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Nouvelles d’Afrique

 

Les nouvelles me parvenant d’Afrique, ce continent où j’ai passé 24 années de ma vie, sont parfois décourageantes. Je reçois souvent des informations désespérantes, comme celles venant de mon dernier pays, le Tchad, qui est littéralement paralysé depuis des mois par une profonde crise sociale et économique, sur fond de blocage politique dû au maintien au pouvoir de l’inamovible Idriss Déby Itno. Sa récente réélection, pour un cinquième mandat, fut plus que contestable. Mais le rôle de l’armée tchadienne dans la lutte contre le djihadisme, que ce soit au Mali ou au nord du Cameroun et au Nigéria, a valu à Idriss Déby une certaine reconnaissance internationale. Ses pairs du contient l’ont même porté à la présidence de l’Union Africaine en janvier 2016. Ces derniers mois, les arrestations d’opposants ou de contestataires se sont multipliées, marquant ainsi la nervosité et le durcissement d’un régime vieux de 26 ans. Il y a quelques jours, un aspirant étudiant  d’Abéché me faisait part de son désespoir de n’avoir pu effectuer sa première rentrée universitaire, l’Université étant encore fermée. Le Tchad est un pays longtemps resté en marge de tout développement ; cependant, grâce au pétrole, il a connu ces dernières années un début de décollage économique ainsi que quelques signes de progrès, comme la bitumisation des rues de N’djamena, la capitale, ou l’amélioration des principaux axes du pays. Mais la manne pétrolière a également permis l’édification de fortunes aussi insolentes qu’ostentatoires qui, en cette période de crise économique causée par la chute des cours du pétrole,  exacerbent la rancune de tous les laissés pour compte qui luttent au quotidien pour leur survie.  

Que dire du Congo/Zaïre, où le président, tentant de s’accrocher au pouvoir, utilise la traditionnelle méthode héritée du régime Mobutu consistant à « acheter » une partie de l’opposition pour parvenir à ses fins. C’est ainsi qu’il a réussi à faire repousser la date des élections et à laisser planer le doute sur sa propre candidature, bien que la constitution actuelle lui interdit de solliciter un nouveau mandat.  Ces magouilles politiques se déroulent dans le microcosme politique de Kinshasa alors que loin, très loin, à l’est du pays, les massacres continuent en toute impunité dans la région de Beni et de Lubero. L’armée gouvernementale et les casques bleus onusiens se montrent incapables de protéger la population des exactions d’une mystérieuse milice islamiste venue d’Ouganda. Ailleurs, la sécurité n’est pas non plus garantie comme l’assassinat à Bukavu, la semaine dernière, d’une religieuse appartenant à une congrégation franciscaine, l’a encore démontré.

Que dire du Rwanda où l’un des plus sanglants dictateurs de ce bas monde continue à vouloir se faire passer pour un président visionnaire alors que sa courageuse opposante Victoire Ingabire croupit en prison depuis 2010 pour le simple fait d’avoir tenté de se présenter aux élections présidentielles. Le 31 décembre, cela fera mille jours qu’un chanteur et auteur-compositeur est emprisonné. Lui n’avait pas tenté de se présenter aux élections. Il a été condamné pour avoir chanté non seulement pour la paix et de la réconciliation mais aussi en faveur de la reconnaissance de toutes les victimes du génocide, qu’elles soient tutsi ou hutu. Non content d’opprimer son peuple depuis 22 années, le dictateur cherche à détourner l’attention de la communauté internationale en lançant des procédures pseudo-judiciaires contre des responsables civils et militaires français, pour à nouveau tenter de faire accroire que la France a joué un rôle dans le déclenchement et la perpétration du génocide, alors qu’il en est lui-même le premier responsable.

Il arrive cependant que de bonnes nouvelles nous parviennent du continent africain. Certaines de ces bonnes nouvelles sont parfois totalement inattendues. Il en est une qui relève presque du miracle. Je veux parler de la défaite surprise du président dictateur thaumaturge Yaya Jammeh, à la tête de la Gambie depuis 26 années. Dans mon article « La Gambie, une « république » méconnue », j’ai décrit son régime ubuesque et féroce. Eh bien c’est dans ce petit pays d’Afrique de l’ouest, enclavé dans son voisin sénégalais, que l’impensable s’est produit ! Le candidat de l’opposition  Adama Barro est arrivé en tête aux élections présidentielles de la semaine dernière, devançant largement le président sortant, qui avait pourtant prédit qu’il dirigerait la Gambie pendant un milliard d’années. Le plus incroyable est que Yaya Jammeh a non seulement accepté le résultat des élections mais qu’il a aussi décroché son téléphone pour féliciter le président élu ! Les effets de cette divine surprise n’ont pas tardé à se faire sentir. Les Gambiens sont descendus dans les rues pour manifester leur joie et célébrer la « nouvelle Gambie ». Et surtout l’opposant Ousseynou Darboe, emprisonné depuis des mois, a été libéré. Il faut cependant demeurer vigilent et observer avec attention la suite des évènements. La prise de fonction du nouveau président n’interviendra qu’en janvier prochain et d’ici là Yaya Jammeh demeure chef de l’État et surtout chef de l’armée, dont il est issu, et des services de sécurité, qui lui sont loyaux. Le dictateur sortant, âgé de 51 ans seulement, a prouvé, par le passé, qu’il peut être fantasque et totalement imprévisible. Espérons qu’il saura respecter le jeu démocratique jusqu’au bout. 

Une conséquence heureuse de cette élection gambienne est que la Gambie ne quittera finalement pas la Cour Pénale Internationale. En effet, le président élu a déjà annoncé son intention de revenir sur la récente décision de Yaya Jammeh, qui avait voulu suivre l’exemple du Burundi et de l’Afrique du Sud en claquant la porte de ce tribunal basé à La Haye. Pour justifier leur décision, les dirigeants de ces pays évoquaient un soi-disant parti pris de la CPI contre l’Afrique. Ce sont en effet des responsables ou des chefs de guerre africains qui ont été déférés et jugés dans cette Cour depuis sa création en 2003. À cela il serait facile de rétorquer qu’avant même la création de la CPI un autre tribunal international avait été créé pour juger les crimes de guerre commis dans l’ex-Yougoslavie ; et d’ajouter que c’est l’Afrique qui a été le théâtre des pires guerres civiles et des plus épouvantables dictatures, depuis le début de ce siècle, même si ce qui se passe en Syrie ou en Irak devrait aussi susciter l’intérêt de la justice internationale. Signalons enfin que la procureure de la CPI se nomme Fatou Bensouda et qu’elle est… gambienne !

C’est précisément devant cette Cour que s’est ouvert le 6 décembre, le procès de Dominic Ongwen, un ancien chef de la LRA, l’Armée de Résistance du Seigneur. Cette guérilla du nord de l’Ouganda, je l’ai connue de près, lorsque je travaillais dans cette région, à la fin des années 90. Elle était d’ailleurs au centre de mon premier livre, « Kadogo Enfants des guerres d’Afrique Centrale[1] ».   Depuis lors, je n’ai eu de cesse, dans mes livres et dans mes articles, de dénoncer les crimes épouvantables de ce groupe armé, tant en Ouganda que dans les pays voisins, Sud-Soudan, RD Congo et Centrafrique. Je devrais donc me réjouir que l’un de ses principaux responsables soit enfin jugé. Ce n’est pourtant pas le cas, car Dominic Ongwen est un ancien enfant soldat, recruté de force par la LRA et transformé à son tour en bourreau. La tâche de la CPI sera donc très délicate, car le cas de  Dominic Ongwen symbolise parfaitement toute la complexité du problème des enfants soldats. Peut-on réellement condamner quelqu’un qui a été kidnappé à 14 ans, qui a été contraint par la terreur à commettre des actes innommables, qui a vécu dans l’isolement dans la brousse et a été conditionné pendant des années par des chefs sectaires et ultra violents ? C’est Joseph Kony, le fondateur et chef incontesté de la LRA qui devrait faire face à ses juges. Malheureusement, Kony court toujours et il continue à perpétrer des crimes.  Il n’a toujours pas été capturé, malgré les promesses de récompense. Aux dernières nouvelles il se trouverait toujours, avec ses fidèles et ses captifs, dans des zones très reculées de République Centrafricaine.

L’autre bonne nouvelle venue d’Afrique est la tenue d’élections libres et démocratiques au Ghana, ce 7 décembre. Le président sortant, John Dramani Mahama, au pouvoir depuis 2012, a fait face à six autres candidats. Le Ghana a connu plusieurs alternances politiques. C’est aussi un pays en pleine croissance économique. Il est donc devenu un exemple pour le reste du continent et il constitue une preuve éclatante qu’il existe, en Afrique, des pays qui réussissent à combiner la liberté, la démocratie, le respect des droits de l’Homme et le développement. Espérons donc que ces nouvelles élections confirmeront qu’il est toujours possible de croire en cette Afrique-là.

Une autre nouvelle positive est venue de Libye, où les forces de Tripoli sont venues à bout des hommes de l’État islamique retranchés dans la ville de Syrte qui était devenu leur bastion. Cette victoire militaire ne signifie malheureusement pas la disparition du péril islamiste en Libye et la fin du chaos sanglant que connaît ce pays depuis la chute de Kadhafi.

Comme quoi, s’il faut se garder de tout optimisme exagéré, il ne faut pas non plus sombrer dans l’afropessimisme.



[1] Kadogo, Enfants des Guerres d’Afrique centrale, l’Harmattan, 2003. 

Hervé Cheuzeville

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