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Jean-Jacques Rousseau, grand-père de la Révolution. Contribution au symposium international de Tokyo sur la Révolution (13-14 juillet 2019)


Les 13 et 14 juillet 2019, le symposium international de Tokyo sur la Révolution française se déroulait sous la direction de Paul de Lacvivier (univ. Kokugakuin) et de l’abbé Thomas Onoda (FSSPX), sous le haut-patronage de Monseigneur le Duc d’Anjou, et avec le soutien de Vexillia Galliae, du Centre d’Études Historiques (CEH) et du Cercle d’Action Légitimiste (CAL).
Un an après, nous publions les actes de ce symposium. Ils paraissent hebdomadairement, chaque mardi.


L’abbé Thomas Onoda m’a demandé de parler un peu de la Révolution française. Comme vous le savez, c’est un sujet très vaste. J’ai donc pensé que, pour cette courte conférence, nous pourrions parler du grand-père de la Révolution française, Jean-Jacques Rousseau.

Jetons d’abord un bref coup d’œil sur la vie de ce dernier, puis analysons l’une de ses principales erreurs, néfaste pour le monde et la vérité en général, et pour notre foi catholique en particulier.

I – Introduction à la vie de Rousseau

Né en 1712, en Suisse, Jean-Jacques Rousseau partagea sa vie entre plusieurs pays d’Europe, comme la France, la Suisse et, dans une moindre mesure, l’Angleterre. Il était, si l’on en croit tous les récits et études historiques, très intéressant, mais aussi très dangereux. Comme je l’ai dit au début, il fut le grand-père de la Révolution, dont il fit naître les idées et dont il influença les prémices. Non seulement, son rôle fut terrible en son temps, mais, en plus, son influence perdura au cours des siècles et son idéologie continua de susciter nombre d’erreurs et de problèmes, ce jusqu’à aujourd’hui.
Rousseau, en fait, mourut 10 ans avant la Révolution. Néanmoins, un certain nombre de révolutionnaires historiques – y compris parmi les plus importants et les plus horribles – firent de lui un guide spirituel et un grand prêtre de la Révolution française. Rousseau fut, pourrait-on dire, le premier et le plus célèbre des intellectuels francophones modernes. À certains égards, il fut aussi le plus puissant et le plus influent d’entre eux, non pas parce qu’il en eût été le plus intelligent, mais parce que ses capacités d’expression, ses convictions (self-delusion) et sa passion étaient si fortes qu’il savait séduire l’opinion publique.
Parfois, Rousseau eût détruit le raisonnement humain ; d’autres fois, il ne comptait que sur celui-ci. Parfois, il déclamait que les religions organisées – le catholicisme en particulier, mais le protestantisme également – étaient des choses terribles ; d’autres fois, il les couvrait d’éloges. Ses idées étaient donc contradictoires, mais son éloquence textuelle lui permit d’acquérir une grande influence. Il excellait notamment dans l’art de synthétiser et de s’approprier les idées des multiples auteurs qu’il avait lus pour les transmettre avec une nouvelle approche, originale et passionnée, qui faisait de lui un formidable convoyeur des vieilles idées erronées qui flottaient dans l’air depuis longtemps.
Son influence était donc immense. Ceux qui vécurent peu de temps après sa mort, le considéraient déjà comme le véritable responsable de la destruction de la France d’Ancien Régime. C’était le cas du roi Louis XVI ; de Napoléon également. Les historiens ont, en outre, démontré que les chefs de la Révolution française voulaient tous être considérés comme les fils adoptifs de Rousseau ; ils voulaient être semblables à lui, l’imitaient le plus fidèlement possible, tant dans leurs idées que dans leur personnalité. Ils le considéraient comme le nouvel Adam, le signe de la perfection.

Rousseau grandit dans la très puritaine et très rigide ville de Genève, où il fut plus ou moins livré à lui-même, bien qu’il eût un frère un peu plus âgé. Un jour, il s’enfuit. Peu éduqué, mais passant beaucoup de temps à lire, il se passionna pour les romans d’amour dès son plus jeune âge, ce qui pervertit et déforma ses émotions, faisant de ses passions sa force dominante. Il était toujours à la recherche de satisfaction personnelle. Tout ce qui pouvait restreindre ses passions, freiner ou limiter ses désirs était jugé mauvais. Pour lui, la liberté devait être totale : toute règle, toute loi, toute morale, tout dogme est mauvais. Rousseau avait peut-être un problème psychologique, mais il était aussi très pauvre et n’avait jamais suivi aucune formation, tant dans son enfance que dans sa jeune vie d’adulte.
Genevois et calviniste – par la force des choses –, Rousseau fit la rencontre d’une femme plus âgée, Françoise-Louise de Warens, catholique convertie, qui lui enseigna un peu la religion afin qu’il se convertît à son tour à la religion romaine. Toutefois, Madame de Warens n’était pas une « bonne catholique » comme on dirait aujourd’hui : elle n’était pas bien formée, ni très orthodoxe, cherchant plutôt à se satisfaire de sa propre version, personnelle, du catholicisme. Ce fut donc une formation très inconvenante. On peut aller jusqu’à dire que Rousseau ne reçut jamais vraiment la doctrine de la foi catholique. Pourtant, Madame de Warens – femme très influente dans la région annécienne – et un prêtre de son entourage encouragèrent Rousseau à entrer au séminaire d’Annecy, tout proche, pour s’y préparer au sacerdoce.
Cela ne dura pas longtemps : Rousseau échoua à la plupart des examens. Penseur peu convainquant, il avait, en outre, une mauvaise mémoire. Il était excellent dans les matières artistiques, comme la musique, et avait une belle plume, mais les études n’étaient pas faites pour lui…

Tout au long de sa vie d’adulte, Rousseau vécut comme un vagabond, se déplaçant de la maison d’un hôte à celle d’un autre et vivant de leur charité comme un parasite. Selon ses propres dires, à 56 ans, il avait vécu dans 40 résidences différentes ! Comme l’on peut imaginer, il demeura instable et soumis à ses émotions durant toute sa vie. Il n’avait pas de racines, rien pour le retenir, même s’il avait organisé une étrange cérémonie de « mariage » avec une jeune blanchisseuse et même s’il eut avec elle cinq enfants, qu’il abandonna tous dans un couvent pour les y faire adopter. Il ne voulait pas avoir de liens avec ces enfants…
Bien sûr, il fut victime de quelques persécutions, car certains de ses écrits étaient très répréhensibles, non seulement aux yeux de l’Église catholique mais aussi aux yeux des calvinistes. Dans les années 1750, à 40 ans environ, il retourna donc à Genève, où il se « reconvertit » officiellement au calvinisme, afin d’obtenir la pleine citoyenneté et la protection de cette ville.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur la vie et les vices de Jean-Jacques Rousseau – même ses amis, y compris parmi les plus proches, l’ont souvent pris en grippe, rejeté ou repoussé en raison de son mauvais caractère, de son égoïsme, de son indigence ou de sa malhonnêteté, et ce même après qu’il eût acquis la renommée et une certaine richesse –, toutefois, j’aimerais passer à la seconde partie.

II – La fausseté de l’état de nature rousseauiste

Parmi les cinq à dix grandes erreurs qu’a propagées Rousseau, nous n’auront de temps que pour parler d’une seule… Ainsi, nous nous pencheront sur l’une des erreurs les plus répandues qui soient : le discours sur l’origine des inégalités, l’idée de l’état de nature et celle de contrat social.
Bien sûr, ces théories contiennent des vérités. L’erreur parfaite n’existe pas : il y a toujours, dans le faux, un élément de vrai, qui est bon, attire et intéresse. Généralement, ce qui fait l’erreur, c’est l’absence de certains éléments ou la présence d’autres éléments, mensongers ou viciés cette fois. C’est vrai aussi chez Jean-Jacques Rousseau.
Pour celui-ci, l’état naturel de l’homme, c’est d’être bon et parfaitement heureux. Néanmoins, pour Rousseau toujours, l’homme ne peut être bon dans cet état de nature que s’il n’entretient aucun lien social, n’a aucune obligation envers personne, ni n’a aucun voisin ni aucune famille dont il doit prendre soin. L’homme peut être heureux ; il n’a que quelques besoins. L’homme peut aussi être complètement libre, mais seulement s’il ne dépend de personne et que rien ne limite ses actions. Pour Rousseau, rien ni personne ne doit dire à l’homme ce qu’il doit ou ne pas faire.

La première erreur est étymologique. Qu’est-ce que la nature ? Qu’est-ce qui est naturel ? Pour Rousseau, une chose naturelle est une chose bonne, et réciproquement. Cela fait écho dans nos esprits modernes : aujourd’hui, « c’est naturel » signifie généralement « c’est bon ». Pourtant, cela n’est pas toujours vrai : comme nous le savons, notre nature humaine est endommagée par le péché originel ; notre intellect peut être obscurci et tomber dans l’erreur ; notre volonté peut être pervertie et tend naturellement vers le mal ; nos passions, quant à elles, peuvent être rebelles et dominatrices. Nos passions peuvent l’emporter, c’est notre nature, viciée par le péché originel. Soyons donc prudent avec cette confusion qui fait passer ce qui est « naturel » pour quelque chose de nécessairement bon. Il est vrai, toutefois, bien sûr, que la nature comme Dieu l’a créée, la nature humaine dans son essence métaphysique, est quelque chose de bon en soi.

Pour Rousseau, l’état de nature est l’état primitif de l’homme. Un sauvage qui vivrait sans civilisation ni société serait nécessairement noble, bon et vertueux. Cette idée est présente en de nombreux esprits, à l’époque actuelle encore. Elle repose essentiellement sur le flou entourant le mot « nature » et sur le déni du péché originel.
Chez Rousseau, le contrat social est donc le premier problème de l’humanité. La soumission aux lois, aux sociétés et à la morale détruirait notre liberté et notre nature humaine. Elle serait donc intrinsèquement mauvaise.
Si tout le monde devait vivre comme cela, comment les enfants seraient-ils élevés ? Les bébés seraient-ils laissés dans les bois ?  Un enfant a évidemment besoin de son père et de sa mère… De même, un homme de 40 ans aura toujours besoin de son prochain. Nous ne pourrions pas vivre seuls, chacun de son côté, sur une île déserte. Nous ne pourrions pas produire par nous-mêmes tout ce dont nous avons besoin ; nous sommes des êtres sociaux, faits pour vivre et travailler ensemble, etc. C’est ainsi que Dieu nous a créés. Sinon, il aurait créé Adam dans l’Éden et Ève à des millions de kilomètres de là, afin que chacun vive à l’écart de l’autre…
Évidemment, cette vision de l’homme primitif ne repose sur rien ; ce bon sauvage n’a jamais existé et n’existera probablement jamais. Toutefois, dans l’imaginaire rousseauiste, tous les problèmes de l’humanité reposent sur le simple fait que des hommes, des femmes et des enfants se mirent à vivre ensemble, au sein de groupes, de communautés et de civilisations qui se développèrent… Dans la réalité, l’homme primitif vivait dans la forêt, tout en possédant déjà le libre arbitre. Il était un peu comme un animal. Il n’avait rien du noble sauvage de Rousseau.

Grâce à sa popularité, à son art de la persuasion et à son talent littéraire, Rousseau sut faire rapidement de ses erreurs relatives à l’homme, à la nature humaine et à la société des idées à la mode, qui perdurent encore aujourd’hui. Par ailleurs, de l’erreur initiale, naquirent ensuite d’autres erreurs, telles que l’individualisme, le communisme (paradoxalement), la pédagogie moderne, l’environnementalisme, etc.
Chez le philosophe, toute idée de civilisation, de bonne éducation ou de formation du caractère de l’homme est erronée et à proscrire ; elle éloigne l’homme de sa vraie nature, qui repose sur la primitivité, la liberté, l’absence de contraintes, l’absence de société humaine, de dogmes, de morale, de lois, de propriété privée… car toutes ces choses, pour Rousseau, privent l’homme de son état primitif et, donc, de son bonheur naturel.
Aujourd’hui encore, beaucoup imaginent que s’éloigner de la société humaine et vivre loin du monde suffirait à l’homme pour devenir vertueux, que s’ils s’éloignaient des autres, les choses iraient mieux, mais ils oublient que notre propre nature humaine est faible, car nous sommes tous entachés du péché originel ; ils oublient que notre passé peccamineux, nos mauvaises habitudes et notre libre arbitre perverti nous poussent au péché et au mal. Nous n’avons pas toujours besoin d’autres personnes pour nous vautrer dans le péché.

Il est intéressant de souligner la chose suivante lorsqu’on analyse l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau : au cœur même du déni du péché originel, il y a le bébé qui vient de naître. Pour Rousseau, l’être humain est là dans son état de perfection le plus intact, puisqu’il n’a encore été influencé par personne. Pourtant, n’importe quel parent pourra vous certifier que son enfant, dès le plus jeune âge, a eu besoin de la société humaine. Il ne naquit pas parfait ; il dut être corrigé, élevé, formé à la vertu, etc. pour devenir meilleur.
On trouve donc beaucoup de non-sens entrelacés au sein même de l’erreur principale de Rousseau. Définitivement, le contrat social rousseauiste – cette idée selon laquelle nous serions supérieurs et plus heureux si nous vivions comme de bons sauvages sur notre parfaite petite île déserte – est la plus grande erreur qu’eût put écrire Rousseau. Néanmoins, si ce fut sans aucun doute la plus grosse de ses erreurs, ce ne fut incontestablement pas la seule, car il en reste encore beaucoup à analyser. Peut-être lors d’une prochaine conférence ?

Abbé Patrick Summers


Bibliographie :

Mgr Jean-Joseph Gaume, La Révolution : recherches historiques sur l’origine et la propagation du mal en Europe, depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, t. 5, Paris, Gaume frères, 1857.

Dr Augustin Cabanès, « J.-J. Rousseau », dans Grands névropathes. Malades immortels, t. 2, Paris, Albin Michel, 1931, p. 37-70.

Jean de Viguerie, Les Pédagogues : essai historique sur l’utopie pédagogique, Paris, Le Cerf, 2011.

Voir aussi « Jean-Jacques Rousseau, sa vie, son œuvre » (2018-2019), cycle de conférences sur Rousseau donné par l’abbé Gabriel Billecocq pour les étudiants de l’Institut universitaire Saint-Pie-X (I, II, III, IV, V).


Les autres contributions du symposium international de Tokyo sur la Révolution paraîtront prochainement :

  • Introduction, par l’abbé Thomas Onoda.
  • Conférences :
    • « Les premiers 14-Juillet », par Philippe Pichot-Bravard (univ. Brest).
    • « Vandalisme et émergence de l’idée de patrimoine », par le père Jean-François Thomas.
    • « Jean-Jacques Rousseau, grand-père de la Révolution », par l’abbé Patrick Summers.
    • « Relations de l’État et de l’Église », par l’abbé Gabriel Billecocq.
    • « Au nom du peuple », par Marion Sigaut.
    • « Chouanneries, une guerre de la fidélité », par Anne Bernet.
    • « Joseph de Maistre et la contre-révolution », par Yohei Kawakami (univ. Senshu).
    • « L’indépendance des États-Unis : une Révolution avant la Révolution ? », par Jason Morgan (univ. Reitaku).
    • « Tribunaux révolutionnaires et jugements du roi et de la reine », par Paul de Lacvivier (univ. Kokugakuin).
    • « Réception de la révolution française au Japon depuis l’ère Meiji », par Junichi Hirasaka.
    • « Catholiques de Vendée : les premiers opposants au Nouvel Ordre Mondial naissant », par Michael Matt (The Remnant).
  • Conclusions :

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