Politique

L’affront républicain

Le premier tour des élections municipales à peine passé, nous assistons depuis à des incantations furieuses qui ont toutes les caractéristiques de l’hystérie. Au pire, deux dizaines de villes risquent d’être gagnées par le Front National et voilà que le ban et l’arrière-ban du milieu politique déclare la patrie en danger. Droite et gauche qui il y a peu se renvoyaient leurs affaires respectives à la figure, et la liste est interminable, se rabibochent soudain sous le regard goguenard de l’électeur qui ne se laisse plus prendre à la comedia del arte. Letizia Ramolino avait eu le mot juste lorsque son usurpateur de fils s’était laissé aller à trop en faire : « comediante, tragediante ! »

Ainsi donc, une petite vingtaine de maires de villes moyennes mettrait en danger les valeurs de la république. Faut-il qu’elles soient bien branlantes pour qu’un peloton d’édiles les fassent à ce point vaciller ? À moins bien sûr qu’il ne faille prendre le terme « valeurs » dans son acception financière. Ce qui ne serait pas aussi surprenant que cela pour peu que l’on veuille bien considérer le nombre impressionnant d’affaires où droite et gauche sont mouillées. Depuis 40 ans, nous assistons à une partie de billard à deux dans laquelle UMP (RPR) et PS se passent et repassent le pouvoir, quand ils ne se le partagent pas au hasard des cohabitations. Il est clair que l’introduction d’un troisième joueur dans la partie contribuerait à réduire la part de gâteau à laquelle ils s’étaient habitués.

On appelle donc au front républicain contre l’impudent parti qui entend bien participer aux agapes républicaines. On imagine bien Don Copéo et Don Désirio s’adresser à Dona Marinella, Capo di tutti capi du FN, en ces termes : « Écoute, ça n’a rien de personnel, c’est seulement les affaires. » Et tout d’un coup, tout s’éclaire, notamment l’expression « le milieu politique ». Vous croyez que je pousse le bouchon un peu loin ? Ce dimanche, André Santini pourtant condamné en janvier 2013 à deux ans de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds a non seulement eu le front de se représenter mais il a été élu dès le premier tour avec 67% des suffrages. Patrick Balkany, maire sortant de Levallois-Perret sous le coup d’une enquête pour blanchiment de fraude fiscale et d’une information judiciaire pour détournement de fonds a également été élu dès le premier tour en totalisant 51,57% des votes. Là, aucun front républicain pour dénoncer ces voyous sans la moindre vergogne qui entendent bien continuer à prélever leur part.

Comment les électeurs, tels Marcellus s’adressant à Horatio, ne peuvent-ils pas en arriver à ce constat : « Something is rotten in the state of France ». Méprisés, infantilisés, sommés scrutin après scrutin d’avoir à faire le choix entre la peste et le choléra, ceux qui en ont eu la possibilité se sont jetés sur la seule solution qui n’avait pas encore été vraiment testée. On peut penser que le FN n’est qu’un parti républicain de plus, mais comment leur en vouloir ? Ils ont cru aux belles paroles de chaque camp sans que leur situation et celle du pays ne s’améliorent. Ils se sont prononcés en 2005 contre le traité constitutionnel européen que l’on s’est empressé de faire adopter par le congrès quelques années plus tard après un sommaire maquillage afin de sauver les apparences. Depuis quarante ans on ne cesse de les culpabiliser pour la traite des noirs, comme si tout le pays s’était lancé dans le commerce du bois d’ébène. On ne cesse de les pousser à faire acte de repentance pour la colonisation, comme si elle n’avait pas eu le moindre aspect positif et qu’elle avait été unanimement désirée par le peuple français. Depuis des lustres ils doivent accepter de voir leurs villes devenir des cloaques cosmopolites et interlopes, de voir leurs enfants raillés parce que chrétiens, rackettés parce que ce sont des « faces de craie ». Le tout sans que les gouvernants au pouvoir, de droite comme de gauche ne s’en émeuvent, sauf bien sûr à l’approche d’une échéance électorale.

Alors l’électeur se rebiffe et envoie tout ce beau monde aux pelotes. Car il a fini par comprendre que les donneurs de leçons ne s’appliquent pas à eux-mêmes ce qu’il doit supporter au quotidien. Ils vivent loin de la racaille, dans des quartiers résidentiels où les trottoirs sont propres et les murs non tagués. Leurs enfants ne risquent pas d’être rackettés dans les coûteuses écoles privées où ils usent leurs fonds de culotte. Alors il se dit que tout a été essayé sauf le FN et que si ça ne change pas sa vie, ça ne pourra pas être pire.

Comment ne pas être désespéré en voyant ce gâchis ? Comment ne pas en vouloir à cette république de coquins ?

Pascal Cambon

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