ActualitésChretienté/christianophobie

Le R.-P. de Blignières sur Traditionis custodes : « l’Autorité suprême de l’Église ne peut revenir sur la parole donnée »

Chers amis,

Je sens le besoin de venir m’entretenir avec vous d’un sujet qui nous préoccupe tous. Je le ferai avec les paroles qui sortiront d’un cœur de prêtre qui a célébré avec un profond bonheur depuis plus de quarante-quatre ans la messe traditionnelle.

Une question nous est posée depuis le motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021 et les Responsa ad dubia de la Congrégation pour le culte divin du 18 décembre 2021 : ne faudrait-il pas que les Instituts Ecclesia Dei adoptent, comme on les y invite, la célébration de la messe et des sacrements selon le missel et les rituels réformés par Paul VI ? Autrement dit, que ces Instituts entament un processus d’abandon des livres liturgiques antérieurs à la réforme de 1969 ?

Comme fondateur de l’un de ces Instituts, je répondrai spontanément : « La liturgie traditionnelle, c’est notre être même ! » Nous demander de l’abandonner, c’est nous recommander de tuer ce qui a façonné notre être spirituel depuis des décennies. La liturgie traditionnelle latine relève d’ailleurs de la richesse immémoriale de l’Église, qui ne peut disparaître, car elle fait partie de son patrimoine indisponible. Vouloir l’éliminer du « périmètre visible de l’Église catholique » (comme disait Jean Madiran), c’est une opération impossible, parce que contradictoire avec l’essence de la Tradition. Enfin, pour nous qui avons fait des vœux selon des Constitutions imprégnées de liturgie traditionnelle, c’est nous inviter à rejeter « la forme en laquelle Dieu nous veut saints », comme dit sainte Élisabeth de la Trinité à propos de sa Règle.

En restant fidèles à nos vœux, nous sommes dans la pleine obéissance à l’Église. La Constitution apostolique Pastor Bonus du 28 juin 1988 précise en effet en son article 107 : la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique « veille à ce que les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique se développent et progressent dans l’esprit des fondateurs et les saines traditions, à ce qu’ils poursuivent fidèlement les fins qui leur sont propres et contribuent efficacement à la mission de salut de l’Église. »

Or, l’esprit des fondateurs et les fins propres, qu’est-ce que c’est pour nous ? C’est la fidélité au Siège apostolique intimement unie avec l’attachement à la tradition latine, pour la spiritualité, l’apostolat, la liturgie, et la discipline. C’est notamment la faculté d’user des livres liturgiques en usage en 1962. L’abandon de ces expressions dans le domaine crucial de la liturgie serait pour nous contraire à l’obéissance et à l’esprit de l’Église.

Il y a une autre raison pour laquelle cet abandon est impossible : l’honneur du Saint-Siège. À propos de prêtres et de fidèles respectueux de l’autorité hiérarchique, mais pour qui la réforme liturgique constitue une réelle difficulté, le Saint-Siège a assuré : « Toutes les mesures seront prises pour garantir leur identité dans la pleine communion de l’Église catholique ». Il a inscrit ces dispositions dans les Décrets d’érection de nos Instituts, et il a confirmé nos Constitutions. Ces textes solennels explicitent clairement notre attachement aux pédagogies traditionnelles de la foi, notamment en matière liturgique. Selon le principe « pacta sunt servanda », l’Autorité suprême de l’Église ne peut revenir sur la parole donnée.

Un tel abandon des spécificités liturgiques est d’ailleurs impossible, je l’ai déjà évoqué plus haut, pour les membres de nos Instituts. Les religieux, religieuses et prêtres engagés dans nos Instituts ont prononcé des vœux ou émis des engagements selon la spécification des Décrets d’érection et des Constitutions, qui les attachent aux formes liturgiques de la tradition latine antérieure. C’est de cette manière que, confiants dans la parole du Souverain Pontife, ils ont donné leur vie au Christ pour servir l’Église. Selon le droit naturel et la théologie classique de l’obéissance, ce qui serait contraire à cette spécification essentielle ne saurait par conséquent les lier.

Enfin, un tel processus de mutation liturgique constituerait un grave dommage pour un nombre important de fidèles. Déjà ils ne comprennent pas les restrictions apportées à la célébration de la messe traditionnelle. Leur désarroi face à la perte de cette liturgie qui nourrit leur vie intérieure serait immense. Et comment pourraient-ils accepter de voir traiter ainsi, à l’encontre de leur conscience éclairée et appuyée sur la parole des Pontifes précédents, des centaines de prêtres, de religieux et religieuses, de séminaristes, qui sont restés fidèles à la hiérarchie catholique depuis trente-trois ans, parfois au prix de grands sacrifices ?

La fidélité à la liturgie traditionnelle, c’est pour nous un devoir et la joie de contribuer ainsi à notre rang « à la mission de salut de l’Église ».

Que l’Enfant de la Crèche et sa Mère Immaculée vous bénissent, mes chers amis, et vous gardent dans l’Espérance !

P. Louis-Marie de Blignière
Prieur et fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier

8 réflexions sur “Le R.-P. de Blignières sur Traditionis custodes : « l’Autorité suprême de l’Église ne peut revenir sur la parole donnée »

  • Pierre de Meuse

    Vous avez raison de constater la trahison, mais refusez d’en voir la nature et la profondeur. L’attitude des 8 derniers papes témoigne d’un virage politique maintenu, avec des nuances, par chacun d’entre eux, et tout en découle. Dire que l’ordre donné est fautif ne vous dispense pas d’obéir, à moins que vous ne proclamiez erroné l’ensemble du raisonnement qui lui a donné naissance.

    Répondre
      • Pierre de Meuse

        Ce que je veux dire, c’est que le pape actuel voit avec raison dans le nouveau rite l’expression d’une foi en rupture avec celle des siècles passés. En bref une religion de l’humanité, qui assiste la formation d’un nouvel ordre mondial éclairé par la démocratie, dont elle est la formulation spirituelle, et qui pulvérise les héritages antérieurs. Pour cela, il faut bazarder la langue latine et les trésors de sa liturgie, il faut également sacrifier la culture européenne, pour ne conserver que son messianisme. Lorsque Benoît XVI a voulu faire oeuvre de réconciliation, ce n’était pas pour accorder à l’ancienne religion un statut dans la nouvelle, mais seulement pour apaiser des vieillards. Or François voit bien que les pratiquants de l’ancien rite ne sont pas seulement des barbons, et qu’ils rejettent la nouvelle religion, et il ne peut pas le tolérer, car chaque succès de l’ancienne est un affront pour la nouvelle. Un point important est que cette nouvelle foi ne s’est pas manifestée pour la première foi au Concile Vatican II, mais bien avant, et qu’elle a commencé à avoir des effets à l’intérieur de l’Église à partir du Ralliement. L’échec de cette tentative ne dissuada pas ses promoteurs de continuer dans le même sens, et il en fut ainsi de tous les papes qui succédèrent à Léon XIII, à l’exception des onze années du règne de Pie X. Ce pape fut élu grâce à l’exclusive prononcée contre Rampolla, dans un dernier cadeau d’un prince chrétien à la religion ; mais son règne fut court, et par la suite, tous les successeurs firent des concessions de plus en plus considérables à cette idéologie qui est politique, messianique, humanitaire et qui ne se propose rien d’autre que de changer l’humanité. J’en déduis donc que si vous voulez disqualifier la décision de François, il faut également mettre en suspicion légitime l’ensemble du projet qui la conditionne depuis un siècle. Ce que je dis ne va peut-être pas vous plaire, mais c’est vous qui m’avez demandé de m’expliciter.

        Répondre
        • Marc-Marie

          Sur le fond, je suis tout à fait d’accord avec vous… mais en quoi la FSVF ou les autres instituts dits traditionalistes ne combattent-ils pas « l’ensemble du projet » ? Beaucoup de « tradis » de ma connaissance, notamment dans le clergé, sont des contre-révolutionnaires ou, « au pire », des maurrassiens.

          Répondre
    • Benoît YZERN

      Vous semblez dire qu’un virage politique, dont Léon XIII se serait rendu responsable en 1892, est à l’origine du virage religieux de 1962, mais ce virage religieux a été préparé, puis accompli, par des philosophes et par des théologiens qui n’étaient pas tous français, et pour lesquels la relation au virage politique “leonin” de 1892 n’a pas un caractère constitutif ou déterminant, quand on considère leurs idées et leurs oeuvres.

      En tout cas, le moins que l’on puisse dire est que l’on voit mal en quoi les allemands Guardini et Rahner, ainsi que les belges Lambert et Maréchal, ont été avant tout les continuateurs du virage politique de 1892, alors qu’ils ont eu une influence considérable sur le virage religieux qui a commencé à se préparer lir dès la fin des années 1920 ou le début des années 1930.

      Répondre
  • Pierre de Meuse

    Vous avez raison, les “tradis” mènent le bon combat et ils sont mes amis. Il n’empêche que la nouvelle orientation de l’Église dure sans jamais se démentir depuis un siècle, et d’ailleurs se réfère aussi à des autorités bien antérieures. Un combat mené quand on est à la fois dedans et dehors ne peut pas durer bien longtemps. Parce qu’il n’est pas conforme à la logique du politique. Imagine t-on un soldat révolté qui se met au garde-à-vous pour dire à son colonel qu’il n’exécutera pas ses ordres? Mais non, c’est l’un ou l’autre qui va aux arrêts (ou au peloton), cela ne va pas durer cinq générations. Tous les problèmes viennent de cette perduration qui rétrécit sans cesse notre marge de manoeuvre. Si les contre-révolutionnaires veulent cesser d’être gênés aux entournures, ils doivent d’abord cesser de prétendre que tout le mal vient de Vatican II alors qu’il avait commencé bien avant, et cesser de considérer qu’une erreur politique commise par une autorité ecclésiale devient une vérité.

    Répondre
  • Tout à fait d’accord avec Pierre de Meuse à qui je souhaite la bonne année, ainsi qu’à nos hôtes de Vexilla Galliae.
    Ratzinger fut un déconstructeur parmi d’autres au concile Vatican 2 et c’est l’affaissement liturgique que provoqua le bas-clergé avec l’accord des épiscopes locaux qui convoqua chez lui certains regrets, sur le tard, très tard ! Le motu proprio de Benoît XVI fut un geste d’apaisement prévenant le schisme intégriste, comme les instituts traditionalistes qui avaient été lancés pour faire pièce à la Frat.
    Le qualificatif qui convient le mieux à la FSSPX est “imperturbable”. Son recrutement tant pour les clercs que pour les fidèles est jeune. Il émane d’elle une forte conviction d’être dans le chemin de vérité en attendant que cesse la “vacance” du Saint-Siège. Son meilleur zélateur est le pape François lui-même qui est un pontife vaudou, mal assuré, colérique et “traitre” à ses heures, comme on l’a vu dans la vente de l’église cachée au Parti communiste chinois, alors que les prélats sur zone avaient voulu l’en dissuader. Les listes de police sont faites, les curés jureurs fichés ou en fuite comme au temps de notre Révolution, les fidèles apeurés se dispersent, mais la diplomatie vaticane persiste dans ce marché de dupes pour faire entrer Bergoglio dans le club restreint des grands chefs d’Etat ayant “reconnu” la RPC.
    Je n’ai aucune inquiétude pour la Frat, mais les instituts conciliants prennent la bordée Traditionis Custodes par le flanc. Ils peuvent couler, au grand plaisir de la CEF.

    Répondre
  • Benoît YZERN

    D’une part, l’erreur fondatrice dont il est question ici ne réside pas avant tout ni seulement dans la politologie intégraliste, notamment maritainienne, qui a succédé à une politologie plus organiciste, notamment pacellienne.

    D’autre part, Pie XI et Pie XII n’ont pas été les complices ou les serviteurs de cette erreur, non seulement en ce qu’ils n’ont pas souscrit à la politologie maritanienne, mais aussi en ce qu’ils n’ont pas souscrit à l’anthropologie personnaliste, à l’ecclésiologie consensualiste ou oecuméniste et à la pneumatologie inclusiviste ou perspectiviste qui font partie de la même erreur, néo-moderniste, qui est à l’oeuvre, chez des théologiens, depuis la fin des années 1920 ou le début des années 1930.

    En outre, c’est sur l’ensemble de la période qui s’est déroulée de 1979 à 2012 que l’on est en droit de s’interroger à nouveaux frais, depuis mars 2013 : le recentrage wojtylien puis ratzingérien n’a-t-il pas été imaginaire, incantatoire ou, en tout cas, minoritaire, au sein de l’épiscopat, et ce recentrage n’a-t-il pas été d’autant plus fragile qu’il était ambigu, car à la fois conciliaire ad extra et conservateur ad intra ? En quoi ce recentrage a-t-il été vraiment démontinisateur et recatholicisateur ?

    Par ailleurs, l’aveuglement, le conformisme, le légalisme ou la servilité des fidèles conciliaires conservateurs amène à penser qu’ils n’ont pas de convictions catholiques à la fois contrariantes ad extra et enracinées ad intra, avant tout en matière dogmatique et/ou liturgique, car enfin, ils ne comprennent donc pas que, compte tenu de TC, il suffira désormais qu’ils soient davantage catholiques en plénitude, dans chacun de ces deux domaines, pour qu’ils soient eux-aussi en présence de menaces d’exclusion, en direction de l’extérieur de l’Eglise du Concile et du dialogue ?

    Répondre

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.