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Consentement des parents et validité du mariage, par Paul-Raymond du Lac

Le mariage, institué en tant que sacrement par Jésus-Christ, est aussi une institution naturelle décidée par Dieu dans ses fins et dans ses caractères fondamentaux, en particulier la monogamie. Jésus vient donner une onction supplémentaire, celle de la grâce du sacrement, à l’institution divine manifestée explicitement dans la Genèse. Le mariage parfait institué par Jésus-Christ exprime en outre l’union mystique entre Jésus et son Église, union de charité d’une Église consentante et du Christ — tout aussi consentant —, via des baptêmes eux encore consentis1.

Le consentement est donc la seule forme du sacrement du mariage, qui le permet et le rend valide. Cela est l’enseignement constant de l’Église depuis les origines2. Ce consentement des époux en tant que seule condition pour la validité du sacrement aux yeux de Dieu et de l’Église peut sembler à d’aucuns en contradiction avec le rôle fondamentalement politique de la famille et du rôle des parents dans l’autorisation du mariage. Certains même iraient jusqu’à dire qu’il est à l’origine de la Modernité et de la déstabilisation politique de la société3, alors même que, au contraire, l’Église du Christ vient tout purifier et remettre en ordre selon le plan de Dieu pour l’humanité.

On évoque parfois le décret Tametsi du concile de Trente, promulgué en 1563, comme l’origine supposée du déséquilibre de l’institution matrimoniale à la défaveur des familles élargies, entraînant le début de ce qui deviendra l’individualisme assumé à notre époque. Voyons sur pièce, pour cela. Citons l’ensemble du décret qui nous intéresse, assez court, qui concerne en fait essentiellement le problème des mariages clandestins :

« Chapitre 1.

[Motif et teneur de la loi] On ne doit certes pas douter que les mariages clandestins, qui se sont faits avec le libre consentement des contractants, sont des mariages valides et véritables, tant que l’Église ne les a pas rendus invalides ; aussi est-ce à bon droit que doivent être condamnés, comme le saint concile les condamne par anathème, ceux qui nient que ces mariages sont véritables et valides et affirment faussement que les mariages contractés par les fils de famille, sans le consentement de leurs parents, sont invalides et que les parents peuvent les faire valides ou invalides. La sainte Église néanmoins, pour de très justes raisons, a toujours eu ces mariages en horreur et les a défendus.
Mais le saint synode s’aperçoit que ces défenses ne servent plus à rien en raison de la désobéissance des hommes ; il pèse la gravité des péchés venant de ces mariages clandestins, particulièrement pour ceux qui demeurent dans l’état de damnation lorsque, après avoir abandonné la première épouse avec laquelle ils avaient secrètement contracté mariage, ils contractent publiquement un mariage avec une autre et vivent avec elle en un perpétuel adultère ; l’Église qui ne porte pas de jugement sur les choses secrètes, ne peut apporter remède à ce mal qu’en recourant à un remède plus efficace. C’est pourquoi, mettant ses pas dans les pas du saint concile du Latran [IV] tenu sous Innocent III, le concile ordonne ce qui suit. À l’avenir, avant que soit contracté un mariage, trois fois, trois jours de fête consécutifs, le curé des parties contractantes annoncera publiquement dans l’église, pendant la célébration des messes, entre qui le mariage doit être contracté. Ces annonces faites, si ne s’y oppose aucun empêchement légitime, on procédera à la célébration du mariage devant l’Église, après avoir interrogé l’homme et la femme ; une fois bien compris qu’il y a consentement mutuel de leur part, le curé dira : « Je vous unis par le mariage, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit » ; ou bien il se servira d’une autre formule, conformément au rite reçu de chaque province.

[Restriction de la loi] S’il y avait un soupçon plausible que le mariage peut être empêché par la mauvaise foi, s’il est précédé de tant d’annonces ; soit on ne fera qu’une seule annonce, soit même le mariage sera célébré en présence du curé et de deux ou trois témoins ; ensuite, avant la consommation du mariage, les annonces seront faites dans l’église afin que, s’il demeure quelques empêchements, ceux-ci soient plus facilement découverts, à moins que l’Ordinaire lui-même ne juge expédient d’omettre les susdites annonces, ce que le saint concile laisse à sa prudence et à son jugement.

[Sanction] Quant à ceux qui entreprendront de contracter mariage autrement qu’en présence du curé ou d’un autre prêtre autorisé par le curé ou l’Ordinaire, et devant deux ou trois témoins, le saint concile les rend absolument inhabiles à contracter de la sorte et décrète que de tels contrats sont invalides et nuls, comme par le présent décret il les rend invalides et les annule. »4

L’Église, dans sa sagesse, réaffirme la doctrine du Christ, qui est justement à l’origine du problème concret de ce décret : comme seul le consentement est nécessaire pour la validité du mariage, certains décident de se marier clandestinement. Il est bien dit que ces mariages clandestins sont valides. Mais étant secrets, ils posent des problèmes politiques sérieux, puisque le mariage est aussi une réalité politique, de l’alliance de familles, et de questions de justice envers les parents, les ancêtres et la société politique en générale.

Le décret est très clair :

« La sainte Église néanmoins, pour de très justes raisons, a toujours eu ces mariages en horreur et les a défendus.  »

Ces mariages clandestins sont très mauvais, quoique valides.

L’Église, à l’occasion, freine la tendance « paganisante » qui voudrait que ce sont les parents qui décident de la validité ou non du mariage, et in fine, qui pourraient être les maîtres du mariage. Ceci dit, que les mariages n’aient pas besoin du consentement des parents pour être valide, il faut bien qu’ils obtiennent l’autorisation des parents pour être licites, comme cela fut toujours le cas en chrétienté : les parents connaissant très bien leurs enfants, et pour des raisons d’alliances familiales, qui sont d’autant plus essentiels que la famille est dirigeante – comme pour les rois où un mariage implique évidemment toute une société politique, des raisons diplomatiques immenses, et ne pourraient évidemment ni s’autoriser de mariages clandestins, ni de décisions imprudentes.

Pour autant, en dernière instance, même dans ces cas, un mariage à proprement parler forcé ne serait pas valide. Il est pourtant évident que pour 99 % des cas, des enfants bien éduqués et plein de piété filiale, avec des parents bienveillants et pensant au bien de leurs enfants et au bien commun, dans ces décisions de mariage, emporterons le consentement des enfants sans véritable problème

Puisque le mariage est affaire de volonté commune entre les époux, la question n’est pas la passion ou la compatibilité des caractères — même si cela rentre en compte — mais bien de la volonté de fonder une famille ensemble avec un objectif commun. Quand deux fiancés, même ne s’étant jamais rencontrés, présentés par leurs parents pour des raisons politiques, sont confrontés à la décision du mariage, il est probable qu’ils acceptent, conscients de la mission qui leur incombe envers le bien commun : l’exemple de nos rois le montre, et les exceptions confirment la règle.

Ce décret, bien loin de créer un déséquilibre, vient au contraire remettre de l’ordre dans deux désordres potentiels, deux excès toujours d’actualité : soit faire du mariage une « propriété » des parents, ou plutôt des familles, soit faire du mariage un « caprice » des enfants, en oubliant son rôle politique, son caractère publique.

Notons quand même toute la sagesse et la bonté de ce décret qui, quoi que très clair dans l’obligation de publier les bans, laisse le soin aux ministres du culte de juger les cas où il y aurait danger de mauvaise foi de telles ou telles personnes pour restreindre cette publicité, sans autoriser le secret, ni les occasions de découvrir de véritables empêchements possibles (car la mauvaise foi peut aussi venir des fiancés), et tout en prévoyant les sanctions nécessaires contre les mariages secrets, que l’Église, dernier juge, peut annuler grâce au pouvoir de ses clefs — ce qui en pratique est excessivement rare.

Alors, il n’y a aucune contradiction. Notre temps est évidemment dans l’erreur complète de l’individualisme, oubliant le rôle des familles, des mariages « enragés », etc., du fait de l’oubli de la nécessité des corps politiques et intermédiaires au profit de « l’individu », et du fait d’un consentement mal compris. Le consentement n’a de sens que s’il est éclairé, raisonnable et dirigé vers le bien, — ce qu’en général les parents veulent dans le mariage pour leurs enfants.

La validité du sacrement, par ailleurs, n’est pas la même chose que la licéité du mariage, qui est « cogérée » en chrétienté par l’Église et par le Prince, qui peut ajouter aux règles religieuses des règles civiles sur la licéité d’un mariage, avec des sanctions comme des contraintes d’âge, d’autorisation parentale, etc., pour le bien de la société politique. Simplement, dans tous les cas, le mariage ne se fera in fine que sur l’échange des consentements. C’est un grand progrès par rapport au monde païen, qui vient réguler l’égoïsme clanique et la tyrannie du chef qui se prend pour une divinité ou oubliant le vrai Dieu !

C’est Dieu qui le veut ainsi, alors que ce soit ainsi. Amen !

Paul-Raymond du Lac

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !


1 Selon le Docteur Angélique, IIIa Pars, l’intention est requise chez le baptisé, au point qu’un baptême fait contre la volonté du baptisé devrait être refait :

« Question 68 ; Article 7 — L’intention est-elle requise chez le baptisé ?

« Objections : 1. Le baptisé, dans le sacrement, n’a que le rôle de patient. Or l’intention est requise, non chez le patient, mais chez l’agent.
2. Si l’on omet un élément essentiel au baptême, il faut que le sujet soit rebaptisé, comme si l’on omet l’invocation de la Trinité. Mais il ne semble pas qu’il faille rebaptiser celui qui n’avait pas l’intention de recevoir le baptême. Autrement, comme on ne peut être certain de l’intention, n’importe qui pourrait demander à être rebaptisé à cause de son défaut d’intention. Il ne semble donc pas que l’intention de recevoir le sacrement soit requise chez le baptisé.
3. Le baptême est donné contre le péché originel. Or, on contracte le péché originel à la naissance, sans aucune intention. De même, semble-t-il, le baptême ne requiert pas l’intention de la part du baptisé. En sens contraire, selon le rite de l’Église, les catéchumènes affirment publiquement qu’ils demandent à l’Église le baptême. Par là ils affirment leur intention de recevoir ce sacrement.

« Réponse : Par le baptême, on meurt à l’ancienne vie de péché pour commencer une vie nouvelle : « Nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle » (Rm 6, 4). Or, pour mourir à sa vie ancienne, il faut, dit S. Augustin, chez l’homme qui dispose de son libre arbitre, la volonté de regretter le passé ; de même est requise la volonté de commencer la vie nouvelle dont le principe est la réception même du sacrement. Par conséquent, il est requis du baptisé qu’il ait la volonté, ou l’intention, de recevoir le sacrement.

« Solutions : 1. Dans la justification opérée par le baptême, la passivité n’est pas contrainte, mais volontaire. Aussi l’intention de recevoir ce qui est donné là est-elle requise.
2. Si un adulte n’avait pas eu l’intention de recevoir le sacrement, il faudrait le rebaptiser. Si l’on n’en était pas certain, il faudrait dire : « Si tu n’es pas baptisé, je te baptise. »
3. Le baptême est donné non seulement contre le péché originel, mais aussi contre le péché actuel qui provient de la volonté et de l’intention »

« Aussi, un enfant qui reçoit le baptême, qui n’a pas l’usage de la raison, consent de l’intention de ses parents, de la « foi des autres »

2 Dentzinger, édition XXXVIII, 643, pour le premier décret, qui se retrouve chez saint Jean Chrysostome, et dans le Digeste.

3 Pierre de Meuse, La famille en question : ancrage personnel et résistance communautaire, Paris, La Nouvelle Librairie, 2021, 75 p.

4 Voir les n° 1813-1814 pour l’original latin.

3 réflexions sur “Consentement des parents et validité du mariage, par Paul-Raymond du Lac

  • Pierre de Meuse

    Vous répétez l’argumentaire tridentin, ce qui est logique vu vos options. Cela dit, on juge un arbre à ses fruits. Les conséquences du décret tametsi sont la suspension de ce canon par les États-généraux de 1614, l’institution du mariage civil, les sanctions de Choiseul sur les recteurs, et la catastrophe familiale actuelle. Le P. Boigelot disait, avec une ironie involontaire: “Par un patient travail séculaire, l’Église a travaillé à régler son compte au mariage arrangé, qui est, grâce à elle, devenu minoritaire à partir de 1890. Hélas, le démon a souillé cette oeuvre sainte.” Sauf que cet état d’esprit méconnaît la fonction première, sociale, du mariage. Tant que l’Église raisonnera ainsi, elle favorisera ceux qui la combattent.

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    • Cher Monsieur,

      Je pense vraiment que vous mélangez l’esprit très fin du XIXe siècle et ce qu’étaient la France et la chrétienté d’avant,

      Je suis désolé de dire qu’il n’y a pas plus équilibré que ce décret, qui n’est que le reflet de la doctrine catholique et le fruit d’un respect strict du droit naturel.

      Vous sous-estimez complétement les dérives graves et dures en pays païens, où la familia devient une petite officine totalitaire très oppressante. Quand je fais de l’Histoire du Japon, je vous assure que c’est assez effrayant, et qu’on oublie chez nous ces réalités. Dans un catéchisme de 1600, pour illustrer le commandement « Tu ne tueras point », on demande par exemple si un maître peut tuer un esclave dans le cas où celui-ci a fauté. La réponse du catéchisme est oui, mais le maître doit faire auparavant une enquête et obtenir l’autorisation du supérieur féodal.

      Or c’était un progrès, car en pratique, un chef de famille pouvait faire ce qu’il voulait, absolument tout, de tous ses dépendants — femmes (au pluriel) et enfants compris…

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      • Pierre de Meuse

        Cher Monsieur,
        Pour justifier ce décret funeste, vous invoquez les abus de l’autorité paternelle, qui ne font pas de doute: il y eut des pères de famille qui mésusèrent de leur autorité, soit par appât du lucre, soit par vanité, soit par vice. Cela dit, toutes les autorités de Droit naturel furent, à un moment donné, coupables de tels abus, y compris celle du souverain pontife. Est-ce une raison pour les dépouiller de leur droit? Je vous rappelle que les papes rachetaient des enfants pour les châtrer en vue de leur conserver leur voix dans les choeurs. Que les institutions de l’Église accumulaient les exceptions fiscales conduisant à des injustices. Pourtant, dans l’immense majorité des cas, les pères de famille recherchaient avant tout le bien de leurs enfants. Tout cela ne rendait pas légitime la décision de changer le Droit civil sans autorisation, sans respecter les libertés de l’Église gallicane ni l’autorité du roi. Souvenons-nous que le mariage, jusqu’au XI° siècle, est une institution laïque, ne faisant l’objet que d’une cérémonie sans prêtre, dans laquelle le père de famille seul officiait. Puis le curé remplaça le père de famille prononçant les paroles rituelles: “ego vos conjungo”, puis le Concile de Constance éleva le mariage en sacrement. Mais le mariage restait une institution avant d’être un contrat. Cela signifiait que le principe selon lequel la société fait partie du mariage et qu’il y trouve sa dignité subsistait. Avec le décret tametsi, l’institution est abolie, et le mariage devient un contrat à trois: le mari, l’épouse et Dieu. C’était sublime en intention, mais dans la réalité, la porte était ouverte pour la dissolution de la famille et l’abolition de la fonction de père de famille. C’est chose faite aujourd’hui. Qui veut faire l’ange fait la bête!

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