Civilisation

Éloge de l’étude du latin-grec

« Ça ne sert à rien », premier son de cloche.

« C’est un bon moyen pour avoir une meilleure moyenne et des points en plus aux examens », second son de cloche, guère beaucoup mieux.

On n’apprend que très timidement le latin de nos jours, même quand on l’a commencé en classe de cinquième. Et que dire du grec ancien, dont les troisièmes sont de plus en plus rares… ? Hormis les quelques personnes qui en font leurs études spécialisées ou leur profession, entre chartistes et clercs, autant dire que ces rudiments de latin-grec s’oublient on ne peut plus rapidement. Et il en était souvent de même, jadis, alors qu’on les étudiait sérieusement dans les collèges et lycées.

Des choses utiles aux yeux du monde, beaucoup s’oublient également. Sans aucun doute un président trop bien connu avait dû apprendre, en cours de géographie, ce qu’était la Guyane. Il l’a oublié. Sans doute, en français ou en histoire, avait-il été mis en contact avec les fruits et la réalité de la culture française. Il lui a fallu quelques années ou décennies seulement pour en tout oublier. Et la liste pourrait s’allonger, si bien que l’on n’oserait plus même donner à un cochon son nom, comme on pouvait encore le faire, malgré la loi, afin de tourner en dérision un Buonaparte.

Le latin et le grec, même étudiés avec intensité et application, peuvent s’oublier quelque peu au fil des décennies, mais ils forment l’esprit et revêtent une importance cruciale que, malheureusement, l’on ne soupçonne plus. Laissons parler à ce sujet un certain Louis Madelin, bonapartiste du premier XXe siècle, qui n’a rien à voir avec le chiracquien du même nom :

« “Grammaire latine ! Thèmes latins ! Versions latines ! Fatras ! vaine instruction inutile en un siècle où la science prévaut ! Vous-même, me dit l’adversaire de l’enseignement classique, qu’en avez-vous gardé ? Vous avez appris des milliers de vers latins, de prose latine : me citeriez-vous, de suite, vingt vers d’une églogue de Virgile, ou d’une ode d’Horace, quatre phrases de Cicéron ou de Tite-Live.”

Et l’adversaire a un sourire triomphant :

“Cher monsieur, lui dis-je, avez-vous fait, durant vos années scolaires, ce qu’on appelait de la gymnastique ? En ce cas vous avez cinq cents fois abordé le trapèze, les anneaux, les barres parallèles et la barre fixe. Seriez-vous avec vos cinquante ans et après trente ans d’abstention, capable de faire un beau rétablissement ? Assurément non ! Je le crois, mais, comme les sports d’aujourd’hui sagement et continûment pratiqués, cette gymnastique vous a fait, pour la vie, des muscles plus solides. Ces versions, ces thèmes latins, croyez-vous qu’ils étaient autre chose que des exercices propres à développer votre cerveau latin, à le fortifier et, dans le sens qu’il a reçu des aïeux, à apprendre les raisonnements ?

Henri Poincaré disait que parmi ses élèves de mathématiques ou les jeunes gens qu’il examinait, il distinguait aussitôt, à la façon de raisonner un problème ceux qui, à coup, sûr, avaient été de solides élèves des humanités. Méditez ce témoignage d’un illustre mathématicien doublé d’un perspicace observateur.” »

L’académicien Charles Maurras lui-même, qu’il serait superflu de présenter, se rappelait dans La Seule France. Chronique des jours d’épreuve (Lyon, H. Lardanchet, 12e édition : 1941, p. 260-263) de ses études au collège catholique d’Aix où, dès la huitième (actuel CM1), il avait pu s’exercer à la version latine, en trois exercices successifs : traduction mot à mot, mise en bon français, puis analyse des verbes.

Et pour cause, le chef de file de l’Action français voyait là, à la fin de sa vie, l’exercice qui avait le plus stimulé son esprit et servi son intelligence ! Voici pourquoi :

« Le mot à mot pour lequel nous pliions en quatre la page de notre copie, nous faisait une obligation de saisir et de serrer le sens du texte dans toutes ses moindres nuances et de nous mettre en présence de ce que l’auteur y avait inclus et voulu inclure. Ainsi possédions-nous toute la matière de l’objet. La même discipline pouvait servir en bien d’autres occasions qu’un texte de Virgile ou de Platon – en fait de sciences exactes ou naturelles, par exemple… Et dans la vie !

Encore fallait-il aller plus loin que de connaître : comprendre. Le meilleur moyen en était de nous efforcer de transposer ce premier décalque barbare, dans le ton, dans le tour, le génie et le caractère de notre langue. À ce jeu, il était impossible de commettre les non-sens permis par le mot à mot et l’on n’y faisait pas de contre-sens sans le mettre en pleine lumière. Le profit supplémentaire était de nous perfectionner dans notre propre idiome, qu’il fallait adapter aux idées toujours vivantes d’hommes morts et enterrés depuis vingt siècles, et cela obligeait au plus beau des efforts.

L’analyse des verbes imposait un effort inverse. Par la définition précise, répétée bon nombre de fois, de la conjugaison, de ses temps et de ses modes, elle excellait à faire pénétrer vers le cœur des langues anciennes et d’éprouver, par degrés, la valeur de cette pénétration, surtout au nœud vivant des principales difficultés. Pour le grec surtout, ce rite exaspérant avait l’immense avantage de nous placer au vif des articulations de la langue. Devant un vocabulaire immense, aux subtils composés innombrables, qui semble défier les plus fortes mémoires, l’habitude des verbes analysés et réanalysés ouvrait malgré tout des avenues ou des pistes dans la forêt. En nous saisissant des points dominateurs de la langue adverse, on se rompait à la logique de l’essentiel.

Si peu de généralité que l’on ait dans l’esprit, tout naturellement l’instinct vivace de la pensée sait transposer, pour l’appliquer, ce triple procédé à une multitude d’autres sujets. »

Après un tel éloge, si précis, du seul exercice de la version latine ou grecque, que penser des exercices associés, à l’instar du thème aiguisant au plus vif la raison ?

Cependant, plutôt que de donner la part belle à ce noble effort dont les principes sont déjà connus de tous nos lecteurs, intéressons-nous plutôt à un exercice très différent : la prélection.

Dans sa biographie Michel Canevet, scolastique oblat de Marie-Immaculée, 1907-1929 (EAMI, 1939), le religieux Louis Simon, o.m.i., présente la vie d’un jeune confrère breton mort en odeur de sainteté. Au sujet des études au sein de cette congrégation religieuse, il y est question des prélections latines. Cette occupation méconnue de nos jours consiste à faire une lecture critique d’un auteur grec ou latin, en rédigeant des gloses autour du texte. Autrefois, on éditait même des livres spécifiques pour cela, avec les marges appropriées. Les ouvrages du Moyen Âge font pour beaucoup état de cette pratique.

Voilà de quoi vous donner quelques idées, pour vous remettre aux études classiques le soir venu… ou davantage les vouloir pour votre descendance !

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