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L’indifférence et le mépris

Dans un pays africain de 18 millions d’habitants, un pays lié à la France par tant de liens historiques et culturels, où vivent de nombreux Français, un processus démocratique vient d’être interrompu. Ce pays, c’est le Burkina Faso, autrefois connu sous le nom de « Haute-Volta ». Les responsables du putsch sont des militaires proches du régime renversé par un soulèvement populaire en novembre 2014. A l’époque, le Burkina Faso avait été un exemple lumineux pour toute l’Afrique. Le dictateur avait été poussé vers la sortie par son propre peuple. Ce chef d’Etat était arrivé au pouvoir en 1987, à la suite d’une sanglante révolution de palais. 27 années à la tête du pays ne suffisaient pas à Blaise Compaoré. Il tentait encore de s’accrocher au pouvoir en faisant modifier la constitution qu’il avait lui-même promulguée afin de parer son régime d’oripeaux démocratiques. Le peuple burkinabè est descendu  dans la rue, bravant les balles des forces de répression, paralysant la capitale. Cette détermination populaire finit par avoir raison de l’homme fort de Ouagadougou, contraint à un exil sans gloire. Depuis, un régime transitoire avait pris les rênes du pays, avec un diplomate respecté comme président par intérim. Cette transition devait s’achever le mois prochain avec la tenue d’élections générales.

Nul doute que le soulèvement de novembre 2014 avait fait trembler bon nombre de dinosaures africains, au pouvoir depuis des lustres et cherchant par tous les moyens à y demeurer. L’homme qui tente de s’imposer à la tête du Burkina Faso depuis le coup d’Etat des 16 et 17 septembre, le général Gilbert Diendéré, 55 ans, est loin d’être un inconnu. Il a fait toute sa carrière dans l’ombre de l’ancien homme fort. Déjà en 1987, c’est cet officier que Blaise Compaoré avait envoyé liquider son ami et frère d’arme le capitaine Thomas Sankara, charismatique leader du pays depuis 1984. C’est ce sanglant règlement de comptes qui avait permis à Compaoré de s’emparer du pouvoir. Nommé chef d’état-major particulier du président et à la tête du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), il a assuré la sécurité du Chef de l’Etat pendant ses 27 années de pouvoir, éventant toute velléité de coup d’Etat ou de complot, réel ou imaginaire. On murmure même qu’il aurait joué un rôle dans le meurtre de Norbert Zongo, le célèbre journaliste burkinabè assassiné en 1998 alors qu’il enquêtait sur la mort mystérieuse de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère du président. Ce crime avait alors suscité l’indignation, tant nationale qu’internationale. En novembre 2014, c’est le général Diendéré qui facilita l’exfiltration de Blaise Compaoré vers la Côte d’Ivoire, afin de lui permettre d’échapper à l’arrestation et à un éventuel procès. C’est donc l’homme lige de l’ancien dictateur qui a mis fin au processus démocratique burkinabè et qui tente en ce moment d’imposer son pouvoir par la force. Le peuple semble rejeter ce véritable retour en arrière et la mort de plusieurs manifestants est déjà à déplorer.

Le coup d’Etat des 16 et 17 septembre a été unanimement condamné. L’Union Africaine a suspendu le Burkina Faso. La France et L’Union Européenne réclament la libération des dirigeants de la transition et la reprise du processus devant conduire aux élections d’octobre.  Les présidents Macky Sall, du Sénégal, et Boni Yayi, du Bénin, sont arrivés vendredi 18 septembre à Ouagadougou afin d’y mener conjointement une tentative de médiation entre les putschistes et la classe politique burkinabè. Ces efforts africains permettront-ils d’arriver à un accord conduisant au retour des militaires de la DSP dans leur caserne et à la tenue des élections tant attendues ? S’il est encore trop tôt pour pouvoir l’affirmer, il est réconfortant de voir des dirigeants africains s’impliquer pour permettre un retour sans délais à la démocratie.

Vu de France, ce qui est le plus choquant, dans cette affaire, c’est le silence de nos « grands médias ». Le coup d’Etat de Ouagadougou n’a pratiquement pas été évoqué par les grandes chaînes de télévision qui ont préféré donner la priorité à la crise des migrants et aux intempéries qui ont frappé une partie du midi de la France. Or, l’instabilité dans un pays sahélien, de surcroît frontalier du Mali, ne devrait pas laisser indifférent. Une aggravation de la situation au Sahel ne pourra qu’encourager davantage d’habitants de cette région à tenter l’aventure hasardeuse qui les conduira à travers le Sahara jusqu’aux rives de la Méditerranée, dans l’espoir insensé de gagner l’Europe.

Quelques jours avant le coup d’Etat du général Diendéré, le président Muhammadu Buhari avait effectué une visite officielle de deux jours en France. La majorité de mes lecteurs n’en a sans doute pas entendu parler, nos grands médias n’en ayant pas soufflé mot. Nombre de Français ignorent d’ailleurs qui peut bien être ce Muhammadu Buhari. Cet ancien général de 72 ans a été élu président de la République Fédérale du Nigéria en mars dernier, l’emportant face au président sortant. Il s’est donc retrouvé à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (177 millions d’habitants). La population de ce pays anglophone dépasse, à elle seule, celle, combinée, de tous les pays d’Afrique francophone ! Le Nigéria, premier producteur de pétrole d’Afrique, sixième exportateur mondial d’hydrocarbures, a la principale économie du continent, avec l’Afrique du Sud. Enfin, ce pays fait face au terrorisme islamiste incarné par Boko Haram, un groupe armé criminel qui terrorise les populations du  nord-est ainsi que celles des régions limitrophes des pays voisins, Cameroun, Tchad et Niger. Pour toutes ces raisons, politiques, économiques et sécuritaires, la venue en France du président  Muhammadu Buhari aurait dû être considérée comme un évènement important et les grands médias auraient dû s’en faire largement l’écho. Cela n’a pas été le cas. Les grandes chaînes de télévision (hormis France 24, bien sûr) n’en ont pas pipé mot, ainsi que les principales radios, à l’exception de RFI. Mais qui regarde France 24, qui écoute RFI, en France ? Ces deux médias d’Etat sont davantage suivis en Afrique que dans le pays qui les a créés !

Pourquoi tant d’indifférence de la part des grands médias français à l’égard de l’Afrique ? Pourquoi tant de mépris ? Mépris à l’égard de ce continent mais aussi envers les Français, sans doute jugés incapables de s’intéresser à l’actualité africaine. Or cette dernière est liée à d’autres problèmes qui, eux, « font » l’actualité. C’est particulièrement le cas avec la crise des migrants qui monopolise la Une des journaux télévisés et de la presse écrite depuis des semaines, ou avec la montée du terrorisme islamiste, originaire du Proche-Orient mais aussi d’Afrique, comme on l’a vu au Mali et au Nigéria. Les courageux manifestants qui, au Burkina Faso, tentent de s’opposer à mains nues au retour des militaires au pouvoir apprécieraient certainement de savoir leur lutte relayée par les grands médias français. L’Afrique mérite davantage que cette indifférence et ce mépris.

Hervé Cheuzeville

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