Histoire

Il y a vingt cinq ans, Frederik de Klerk devenait président de l’Afrique du Sud

Le 15 août 1989

 Frederik de Klerk devenait président de l’Afrique du Sud

La révocation de l’Édit de Nantes, en 1685, et, plus généralement, le retour des persécutions religieuses, poussèrent de nombreux huguenots français à quitter leur patrie devenue intolérante pour trouver refuge dans les royaumes ou principautés d’Europe qui préservaient la liberté de culte, dont les Provinces unies. C’est ainsi que la famille de Clerc, originaire de Besançon, prit la route d’Amsterdam et, de là, fut, comme beaucoup d’autres, vivement incitée à rejoindre une des colonies  hollandaises de peuplement. Parvenus au Cap dès 1686, les Clerc firent souche et n’en repartirent plus, exerçant leur art dans le commerce, le vignoble, la magistrature, l’Église et la politique. Le grand-père de Frederik était pasteur, son père fut ministre puis président du Sénat, membre du parti national, attaché la fois à l’indépendance nationale et à la politique dite de développement séparé entre les différentes communautés composant la « mosaïque » sud-africaine.

Né en 1936 à Johannesburg, Frederik de Klerk suivit des études de droit mais, en 1972, il préféra s’engager en politique plutôt que d’occuper une chaire à l’université. Avocat, il  devint, en 1978, ministre de l’assurance maladie et des pensions. Puis il exerça plusieurs fonctions gouvernementales jusqu’en 1989, occupant en dernier le poste de ministre de l’éducation nationale. Élu chef du parti libéral, il succéda à Pieter Botha lorsque celui-ci, malade, démissionna de la présidence de la république.

Ce dernier avait déjà entamé une politique de dégel à l’égard des pays voisins hostiles, notamment du Mozambique, et amorça un dialogue avec les dirigeants de l’African national Congress (ANC) principal parti combattant l’apartheid. Plusieurs étaient en prison pour actes de terrorisme, dont Nelson Mandela.

Persuadé de la nécessité d’aller plus vite dans l’évolution du régime sud-africain, Frederik de Klerk provoqua des élections générales anticipées en proposant un programme de réformes. Celles-ci lui semblaient d’autant plus faciles à réaliser que l’Union soviétique, agonisante, cessait de représenter une menace pour les libertés publiques en Afrique australe : elle était désormais incapable de soutenir, par Cubains interposés, les États voyous de la région. Depuis 1976 en effet, l’Angola et le Mozambique, anciennes colonies portugaises nouvellement indépendantes, servaient de bases arrières aux tentatives de subversion de l’Afrique du Sud par le bloc soviétique.

De son côté l’ANC reconnaissait enfin que le terrorisme en lequel elle avait longtemps cru, sous l’influence des idéologies « libératrices » et « «tiers-mondiste » d’une frange de l’internationale socialiste, aboutissait, au mieux à une impasse, au pire à des tragédies dont les populations noires étaient les premières victimes.

La majorité des Sud-Africains fit confiance à de Klerk, mais le parti conservateur favorable au maintien de l’apartheid obtint 33% des voix, son meilleur score historique.

Le nouveau président prit son bâton de pèlerin pour expliquer à l’étranger que son pays était en train de changer mais que la réussite de ce changement exigeait beaucoup de prudence et de pragmatisme. Sa tournée internationale passait par la France où il fut reçu par François Mitterrand. Un an auparavant, notre président avait refusé de rencontrer Pieter Botha, venu pour rendre hommage aux soldats sud-africains morts pour la France pendant la première guerre mondiale. Sans doute avaient-ils eu le tort d’être tous blancs…

Parallèlement, il établit des contacts, d’abord indirects, afin d’en sonder les intentions, puis officieux, enfin officiels dès qu’il apparut qu’un accord était possible, avec l’ANC. Ce qui signifiait pour de Klerk  le respect de la propriété privée et des libertés publiques contre une amnistie générale, hors crimes de sang, et la garantie d’égalité de tous les droits sur le territoire national entre tous les ressortissants de toutes les communautés. Une sorte de bonne volonté générale, aidée par un contexte international favorable et par un négociateur hors pair, planait désormais sur l’Afrique du Sud. Comme un miracle de l’Histoire.

La tendance, en Occident, était de se demander pourquoi ce processus n’avait pas été enclenché plus tôt. C’était oublier, tout simplement, qu’abandonner plus tôt la politique de développement séparée aurait abouti, en accordant le droit de vote aux Noirs sur l’ensemble du territoire, à donner le pouvoir à l’ANC alors totalement noyautée par les agents de l’Union soviétique, d’ailleurs en concurrence avec les Chinois. L’enjeu stratégique portait sur le contrôle de toute l’Afrique australe et, consécutivement, sur la maîtrise des routes pétrolières maritimes. Ainsi l’Afrique du Sud joua-t-elle, de 1976 à 1989, un rôle essentiel de rempart du monde libre, lequel eut beaucoup de mal à le comprendre sur le moment.

Assuré de toutes parts d’une profonde transformation du contexte géopolitique, Frederik de Klerk proposa en février 1990 au Parlement sud-africain, de légaliser l’ANC et d’accepter la libération de son chef historique, Nelson Mandela, détenu depuis 1962 pour actes de terrorisme. En même temps, il mettait en place la « commission Goldstone », du nom du juge qui la présidait, chargée de prévenir les violences publiques destinées, de part et d’autre, à faire échouer le processus d’évolution du pays et de démantèlement progressif de l’apartheid. Se heurtant cependant à de vives résistances, notamment dans certains milieux ruraux conservateurs, de Klerk soumit à référendum en mars 1992, la poursuite des réformes institutionnelles, que la population blanche approuva à 68%. Dès lors, son rêve d’une Afrique du Sud normalisée et pacifiée deviendrait une inéluctable réalité. La collaboration loyale de Mandela, jouant désormais un rôle d’apaisement et de recherche de consensus, facilita grandement les choses. Les deux hommes obtinrent conjointement, en 1993, le prix Nobel de la paix.

Les élections générales d’avril 1994 ayant donné la majorité parlementaire à l’ANC, Mandela fut élu président de la république et de Klerk accepta, pour une ultime période transitoire, le poste de vice-président.

Si le premier, mort en 2013, est devenu une icône mondiale, le second a été un peu oublié. Injustement. Car sans de Klerk, il n’y aurait sans doute pas eu de Mandela.

Le vieux sage blanc a aujourd’hui 78 ans et vit retiré de la politique, ce qui ne l’empêche pas de s’exprimer régulièrement et, notamment, de mettre en garde les actuels dirigeants de son pays contre la tentation d’opprimer, ou du moins d’humilier, la minorité blanche. Mais ceci relève d’un article d’actualité et non de la rubrique « histoire ».

Daniel de Montplaisir

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