Chretienté/christianophobie

Zoom sur Sainte Anne, Mère de la très Sainte Vierge

Y a-t-il une seule ligne dans la Bible ou les Évangiles où il est question de sainte Anne, la Mère de la très Sainte Vierge ? Les évangiles qui racontent l’enfance de Jésus, ceux de Matthieu et de Luc, présentent seulement Marie comme une jeune fille de Nazareth, sans préciser qui sont ses parents. Elle en a pourtant eu, à une époque où il faut bien le reconnaître, les arbres généalogiques n’existaient pas ? Sainte Anne, Mère de la très Sainte Vierge, était pourtant vénérée en gGaule avant même l’apparition du christianisme et nous la fêtons ce jour.

Nous avons beaucoup de chance à notre époque d’en disposer. En France, les registres des naissances, mariages et décès sont tenus par les paroisses jusqu’en 1792. A partir du 20 septembre 1792, l’état civil passe aux mains des mairies. Les registres sont consultables aux archives jusqu’en 1901. Il pourra remonter suivant les communes jusqu’au début du 17° siècle. Les registres sont disponibles dans les archives communales ou départementales. Pratiquement tous les registres ont été microfilmés, ce qui évite des manipulations trop importantes.

Trois évangiles apocryphes, en particulier, mentionnent sainte Anne et dépendent étroitement les uns des autres : le Protévangile de Jacques, lÉvangile du pseudo-Matthieu et lHistoire de la Nativité et de l’Enfance du Sauveur. Le Protévangile de Jacques, texte grec daté des années 175, est le plus ancien des trois. Malgré sa condamnation officielle par l’Église dès le VIe siècle, son succès fut considérable. Il donna lieu à de nombreuses versions remaniées en latin, notamment aux deux autres apocryphes cités, lÉvangile de l’enfance du pseudo-Matthieu, de la fin du VIe siècle-début du VIIe siècle, et le Livre de la nativité de Marie, qui remonterait à l’époque carolingienne. De ces sources dépendent au XIIIe siècle Vincent de Beauvais (1190-1264) dans son Speculum historiæ et surtout le dominicain Jacques de Voragine quand il rédige, dans un style simple et imagé, sa Légende dorée*, et notamment les chapitres concernant l’histoire de Marie. Pourquoi Anne n’aurait-elle pas droit à une existence historique ?

Sainte Anne appartenait à ce peuple choisi qui, dans les desseins de Dieu, devait donner naissance au Sauveur des hommes. Elle était de la tribu de Juda et de la race de David et ses parents, estimables par leur origine. Dieu, qui avait prédestiné cette enfant à devenir l’aïeule du Sauveur, la combla des grâces les plus admirables. Après Marie, aucune femme plus que sainte Anne ne fut bénie et privilégiée entre toutes les autres.

L’Église célébrera dans tous les âges la piété maternelle de sainte Anne, et la gloire de sa Fille rejaillira sur elle de génération en génération. Le culte de sainte Anne a subi diverses alternatives. Son corps fut transporté dans les Gaules, au premier siècle de l’ère chrétienne, et enfoui dans un souterrain de l’église d’Apt, en Provence, à l’époque des persécutions. A la fin du VIIIe siècle, il fut miraculeusement découvert et devint l’objet d’un pèlerinage. Mais c’est surtout au XVIIe siècle que le culte de sainte Anne acquit la popularité dont il jouit.

Si l’on en croit  les historiens,  d’autres textes plus anciens, soit dans la Bible, soit dans la littérature ancienne relatent ce genre de situation : la difficulté d’être mère. Par exemple, comme souvent dans l’Ancien Testament s’agissant de ses « héros », la naissance de Marie a quelque chose d’inespéré et de miraculeux. Au chapitre 1 du premier livre de Samuel, une autre Anne reste longtemps sans enfant et implore Dieu de lui en accorder un. Comme Anne, elle voit son vœu exaucé et promet de confier l’enfant, Samuel, à Dieu. C’est aussi le cas de Sara, l’épouse d’Abraham, qui donne naissance à Isaac alors qu’ils sont tous deux très âgés (Genèse 18, 1-15, et 21, 1-7). Ou celui de la femme de Manoah, mère de Samson (Juges 13, 1-24). Ou encore, dans le Nouveau Testament, celui d’Élisabeth, femme de Zacharie, longtemps frappée de stérilité avant d’être enceinte tardivement de Jean le Baptiste (Luc 1, 7). De la même façon, l’annonce de ces naissances tardives se fait à chaque fois par l’intermédiaire d’êtres mystérieux : trois hommes parlant comme un seul et venus d’on ne sait où, pour Abraham et Sara ; l’ange de Dieu pour Manoah et sa femme, comme pour Anne et Joachim. Mais tenons compte du fait qu’être une femme âgée dans la Bible ne correspond en fait qu’à celui de la pré-ménopause, soit aux environs de 45/50 ans.  François Boespfug ** est certainement l’un des historiens contemporains qui a le plus contribué à donner à Sainte Anne une véritable identité et c’est bien en lisant un de ses livres que l’on découvre la richesse de ses écrits.

Sainte Anne est invoquée en de nombreuses circonstances quotidiennes. Cette intensification de la dévotion à sainte Anne doit être rapprochée de celle accordée à Marie, dévotion qui se développe alors autour de l’Immaculée Conception de la Vierge. C’est à partir de cette époque qu’Anne devient, comme Marie, un prénom masculin fréquent – que l’on pense seulement au connétable Anne de Montmorency (1493-1567). En France, deux reines favorisent son culte, Anne de Bretagne (1477-1514) et Anne d’Autriche (1601-1666).

Sainte Anne est honorée en Orient dès le Vème siècle où l’empereur Justinien élève une basilique en son honneur. En Occident, la dévotion à Sainte Anne semble avoir pris son essor à l’époque des croisades. Son culte est reconnu par Urbain VI en 1382. A noter que Sainte Anne est la sainte patronne de la ville de Florence, d’Innsbruck, de Naples, de la région Bretagne (avec Saint Yves !) et de la province de Québec. Elle assure sa protection aux tourneurs, sculpteurs, orfèvres, fabricants de balais et de gants, bonnetiers, couturières, dentellières, lavandières, blanchisseurs, cardeurs, chiffonniers, navigateurs (marins), mineurs, éducatrices chrétiennes, femmes en couche, valet d’écurie et libraires.

Si incomplet que soit cet article, il le serait encore plus si nous ne faisions aucune allusion aux très grands artistes peintres qui ont été inspirés par Sainte Anne, notre préféré restant  Giotto. Le culte de sainte Anne nous permet aussi de nous souvenir que Jésus, même si nous croyons qu’il est Dieu, fut un homme véritable, c’est à dire issu d’un peuple, d’une culture et d’une histoire particulière.

Sainte Anne fait le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament.  Sur certaines images, Sainte Anne est immense par rapport à la toute petite Vierge Marie, peut-être pour symboliser l’Ancien Testament, livre énorme, sans lequel il n’y aurait pas eu de Nouveau Testament qui est beaucoup plus bref. Elle nous permet ce jour de quitter la terre du travail pour celle de l’évasion ! Excellentes vacances à toutes et à tous, espérant que cette chronique régulière enrichit quelque peu votre cœur et votre esprit…

Solange Strimon

*Cette Légende dorée raconte la vie d’environ cent cinquante saints, saintes et martyrs, ainsi que des épisodes de la vie du Christ et de la Vierge commémorés par le calendrier liturgique. Il s’agit d’une « compilation » de tous les éléments, historiques ou légendaires, qui se racontaient alors à propos de la vie et de la mort de tous ces saints personnages. Ce fut une mine d’inspiration pour des prédicateurs désireux de disposer d’une réserve de miracles et d’anecdotes où piocher pour prêcher lors des fêtes mais aussi pour de nombreux artistes, surtout au Moyen Âge. Un nombre impressionnant de manuscrits en latin ou en langue vernaculaire – plus d’un millier – lui confèrent jusqu’au XVIème siècle le premier rang après la Bible.

**François BOESPFLUG : Né en 1945, dominicain, est professeur d’histoire des religions à la Faculté de Théologique Catholique de l’Université Marc Bloch de Strasbourg.

NB : nous vous retrouverons – si Dieu veut- en septembre                                

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