Politique

Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 13 : L’avènement des premiers Capétiens

TEXTE DE BOSSUET

Hugues Capet (an 987)

Comme je tire mon origine des Capévingiens [ndlr : Capétiens], j’ai dessein d’écrire leur histoire plus au long que je n’ai fait celle des deux races précédentes1.

Hugues Capet, chef de cette dernière race, fut couronné à Noyon par l’archevêque de Reims, l’an 987. Six mois après, il associa son fils Robert à la royauté ; mais les premières années de ce règne ne furent point paisibles, soit parce que plusieurs seigneurs d’au delà de la Loire refusèrent de reconnaître la royauté de Hugues, soit parce que Charles, duc de Lorraine, outré de douleur de se voir privé du royaume, leva ses troupes, et se rendit maître de Laon et de Reims. Hugues marcha d’abord contre les seigneurs d’Aquitaine, qu’il obligea de reconnaître sa souveraineté. Borel, comte de Barcelone, lui rendit aussi ses hommages. Hugues tourna ensuite ses armes contre Charles, qui d’abord le défit et l’obligea de s’enfuir; mais ce prince n’ayant point su profiler de ses avantages, se renferma dans la ville de Laon, dont le roi Hugues gagna l’évêque. Ce traître, nommé Ascelin Adalbéron, lui livra Charles, qui fut conduit à Orléans, où il mourut quelque temps après : il laissa trois enfants qui se réfugièrent en Allemagne. Quoique Hugues fût puissant par lui-même, son autorité était cependant affaiblie par celle que les seigneurs s’étaient arrogée dans leurs provinces, et ce prince soutenait le nom de roi et la majesté du trône plutôt par adresse et par prudence, que par force et par empire. Il mourut après un règne de dix ans, et fut enterré à Saint-Denis. Il laissa le royaume à son fils unique, Robert, qui commença à apaiser l’orgueil de quelques seigneurs.

Robert (an 997)

Ce prince avait épouse Berthe, veuve d’Eudes, comte de Blois, et sœur de Rodolphe III, roi de Bourgogne; mais, comme elle était sa parente, et qu’il ne lui était pas permis de l’épouser, le Pape Grégoire V, dans un concile de Rome, tenu en 998 déclara qu’il serait excommunié, s’il ne la quittait. Le roi se soumit,quoique avec peine. Henri, frère de son père, ayant laissé par testament le duché de Bourgogne à Othe-Guillaume, comte de Bourgogne, Robert prétendit que ce testament avait été suggéré; et, quoique ce comte eût mis dans ses intérêts plusieurs seigneurs français, le roi, aidé de Richard, duc de Normandie , se rendit maître de la Bourgogne, comme d’un héritage qui lui appartenait, et obligea Othe-Guillaume à se contenter de son comté situé au-delà de la Saône.

Robert, après avoir répudié Berthe, qui ne laissa pas de continuer à prendre le titre de reine, songea à contracter une nouvelle alliance et épousa Constance, fille de Guillaume Ier comte de Provence, femme altière et impérieuse, jusque-là qu’elle se servit des assassins que lui avait envoyés Foulques, comte d’Anjou, pour tuer Hugues de Beauvais, comte palatin, premier ministre du roi, parce qu’elle ne pouvait pas en disposer. Robert dissimula cette injure, pour éviter de plus grands inconvénients. Il mit à la raison, en partie par son autorité, et en partie par la force de ses armes, quelques seigneurs qui faisaient du bruit dans les provinces et violaient les droits de l’Église.

Comme il avait eu quelques démêlés avec l’empereur Henri II, après que les choses furent accommodées, on résolut, pour affermir l’amitié entre ces deux princes si illustres par leurs vertus, de les faire trouver l’un et l’autre à une entrevue : ils s’avancèrent sur les bords de la Meuse, qui séparait leurs États. Il y avait des bateaux prêts pour les porter au milieu de la rivière, où ils devaient parler ensemble ; car c’est ainsi que les choses avaient été réglées. L’empereur ayant passé le premier à l’autre bord de la rivière, fut reçu par le roi avec toute sorte de magnificence et d’honneurs. Le lendemain, le roi alla aussi voir l’empereur, qui lui fit un traitement semblable à celui qu’il avait reçu.

On remarque dans le roi Robert plusieurs vertus admirables, entre autres, sa piété et sa clémence. Il fit communier quelques personnes qu’on accusait d’avoir conspiré contre lui, et après il ne voulut pas qu’on les recherchât de ce crime, disant qu’il ne pouvait se résoudre à se venger de ceux que son Maître avait reçus à sa table. Il était charitable envers les pauvres; il en avait même deux cents à sa suite, qu’il servait en personne, et nos historiens remarquent qu’il en avait guéri quelques-uns par son attouchement. Son soin principal était de faire que les seigneurs rendissent la justice à leurs peuples, et il employait à cela toute son autorité.

Il avait eu un fils aîné, nommé Hugues, qu’il avait fait couronner de son vivant, et que la mort lui enleva à l’âge de vingt-huit ans, en 1026. Enfin, après un règne de trente-quatre ans, il mourut à Melun en 1031, et laissa trois fils, Henri, Robert et Eudes : le premier fut son successeur, et le second fut la tige des anciens ducs de Bourgogne.

Henri Ier (an 1031)

Constance, déjà indignée de ce qu’Henri avait été fait roi du vivant de son mari, en 1027, au lieu de Robert, son cadet, qu’elle favorisait, recommença ses brigues lorsqu’il fut monté sur le trône. Elle attira dans son parti quelques seigneurs, et obligea le roi de se retirer en Normandie, lui douzième : il en revint à la tête d’une puissante armée, avec laquelle il réduisit Robert; il traita de même son autre frère Eudes qui lui avait aussi déclaré la guerre. Ces troubles apaisés, il gouverna ensuite paisiblement le royaume; néanmoins, les dernières années de son règne, il eut du désavantage dans la guerre qu’il fit à Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, qui avait succédé à Robert II, son père, mort en Asie, dans la ville de Nicée.à son retour d’un pèlerinage qu’il avait fait dans la Palestine.

Ces pèlerinages commencèrent d’être à la mode, surtout parmi les seigneurs normands, qui donnèrent l’exemple aux autres. Foulques, comte d’Anjou, qui avait assassiné Hugues de Beauvais, fit à Jérusalem une pénitence publique de ses fautes; il voulut qu’un de ses domestiques le traînât par les rues, la corde au cou, jusqu’au saint Sépulcre, pendant qu’un autre le frappait avec des verges : il demanda hautement pardon à Dieu, avec beaucoup de larmes.

Le roi Henri, après avoir fait sacrer, en 1059, son fils Philippe, âgé de sept ans, mourut l’année suivante à Vitry, château situé dans la forêt de Biève ou de Fontainebleau.

COMMENTAIRE DE LA RÉDACTION

Le miracle capétien commence dans l’attitude christique de rois très pieux, qui le sont d’autant plus qu’ils sont faibles : ils vont affermir leur légitimité, non par les armes et la force, mais par la prudence et l’exemple, et la miséricorde envers des vassaux félons.

Nous aimerions profiter de ce commentaire pour souligner comment le féminisme, — en tant que déviation de la mission féminine —, pouvait s’exprimer dans une société traditionnelle, plus consciente de la loi naturelle. Dans les temps anciens, cette déviation provenait plutôt d’un instinct maternel, poussé à l’extrême, au point d’aller contre la paix, le bien commun ou le bon sens. L’exemple de Berthe est frappant : une mère va semer le trouble pour favoriser son fils favori, envers et contre tout. Selon les lieux et les époques, ce genre d’abus se répètera, sous des formes différentes et avec des singularités pour chaque cas. Il pourra même atteindre les plus saintes : on se souvient de sainte Clotilde, qui ordonne l’assassinat de ses petits-fils pour favoriser ses fils, — elle s’en repentira longuement ensuite, en se retirant dans un couvent. Toutes ces histoires illustrent les conséquences de la désobéissance à la loi du Christ : la femme, laissée à ses passions, devient plus Ève que Marie ! Ainsi, dans les pays païens, la femme se retrouve placée sous un joug sévère, pour éviter les désordres ; dans un monde post-chrétien, elle participe activement à la dissolution de la société. Joseph de Maistre l’avait analysé prophétiquement :

« Toutes les législations en un mot ont pris des précautions plus ou moins sévères contre les femmes ; de nos temps encore, elles sont esclaves sous l’Alcoran2, et bêtes de somme chez le Sauvage : l’Évangile seul a pu les élever au niveau de l’homme en les rendant meilleures ; lui seul a pu proclamer les droits de la femme après les avoir fait naître en s’établissant dans le cœur de la femme, instrument le plus actif et le plus puissant pour le bien comme pour le mal. Éteignez, affaiblissez seulement jusqu’à un certain point, dans un pays chrétien, l’influence de la loi divine, en laissant subsister la liberté qui en était la suite pour les femmes, bientôt vous verrez cette noble et touchante liberté dégénérer en une licence honteuse. Elles deviendront les instruments funestes d’une corruption universelle qui atteindra en peu de temps les parties vitales de l’état. Il tombera en pourriture, et sa gangreneuse décrépitude fera à la fois honte et horreur3. »

Pour revenir à notre histoire, le péché et la révolte gâchent tout, et ce malgré un apparent respect de la loi naturelle : une mère aimant ses enfants au point de pécher, ou au point de faire pécher, au point de détruire la paix ne peut être qualifiée de « bonne mère » ; comme on pourrait dire qu’un homme viril au point d’user de la force et de la violence avec hubris pour soumettre les peuples à son empire ne pourrait être dit un « homme bon ».

Alors sachons rester à notre place, dans l’ordination à la loi de l’Évangile, pour que dans notre mission propre nous faisons les bonnes œuvres requises : comme Robert le Pieux servant ses serviteurs, s’occupant des pauvres et étant miséricordieux.

Paul de Lacvivier


1 C’est Monseigneur le Dauphin qui parle ici.

2 « L’Alcoran » désigne le Coran islamique.

3 Joseph de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, chap. II, pp. 322-323.

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