Histoire

[CEH] Henri IV et le Canada en quelques dates, par Michel Vergé-Franceschi

Henri IV et le Canada en quelques dates

Par Michel Vergé-Franceschi

1591 : outre-mer, les Malouins découvrent au Canada l’île de la Madeleine

« L’an 1591, il y eut un voyage entrepris par le sieur de La Court Pré Ravillon en Canada », dépêché en ces lieux par Jacques Noël, Malouin, petit-neveu de Cartier. Ravillon partit « avec le vaisseau nommé Bonaventure pour le trafic des bestes morses aux grandes dents » appelées aussi les « vaches marines ». « Il découvrit (le 3 mai) l’Isle Ramée (devenue île de la Madeleine) et passa par celles de Saint-Pierre, Aponas, Duoron, de Bain, des Cormorans et autres. »1 C’est grâce à ces quelques hardis marins que la France maintient une légère présence en mer, sur les côtes d’Amérique ou d’Afrique. D’ailleurs « beaucoup de nègres parlent très bien le français et ont même été en France », avoue alors le Portugais André Alvarez d’Almada2.

1598 : l’exploration du Canada reprend

Le 12 janvier 1598, Henri IV confirme Troïlus Du Mesgouez, marquis de La Roche-Helgomarc’h, dans ses fonctions de lieutenant général en pays de Canada, Hochelaga, Terre-Neuve, Labrador, Norombègue et île de Sable. IL l’était depuis 1578 et avait été déjà confirmé en ses fonctions le 16 février 1597, à peine sorti des cachots de Nantes où les ligueurs l’avaient laissé depuis 1589. Troïlus Du Mesgouez embarque mi-mars à La Hougue3. Arrivé à l’île de Sable, il y débarque cinquante de ses 250 Normands, condamnés récemment sortis des geôles normandes. Les 200 autres préfèrent rentrer en France… d’où les difficultés de Troïlus fin 1598, le parlement de Rouen refusant de lui accorder des condamnés plus dociles (17 octobre 1598) pour tenter une nouvelle colonisation du Canada. Pourtant, les prisonniers normands avaient raison d’avoir peur. En 1603, trente-neuf des cinquante hommes débarqués étaient déjà morts lorsque les onze survivants furent rapatriés par le capitaine Chefdostel.

À la même époque, le commandeur Aymar de Chaste (mort en 1603), gouverneur de Dieppe et d’Arques, celui-là même qui avait été chargé de se rendre en 1583, à la demande de Catherine de Médicis, à l’île Tercère pour y soutenir les intérêts d’Antoine, prieur de Crato, à la couronne de Portugal, et auteur du Voyage de de Chaste à Tercère (publié dans Thévenot), obtient d’Henri IV une commission pour créer de nouveaux établissements dans l’Amérique septentrionale. Il associe à cette grande entreprise Samuel Champlain, vingt-huit ans, né à Brouage vers 1570 au sein d’une famille protestante.

Participant à ce véritable frémissement maritime, Henri IV fait procéder à un premier armement royal à Bordeaux : « Jean Lopez, escuier, capitaine de marine, s’obligea de fournir au Roy un navire nommé le Royal de la rivière de Bourdeaux du port de 300 tonneaux ou environ, avec une patache de 25 tonneaux, le tout bien garni de cordages, voiles, cables, ancre, avec tout leur appareil, 30 pièces de canon, victuailles, poudres, munitions, 560 mariniers, y compris les maistres et officiers, 100 hommes de guerre et 25 hommes soldats et mariniers dans le patachie, que ledit Lopez soudoyra et nourrira, et ce à raison pour chacun tonneau de fret, compris les poudres, et ce qui dépend du canon la somme de deux escus par tonneau, et pour la nourriture, victuaille, solde et entretenement de chacun homme la somme de 12 escus l’un portant l’autre, les Officiers y compris, le tout revenant à la somme de 2 750 escus pour chacun mois, savoir 650 escus pour le naulage, et 2 100 escus pour les 95 hommes. Et s’il ne fait aucune prise, la moitié sera au profit du Roy, un tiers à l’équipage, tant de gens de guerre que de marine, et un 6 pour le droict du navire. Ce furent les seigneurs Philippe Hurault, comte de Cheverny, chancelier de France, et Charles de Montmorency, Amiral de France, et autres, qui s’obligèrent pour le Roy. »

1599 : l’exploration de l’Acadie

Le 22 novembre 1599, le capitaine Pierre Chaucin, gros armateur honfleurais, sieur de Touthuict (ou Tonnetuit), natif de Normandie, obtient d’Henri IV, pour services rendus pendant la Ligue, le monopole du commerce des pelleteries au Canada à la condition d’y fonder et d’entretenir une colonie sur le fleuve de Saint-Laurent. « Lieutenant général pour le Roy au pays de Canadas, costes de l’Acadie et autres de la Nouvelle France pour dix ans – il y eut aussi des articles accordés pour ses associés »4, il succède à Troïlus.

Chauvin quitta la France avec cinq bâtiments, aborda près d’un lieu, nommé Tadoussac, qui avait été choisi pour l’établissement projeté. Après avoir échangé ses marchandises et installé ses colons, il revint en France avec une riche cargaison, d’où les protestations des Malouins qui s’élevèrent contre le monopole qui lui avait été accordé de même qu’ils s’étaient élevés naguère (1588) contre les prétentions des petits-neveux de Jacques Cartier, pourtant Malouins, qui souhaitaient – eux aussi -, pareil monopole, sur les mines et pelleteries du Canada, monopole accordé à la légère par Henri III (mars 1588), contraint de se rétracter (juillet 1588) sous la pression des États de Bretagne.

1603 : premier voyage de Champlain

Le 15 mars 1603, Samuel Champlain part de Honfleur sur la Bonne-Renomée avec un marin malouin très expérimenté, François Du Pont-Gravé, et mouille le 24 mai au Havre de Tadoussac, situé dans le Saint-Laurent, à quatre-vingts lieues de son embouchure, au confluent du Saguenay. Les deux commandants y laissèrent leurs navires et remontèrent le fleuve avec une petite barque jusqu’au saut de Saint-Louis, où Jacques Cartier s’était arrêté dans son dernier voyage ; puis ils pénétrèrent dans l’intérieur des terres et Champlain en dressa la carte qu’il rapporta en France avec une relation détaillée de son voyage.

Deuxième voyage de Champlain au Canada

Le privilège accordé au commandeur de Chaste étant éteint de par sa mort (1603), un gentilhomme saintongeois, M. de Monts, gouverneur de Pons, l’obtint, avec les titres de vice-amiral, lieutenant général du roi en Acadie, avec pleins pouvoirs de faire la paix ou la guerre, et le monopole du commerce des pelleteries dans l’Amérique du Sud fut accordé le 18 décembre 1603. « L’an 1603, Pierre du Gast, sieur de Monts, gentilhomme de la chambre, écrit en effet le père Fournier, fut fait vice-amiral des costes de l’Acadie, depuis le 40e degré jusques au 46e par le sieur d’Amville, Amiral de France et le 18 de septembre de la même année, le Roy l’établit son lieutenant général au dit lieu ». Fournier ajoute : « Et par autres lettres du 21 janvier 1605, il fut défendu à tout autre qu’à luy et à ses associés de négocier audit lieu. Et au mois de septembre, ledit sieur de Monts nomma le sieur (François) du Pont Gravé pour son lieutenant et le 25 février 1606, il mit en sa place le sieur de Poitrincourt. La cession desdites terres de Canadas fut encore ratifiée l’an 1608. »5

En 1603, les commanditaires de Pierre Dugua de Mons sont des négociants de Rouen, Saint-Malo, La Rochelle, Saint Jean-de-Luz. Le capital réuni se monta à 90 000 livres : les deux cinquièmes furent souscrits par les Malouins, un cinquième par les Rouennais, le reste par les Rochelais et les Basques. Champlain retourna donc dans le Nouveau monde avec de Monts et Pont-Gravé, et y séjourna trois ans afin d’y réaliser sur les côtes et dans l’intérieur des terres de nombreuses explorations dont les résultats sont consignés dans les relations de ses voyages.

1604 : Champlain en Canada

En 1604, Champlain, avec ses compagnons, subit en Nouvelle-France un hivernage très dut : un tiers des colons meurt du scorbut. Au printemps les survivants s’installent à Port-Royal (Acadie). A partir de novembre 1605, Champlain hiverne à nouveau en Canada avec une quarantaine d’hommes alors que Dugua de Mons rentre en France avec un élan gigantesque, des cornes de cerfs, une écrevisse monstre, un geai bleu et noir, un merle doré, un oiseau-mouche et un canot d’écorce de bouleau6, maigres témoignages de l’activité canadienne des premiers colons.

1608 : fondation de Québec

Champlain, nommé géographe et capitaine pour le roi en la marine, appareille de Honfleur le 3 juillet 1608 avec François Du Pont Gravé, et arrive quatre-vingts jours plus tard dans le Saint-Laurent. Cette troisième expédition est la plus importante de tous ses voyages : remontant le Saint-Laurent avec l’intention de former un établissement permanent au Canada, il choisit un lieu situé à environ 130 lieues de l’embouchure de ce fleuve et où ses rivages se resserrent tout à coup. Il y jette les fondements de la ville de Québec dont le nom signifie dans la langue des « sauvages » : détroit ou rétrécissement de la rivière. Pendant ce temps, en Acadie, Dugua de Mons tente d’établir ses colons. Mais ils sont divisés.

Dissensions en Acadie

Le 7 janvier 1609, Dugua de Mons, en raison de discordes survenues entre associés, et en raison de l’opposition qui persiste entre Malouins et Rouennais, se voit déposséder de son titre et de son monopole. Différents marins français se combattent en effet en ces lieux : Rouennais contre Rochelais, Rochelais contre Normands, Basques contre Dieppos. Les luttes sont d’autant plus âpres que l’ignorance géographiques où l’on est laisse supposer que les richesses de Chine sont à portée de main une fois le Canada atteint !

Du lac Champlain au rêve chinois

En 1609, Champlain pousse plusieurs reconnaissances sur le Saint-Laurent, soutient les Algonquins contre les Iroquois et, après avoir assuré la victoire à ses alliés (29 juillet), il donne son nom au lac sur les bords duquel la bataille s’était livrée, puis il redescend la rivière qui met en communication ce lac avec le Saint-Laurent et qu’il nomma plus tard Richelieu. Il revint ensuite à Québec et de là, en France. En 1610, de retour au Canada, Champlain bat les Iroquois à l’embouchure du cours d’eau qui porte leur nom. Bientôt stimulé par la découverte de l’Anglais Hudson (1611), il veut chercher par le nord de l’Amérique une route pour aller en Chine. Une première excursion qu’il fait dans ce but, à la rivière d’Ottawa, demeure sans résultat. Champlain se retrouve alors contraint de revenir en France pour y recruter de nouveaux bras au service de sa colonie.

Michel Vergé-Franceschi
Professeur à l’université de Tours


Publication : Michel Vergé-Franceschi, « Henri IV et le Canada en quelques dates » dans Collectif, Henri IV : le premier Roi Bourbon. Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, Neuves-Maisons, CEH, 2011, p. 304-312.


1 Richard Hackluyt, The Principial Navigations, 2e édit., t. III, p. 189, d’après le Père Georges Fournier, Hydrographie, 1643, p. 254.

2 La Roncière, t. IV, p. 80.

3 Ch.-P. Brard, p. 79-83.

4 Ibidem.

5 Ibidem.

6 Bibl. Nat. Dupuy 669, f° 31.

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