Histoire

Il y a cent soixante-dix ans, le 1er mai 1847 : La révélation de l’affaire Teste-Cubières annonçait la chute de la monarchie de juillet

Certes, il n’avait pas besoin de cela…

    Aussi vieillissant que son chef, le régime de juillet, issu de barricades vieilles de dix-sept ans, exprimait l’usure des outils mal conçus et donc condamnés à s’user prématurément. La langue de vipère engagée à son service, sous la plume officielle de la comtesse de Boigne et, en réalité celle d’Alfred Cuvillier-Fleury, eut beau se ridiculiser en écrivant que « jamais gouvernement n’avait été moins vénal que celui du roi Louis-Philippe », chacun en France savait bien que c’était le contraire. 

   Tout allait mal dans la France de 1847 : mauvaises récoltes, chômage en forte hausse, misère galopante, finances publiques dégradées mais dépenses insensées de la « bourgeoise » famille royale, mauvais goût et vulgarité des manifestations publiques,  dignitaires du régime boursicotant sur fond de délit d’initiés, trafics d’influences mesquins pour de petits privilèges de reconnaissance sociale, affaires de mœurs impliquant des ministres, dont certains se suicidèrent, brouille avec l’Angleterre comme rançon d’une politique étrangère consistant à lui cirer les bottes, refus obstiné de toute réforme électorale qui rapprocherait, comme dirait plus tard Charles Maurras,  le « pays légal » du « pays réel », interventions maladroites et autoritaires du roi dans la vie du gouvernement tout en affirmant la nécessité de l’inverse. Il faudrait tout un volume pour rapporter chaque illustration de ce déclin général, de cette pente fatale qu’avait déjà pressentie Victor Hugo dans ses Choses vues.

    Et voilà que, par un article du journal Le Droit, du 1er mai 1847, à propos d’un obscur procès que se font les associés d’une non moins obscure Compagnie des mines de sel de Gouhenans (Haute-Saône), se trouve exhumée une affaire de pot-de-vin remontant à 1843 et que les plaignants se jettent à la tête.

    Voici d’abord les faits.

   Après avoir quitté l’armée, en 1829, le général Amédée Despans-Cubières, ancien de la campagne d’Espagne de 1823 et de celle de Morée en 1828, s’était, de façon assez classique à l’époque, lancé dans « les affaires » et avait pris une participation dans la société d’exploitation des houillères de Gouhenans. Or celle-ci ayant découvert, sur son terrain, et sur des terrains voisins, un gisement de sel gemme, avait déposé une demande de concession de saline, qui lui avait été refusée par l’administration, au motif que l’exploitation du sel appartenait aux salines de l’Est sous le monopole de l’État. Ce monopole prenant fin en 1841, la compagnie revint alors à la charge, forte de l’appui du général Despans-Cubières qui disait avoir le bras long et promit, moyennant un pot-de-vin de 94 000 francs (un peu moins de 300 000 euros) à verser au ministre des travaux publics, Jean-Baptiste Teste, que l’on obtiendrait la concession. Ce qui effectivement se produisit.

   Rien n’aurait transpiré si, se querellant plus tard, les associés n’avaient sorti les cadavres du placard et notamment une lettre de Despans-Cubières au directeur de la compagnie, datée du 14 janvier 1842, indiquant que « notre affaire dépendra des personnes qui se trouvent en ce moment au pouvoir » et qu’ « il ne faut pas hésiter sur les moyens pour nous créer un appui intéressé dans le sein même du conseil des ministres. » Le plus grotesque dans cette affaire est que la concession aurait probablement été accordée sans le secours d’un pot-de-vin.

   Le petit scandale afférant aurait pu ne connaître qu’un faible écho dans le public si, pour toutes les raisons rappelées plus haut, ne régnait alors chez les Français un climat de suspicion générale à l’égard d’un régime à la fois terne, autiste, maladroit, arrogant, grossier et soupçonné de corruption généralisée.

   Compte tenu de la personnalité de Jean-Baptiste Teste, alors pair de France, le procès se tint devant la chambre des pairs. Il s’ouvrit le 7 juillet 1847. Selon un usage toujours en vigueur chez les responsables politiques, Teste nia tout, s’offusquant que ses ennemis pussent utiliser d’aussi basses méthodes pour s’en prendre à lui et, à travers lui, au gouvernement le plus honnête de l’histoire de France, comme l’attesterait Mme de Boigne. Hélas, le témoignage, assorti de preuves, d’une certaine Mme Françoise Roy, épouse délaissée par son mari Alain Pellapra, un receveur général (comptable du trésor, équivalent de nos actuels trésors payeurs généraux) qui avait servi d’intermédiaire, se révéla accablant. La même mésaventure arriverait cent soixante cinquante ans plus tard à Jérôme Cahuzac : quand on veut bafouer sa femme, mieux vaut ne pas avoir piqué dans la caisse devant elle… 

    Acculé par l’évidence, Teste tenta de se suicider – cela se faisait à une époque où la malhonnêteté n’excluait pas un certain sens de l’honneur – mais ne fit que se blesser et dut entendre le verdict prononcé le 18 juillet : condamné à rembourser la somme, ainsi qu’à une amende du même montant et à trois ans de prison. Peine lourde qui traduisait, chez les pairs, le sentiment de la perte de confiance populaire dans le gouvernement et la nécessité de faire un exemple qui pourrait l’atténuer.

   Mais il était trop tard. Encore un mois et éclaterait le scandale du duc Charles de Choiseul-Praslin, autre pair de France et proche de Louis-Philippe, qui assassinait son épouse à coups de couteau. Lui eut au moins le bon goût de réussir son suicide avant l’ouverture de son procès.

    Le roi des Français semblait avoir conscience de la dégradation générale de la société française. Il s’en ouvrait régulièrement à ses interlocuteurs mais n’envisageait aucun moyen d’y remédier, se limitant à d’interminables soliloques plaintifs tout en refusant les réformes qu’on lui suggérait.

   D’une certaine manière, la monarchie de juillet a, elle aussi, comme Teste et comme Choiseul, choisi le suicide, un choix qui, dans le cas de Louis-Philippe, ressort certainement davantage de la psychanalyse que de l’analyse politique.

 

Daniel de Montplaisir

Post-scriptum : le personnage du général Despans-Cubières inspirerait à Alexandre Dumas celui de Fernand (alias comte Albert de Mortcerf)  dans Le comte de Monte-Cristo. En revanche celui de Jean-Baptiste Teste semble n’avoir aucun rapport avec le « monsieur Teste » de Paul Valéry, à moins que ce dernier n’ait pas tout dit…

 

  

 

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