Social et économie

La grande roue du cycle de l’innovation : Une approche de la crise actuelle

L’innovation semble être ce qui caractérise le plus notre société actuelle :

Quelques chiffres en vrac :

  • 12 millions de chercheurs dans le monde : + 1 million par an 
  • 18 000 articles scientifiques par jour !
  • 2 millions de brevets délivrés en 2012 (1 million en 2008 !) essentiellement d’origine chinoise
  • 8.5 millions de brevets actifs dans le monde
  • 1 brevet sur 3 perd toute valeur dans le trimestre suivant son dépôt car déjà dépassé par quelque chose de mieux ;
  • Nombre de brevet qui rapportent plus qu’ils n’ont couté : 0.6% !!
  • Dépenses en R&D (recherche et développement) : 1200 milliards $ par an soit environ le PIB de l’Espagne ;
  • 1100 revues scientifiques ;
  • 2/3 des innovations disparaissent car elles ne rencontrent pas la satisfaction des gens.

Mais qu’est-ce que l’innovation ? Est-elle synonyme de progrès ? Et surtout : dans quel cycle nous trouvons-nous ?

Qu’est-ce que l’innovation ?

L’innovation, c’est énergie vitale des sociétés, ce qui leur permet de se renouveler, de ne pas disparaître. Innover, c’est :

  • Transformer le rêve en réalité ;
  • Intégrer quelque chose de nouveau (invention) dans la réalité (sociologie, finance, sécurité, réglementation…)
  • Intégrer le meilleur état des connaissances dans un produit ou service (conception)
  • Améliorer la satisfaction des individus et de la société…

Mais innover, c’est aussi rompre les amarres : on ne revient pas à la machine à vapeur ! Et pour cela, il faut savoir dépasser sa nostalgie. Tout téléspectateur a regardé au moins une fois l’émission « Des racines et des ailes ». Ce programme est le symbole de la France nostalgique : on n’y parle que des racines (et Dieu sait si j’y suis attaché), jamais des ailes ! Il semblerait que concernant notre beau pays, la taille des racines empêche les ailes de pousser… et que la nostalgie soit notre boulet tant notre présent n’est pas à la hauteur de notre passé.

Il est loin en effet le temps de notre dernière apogée. C’était la Belle époque (1873-1913). Séquence nostalgie :

  • France leader sur 20 des 25 secteurs économiques (60% du secteur automobile mondial), réserves d’or 5 fois supérieures à celles de l’Angleterre, à la pointe absolue de la « high tech » (atome, téléphone, santé) mais aussi de la finance (Crédit Lyonnais plus grande banque du monde), du cinéma, de la mode, des arts…
  • Paris, ville lumière (fée électricité), ville la plus moderne, messages traduits en 34 langues dans le métro, 90% des congrès internationaux y sont organisés, 500 banques créées en 40 ans, capital mondial de la levée de capitaux (canal de Suez !), 100000 entreprises, 1 million d’ouvriers, les expositions universelles, le grand palais et bien sûr, la Tour Eiffel…

Innovation et progrès

Dès 1913, Max Weber nous avertissait : « La technologie a désenchanté le monde et on ne s’en remettra pas »… Regardez comme la technologie peut être « froide » et neutre : Un avion ne peut-il pas aussi bien transporter des gens que des bombes ?

Une innovation pour être progrès doit être « chaude », elle doit connecter le monde de la connaissance avec la société. Elle doit trouver les gens : leurs rêves (« Vous l’avez rêvé, nous l’avons fait »), leurs désirs, leurs espoirs, leurs idéaux, leurs valeurs, leurs besoins, leur sensibilité, leur identité, leur culture, leurs pratiques, leur degré de connaissance, leur vécu… et tout cela bouge de plus en plus vite !

Une ministre nous a récemment organisé un « Séminaire sur la femme digitale » : Quel esprit innovant ! En 1903, on vantait déjà « la femme électrique » et en 1908 « la femme radioactive » avec comme slogan (véridique !) : « Madame, votre beauté exige la radioactivité naturelle ! »

La femme n’est ni électrique, ni radioactive et encore moins digitale : ne comptez pas sur moi pour tomber amoureux de 1 et de 0…

Pour que l’innovation soit progrès, c’est bien à la technologie d’aller à la société et non pas l’inverse sinon c’est l’échec commercial, pire, l’échec sociétal.

Cycle d’innovation et cycle économique

La première phase dans le cycle de l’innovation est celle de la découverte scientifique (le fondamental), la deuxième celle de la technologie (l’application en laboratoire) et la troisième celle de la synthèse créative, celle qui fait que, pour paraphraser Aristote, « le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ». Cette dernière phase est aussi au final celle du « low cost »[1], sans quoi le progrès ne serait réservé qu’à quelques « happy few »…[2]

Pourquoi la France était-elle à la Belle Epoque le pays le plus puissant du monde ? Parce qu’elle fut la première à réaliser la synthèse créative. Les cinquantenaires et plus se souviennent de ces petites plaques émaillées aux pieds des façades d’immeubles: « Eau, et gaz à tous les étages », mais aussi éducation, santé, transports en commun…

Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire (antiquité, renaissance), la phase de synthèse créative débouche sur une crise, une rupture. Et c’est pendant cette période de déséquilibre plus ou moins longue que se construisent les champions de demain[3]. Cette crise, Schumpeter l’appelle la « destruction créatrice » avec son lot d’innovations dévastatrices. Un monde se termine, un nouveau émerge sans qu’aucune gouvernance politique n’y puisse rien… encore moins les branquignoles que nous avons aujourd’hui à notre tête, dont chaque action ne fait que bloquer l’élan de l’innovation, de la prise de risque et donc l’émergence des champions français de demain…

Décryptage de la crise actuelle sous l’angle du cycle de l’innovation :

La fin de la phase de synthèse créatrice caractérisée par l’économie du « low cost » si elle semble avoir des avantages immédiats pour le consommateur, se traduit en fait par une baisse du PIB des pays occidentaux estimée à environ 20%, avec chômage à la hausse et salaires à la baisse : combien d’année pour récupérer une telle perte de valeur ?

Il s’agit d’un véritable nivellement par le bas accompagné cyniquement par une certaine classe politique mondialiste se définissant comme « progressiste ».

Exemple concret : 480 000 caissières en France vouées à disparaître grâce aux caddys intelligents… Anticiper et les former, me direz-vous ? D’accord. Mais à quoi ?

« Innovation gap », c’est le nom que nos amis anglo-saxons donnent à la destruction créatrice marquant l’entrée dans un nouveau cycle. Le trou de l’innovation.

Les entreprises sont terrifiées à l’idée de tomber dedans. Regardez BlackBerry, qui vient de se faire racheter pour une semaine de chiffre d’affaire d’Apple alors qu’il y a dix ans il était le leader mondial. Dans le même secteur, qui se souvient des téléphones mobiles Matra, Sagem ou Alcatel ? Et Nortel, Kodak, Polaroïd, Swissair[4], TWA, American Air Line ? La liste fait froid dans le dos… Who’s next ?

La réalité de notre nouveau monde high tech, que cela plaise ou non, ce n’est plus seulement le remplacement de la personne (soulager le corps) c’est aussi et surtout le remplacement de l’intelligence (confisquer l’esprit ?) :

Intelligence artificielle, mémoire vive, moteur de recherche[5], traducteur automatique, pilote automatique… Tout cela était encore fait par le cerveau humain il y a 20 ans !

La question est : s’agit-il d’une invasion du champ de l’intelligence humaine nous menant à une nouvelle anthropologie ou simplement un moyen de diversification ?

Question subsidiaire : si c’est « simplement un moyen de diversification », comment allons-nous utiliser tous ces temps de cerveau disponible ?

Mon souhait très chrétien que, j’espère, vous partagerez, c’est que dans le basculement que nous vivons,  jamais l’individu ne soit oublié, que l’innovation soit toujours au service de la condition humaine.

Arnaud de Lamberticourt


[1] Nous y sommes : Logan, Free, Easy Jet,…

[2] Partager le progrès, c’est le plus sûr moyen de préserver la paix sociale…

[3] Bon nombre des leaders d’aujourd’hui sont nés pendant la crise de 29, par exemple Coca Cola.

[4] Il y a 15 ans, le président d’Airbus déclarait « Une commande de Swiss Air, c’est de l’or en barre »

[5] Demandez à un jeune s’il préfère aller faire des recherches à la bibliothèque (avec en plus ¾ d’heure de transports en commun) ou aller sur Google…

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