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[Poésie] Il chante l’AVE MARIA

Il chante dans la rue sous la pluie l’AVE MARIA avec cette voix de ténor qui fait monter les larmes aux yeux. Il chante avec l’amour de son cœur et la maîtrise des notes. Il chante sous le regard des adultes et surtout des enfants qui viennent mettre quelques pièces ou un billet dans son chapeau renversé, posé sur le trottoir. Il chante imaginant peut-être qu’il est encore sur une scène d’opéra, ne se posant pas la question de savoir comment il en est arrivé là, lui, le grand ténor qui a connu tant de succès, mais a dû commettre une erreur, une seule, ou peut-être qu’il n’a rien commis du tout mais que le destin lui a joué un si mauvais tour qu’il chante maintenant dehors sous la pluie et sous l’œil émerveillé des enfants qui ne voient pas sa misère, mais dévorent ses paroles.

Il chante si magnifiquement l’AVE MARIA qu’il est difficile de maîtriser son émotion. Comment a-t-il pu tomber si bas et se retrouver dans cette situation si inconfortable ? Il chante comme s’il ne ressentait pas le froid, la pluie, l’humidité, n’imaginait pas le questionnement muet de tous ces gens qui passent devant lui et se demandent comment cet homme peut continuer à vivre dans cette situation. Il dispose d’une telle voix, une voix travaillée, une voix qui a dû connaître tant d’applaudissements.

Il chante avec tant d’émotion l’AVE MARIA qu’on peut fermer les yeux et se croire quelques minutes à la Scala de Milan ou ailleurs. Il chante de cette voix si veloutée qu’on se transporte dans les airs à la recherche de la Vierge Marie. Elle ne peut pas rester indifférente à cette voix, à ce message et à tout ce que cet homme a pu subir pour en arriver à chanter sous la pluie. Il chante pour enchanter ceux qui l’écoutent et ces enfants, qui croient que cette voix vient du ciel, des anges certainement. 

Il chante en oubliant le temps et les gouttes de pluie, voulant croire à un miracle, au passage d’un directeur d’opéra qui reconnaîtrait en lui le célèbre chanteur qu’il avait été avant d’être quitté par une femme, sa femme, qui a choisi un homme fortuné pour vivre une vie plus facile, une vie sans la peur du lendemain, lui qui ne vivait qu’au présent et ne pouvait se projeter sur l’avenir. Il chante apaisant sa douleur dans la paix de cet AVE MARIA. Il chante pour ne jamais oublier que la musique est le meilleur des baumes pour ne plus penser à rien, et surtout pas à cette femme qui se promène maintenant en vison et ne pense déjà plus à lui, qui ne vivait que pour la musique, ne voulant pas voir la réalité du quotidien. Il chante et ne sait pas où il dormira ce soir en ce mois de décembre. Il chante, assuré que la Vierge Marie lui enverra un ange, une escorte d’anges pour qu’il reprenne confiance dans la vie, sa vie. Il chante…

 

Solange Heisdorf-Strimon

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