot pu reprendre un apostolat loin de sa paroisse, mais secrètement. Pourtant son zèle pour les âmes faisait du bruit. Il était traqué jour et nuit par les autorités du Directoire afin qu’il cesse ses activités. Après deux ans, pendant que les guerres de Vendée donnaient du fil à retordre aux armées, le curé Pinot put rentrer dans sa paroisse, en juin 1793, où il fut accueilli en triomphe. Ce rayon de soleil fut de courte durée. À peine dix jours après son retour, il fut obligé de recommencer son apostolat secret, pendant huit mois, mais cette fois-ci, dans sa paroisse.

Le 9 février 1794, l’abbé Pinot, reconnu par un ouvrier charpentier qu’il avait jadis assisté de ses aumônes, fut arrêté alors qu’il allait monter à l’Autel, et emmené à Angers. Jugé le 21 février, en ornements sacerdotaux, le Bienheureux est condamné à mort, le jugement devant être exécuté dans les vingt-quatre heures, c’est-à-dire dans la foulée. Noël Pinot fut conduit à l’échafaud en ornements tandis que ses juges l’accompagnaient afin de voir son sang couler. En montant les marches, le saint prêtre commença le Psaume 42 : Introibo ad altare Dei, les premiers mots de la Sainte Messe.

C’était le 21 février 1794. Ainsi mourut à l’âge de quarante-huit ans, le ciel dans les yeux, la joie sur les lèvres et Dieu dans le cœur, l’abbé Noël Pinot, curé du Louroux-Béconnais, modèle des prêtres de son temps et de tous les temps, dont l’Église, en lui donnant l’onction sacerdotale, avait fait un vrai ministre de Jésus-Christ, et dont l’impiété révolutionnaire fit un confesseur de la foi, puis un martyr.

Cet amour de l’Église, cet attachement viscéral à la romanité, qui est constitutif de l’Église catholique romaine, peut nous amener à endosser la pourpre, non pas cardinalice mais la pourpre du sang. Mourir pour l’Église, c’est mourir pour le Christ. Nous ne sommes pas tous appelés au martyre mais nous sommes tous appelés à la fidélité. Cette fidélité, dans les petites comme dans les grandes choses, est ce qui fera de nous des saints. Au début de ce Carême, nous voici avec un exemple, certes héroïque, mais palpable de sainteté par la fidélité.

Méditons l’exemple de charité du Bienheureux Noël Pinot. Ses actes de charité et de pénitence furent couronnés par cette couronne impérissable du martyre. Puissions-nous au moins l’imiter dans sa charité envers notre prochain !

Fervent et saint Carême à tous,

+ G.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.