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Dieu, le roi, la famille et le travail

L’expérience apprend comment il faut œuvrer dans la vie. Car nous serons jugés sur nos œuvres –  les prières et les dévotions faisant partie, en dernière extrémité, des œuvres.

Il est absolument essentiel d’œuvre dans le bon ordre, car, comme souvent, l’erreur ne tient pas dans quelque chose de foncièrement faux, mais dans le mauvais ordonnancement – et par là la mauvaise pondération – de plusieurs choses vraies. Nous retrouvons exactement ce même schéma dans l’ordonnancement des fins, qui doivent être soumises les unes aux autres selon leur importance.

Notre première et « dernière » fin est évidemment Dieu, auquel tout doit être soumis – entendez ordonné – sans compromis possible. C’est notre fin surnaturelle. Nous avons ensuite nos fins naturelles, c’est-à-dire qui constituent notre nature : vivre en société et donc servir le bien commun, soit servir le roi, servir la famille du fait des liens du sang. Enfin nous avons nos fins « vocationnelles » pourraient-ont dire, celles qui dépendent de notre vocation et de notre « état » propre : en bref notre travail, au sens large du terme.

C’est bien dans cet ordre qu’il faut servir dans nos œuvres : Dieu premier servi, la famille second servie et enfin nos devoirs professionnels. Rien ne doit changer cet ordre au risque de bouleverser l’ordre entier. Celui qui privilégierait avant tout le travail, sacrifierait sa famille pour sûr, et sacrifierait aussi le service de Dieu – car sacrifier sa famille revient à sacrifier ses devoirs naturels, sans lesquels on ne peut proprement remplir ses devoirs surnaturels. Celui qui privilégierait la famille avant Dieu perdrait le sens du surnaturel et tomberait dans un orgueil de groupe, dans un égoïsme de clan, comme on le voit si souvent dans les cultures païennes qui « divinisent » la race sur tout salut individuel et sacrifient tout à la prospérité du groupe, sans plus connaître ni la sainteté, ni le martyre, ni l’honneur bien placé.

C’est pourquoi toute vie d’œuvres bien équilibrée commence par le service à Dieu : se débrouiller pour se trouver toujours en état de grâce, vivre de la prière et des actions de grâces, vivre des sacrements, puis, de là, de ce capital surnaturel de grâce, nous pouvons déverser ces grâces vers nos proches et sanctifier toute la famille. Celle-ci est ensuite la priorité : la maison devenue un monastère est habitée par la joie pieuse et chrétienne grâce aux efforts de toute la famille. Cela rend surnaturellement et naturellement le foyer invincible : aucune déconvenue matérielle, aucune épreuve terrestre ne pourra venir à bout de cette citadelle imprenable, vivier de saints et de martyres. Enfin, et enfin seulement, le travail et les œuvres subalternes trouvent leur place. Surtout dans notre monde où trop de gens s’inventent des « fins » partielles et minuscules dans ces réussites mondaines, ou dans des œuvres qui oublient les fins supérieures. Toutes les fins subalternes – qui n’en restent pas moins importantes et fructueuses – ne pourront être utiles qu’autant qu’elles sont sanctifiées par une pratique pieuse et confortée par la chaleur du foyer protecteur.

Car là se trouve l’importance de cette ordre : celui qui place tout dans le travail, ou dans toute fin subalterne, perdra tout du jour au lendemain, et sera éternellement dépendant « du monde » dans tout ce qu’il fait – et donc il ne pourra pas le faire excellemment, juste correctement peut-être. A l’inverse, celui qui met en bon ordre famille et travail se libère « du monde » : il peut tout perdre au travail, peu importe, car il a sa famille, plus solide que toutes les vanités du monde. Mais cela ne suffit pas, car il peut perdre aussi toute sa famille si Dieu le veut – voir Job-, et seule l’union à la fin dernière qu’incarne Jésus-Christ peut transcender les liens terrestres familiaux en liens surnaturels qui dépassent la mort naturelle.

Seulement là nous pouvons travailler comme Dieu le veut : pour le salut des âmes. D’abord la sienne propre – l’amour du prochain est l’amour de Dieu et elle commence par soi-même-, ensuite celle de sa famille – et là il y a véritablement de quoi ancrer la bonne parole dans le cœur des enfants-, enfin dans les œuvres, autant de graines jetées partout dans la société mais dont nous ne savons jamais vraiment l’effet, et dont il ne nous faut pas attendre de consolations – sans pour autant cesser de semer les bonnes graines. Savoir se résigner dans l’opiniâtreté combattive nourrie par la foi et l’harmonie familiale.

Deux questions se posent alors. Les religieux sont-ils dans ce schéma ? N’ont-ils plus de famille ? Leur travail devrait-il passer après la famille ? Oui, ils sont dans ce schéma, car ils ont deux familles : celle du sang, et celle de leur ordre, ou de leur diocèse, ou de l’Eglise (comme tout fidèle d’ailleurs). Et non, leur travail ne passe pas « après », ou plutôt le religieux, le clerc n’a plus de « travail », car son travail est Dieu, ni plus de famille en ce sens, car sa famille est Dieu. Pour le religieux, l’ordre devient Dieu, Dieu et Dieu. Nous pourrions aussi affirmer quelque chose de similaire pour le noble : il n’a plus de travail, ou son travail c’est la famille au sens élargi de cité – quel que soit sa taille, d’une seigneurie à un pays – et pour le noble l’ordre devient Dieu, famille et famille.

L’autre question : et le Roi dans cette histoire ? D’une manière schématique il se trouverait entre Dieu et la famille, comme pont entre surnaturel et le naturel, comme lieutenant de Dieu sur terre assurant aussi, comme famille des familles, l’harmonie de tout le pays. Et les clercs se trouveraient en parallèle en quelque sorte, mais sur un autre ordre, l’ordre du spirituel, là où le roi est dans l’ordre du temporel.

En vérité, cette présentation linéaire est inexacte et porte à confusion : elle incite à vouloir mettre les différentes dimensions en compétition, ce qui provoque des conflits dont l’histoire nous montre les déboires. En vérité, le Roi se trouve un peu sur chaque plan, et selon le plan, nous devons nous ordonner à lui. En tant que Roi Très Chrétien, en tant que lieutenant de Dieu sur terre, en tant que lien entre le Ciel et la Terre (ce dernier aspect est aussi présent chez la plupart des royautés païennes et constitue l’élément facilitant la conversion des païens), le roi appartient au domaine de Dieu, et en ce domaine, il doit être servi en premier. En tant que roi de tout le Royaume, en tant que Père des sujets, en tant que famille des familles, il fait partit de l’ordre de la famille et doit être servi sur ce plan. En tant que chef « politique », en tant que chef d’état, en tant que chef de l’administration, en tant qu’auteur des directives économiques et pratiques il se rattache au troisième domaine, et doit être servi en conséquence.

Un fonctionnaire d’une monarchie voit plutôt son roi comme son travail, là où le vassal et le sujet comme son père, ce qui change le lien de la nature du service dû, qui passe de « devoir d’état », à « fidélité charnelle ». L’union dans la foi et l’union mystique opérée dans le sacre entre le roi et ses sujets fait passer la nature du lien de la fidélité charnelle à la fidélité spirituelle et au mariage surnaturelle.

La réelle difficulté, comme toujours, est l’application en pratique, quand survient des conflits de fidélité entre les différents ordres et selon le domaine échéant : on pourrait imaginer tous les cas de figure, où le roi doive passer avant le travail, mais pas avant la famille, d’autres avant le travail et la famille, mais ce serait un sujet casuistique que nous nous réservons pour une autre fois.

Seule l’histoire, l’expérience et la vertu de prudence dans la prière doivent nous permettre de discerner le temps venu.

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France,

Paul-Raymond du Lac

Une réflexion sur “Dieu, le roi, la famille et le travail

  • PELLIER Dominique

    Christ ne nous enjoint-Il pas à nous préoccuper du Royaume de Dieu avant toute chose ???

    Répondre

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