Chretienté/christianophobie

[Exclusif] Entretien avec le Père Najeeb Michaeel, o.p. : “Prêcher la vie, et vivre le prêche!”

Le Père Najeeb Michaeel, o.p. et Jacques Charles-Gaffiot
aux Archives nationales, mardi 19 mai

Mardi soir, l’exposition Mésopotamie, carrefour des cultures – Grandes Heures des Manuscrits irakiens (XIIIe – XIXsiècle) était inaugurée au Musée des Archives nationales à Paris. Sans prendre racine, hors la fine bruine, le peuple saint en foule inondait donc les portiques de l’Hôtel de Soubise avant d’en gravir les marches, et ce non sans avoir écouté quelques mots prononcés au micro par Madame Banat-Berger, directrice des Archives nationales, le père Michel Lachenaud o.p., Provincial de la Province de France et Son Excellence Fareed Mustafa Kamil Yasseen, ambassadeur d’Irak en France.

Parvenus au premier étage, les mieux faufilés pouvaient suivre l’un des deux commissaires scientifiques de l’exposition, le très sollicité et enthousiaste Jacques Charles-Gaffiot, qui présenta amicalement à S.A.R. Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme cette collection dominicaine inconnue de manuscrits orientaux, puis invita le prince capétien à pencher son regard sur la vitrine découvrant la charte d’exemption de droit de péage accordée aux frères prêcheurs par son aïeul le roi de France Louis IX (voir photo de la charte et de son sceau)…

…Saint Louis, dont nous fêtions l’an dernier le huitième centenaire de la naissance, nous invite ainsi à poursuivre cette année les réjouissances puisqu’icelle célèbre l’anniversaire de l’ordre des Frères Prêcheurs qui souffle à son tour ses 800 cierges.

Dès lors, qui de mieux placé que le père Najeeb Michaeel o.p., autre commissaire de l’exposition, mais aussi archiviste et directeur du Centre numérique des Manuscrits orientaux du couvent dominicain à Mossoul, pour nous délivrer quelques paroles, non dénuées d’espérance, ce qui vaut son pesant de dorures, de la part de celui qui a vu, avant de fuir Qaraqosh en août dernier, “les drapeaux noirs de Daech” de près ; mais heureusement d’un peu plus loin que les “Yazidis massacrés dans les monts Sinjar”, selon ses propres mots.

Parmi la foule et Inter Sollicitudines, lui aussi, cet amène dominicain a donné au pied levé ses quatre réponses aux quatre questions posées par Vexilla Galliae. Tout fraternellement.

 

Sceau de la charte d’exemption accordée
aux dominicains par Louis IX

Vexilla Galliae : Il vous aura fallu trois années pour aboutir à la présentation de cet exceptionnel ensemble de manuscrits, principalement. Quelles furent les difficultés que vous avez rencontrées lors de cette aventure, commencée en Mésopotamie pour être montrée à des Occidentaux?

Père Najeed Michaeel : Cela a débuté  avec un première question : comment pouvoir acheminer en France au moins un échantillon de notre patrimoine, notre trésor caché en Mésopotamie? Aucune de nos nombreuses démarches n’a abouti. Décision fut alors prise de faire des fac-similés, l’unique solution. Nous avons aussi rassemblé ce que nous avions en France ou à Rome, dans les bibliothèques nationales ou encore dans les archives de la bibliothèque dominicaine du Saulchoir. Tout ce patrimoine qui fait également partie de notre héritage chrétien et mésopotamien à Mossoul a finalement pu être présenté en France aux Archives nationales. On peut dire que la culture devient un nouveau pont important entre les civilisations. J’ai pendant vingt-cinq ans essayé de sauver ce trésor, d’abord physiquement en le protégeant des mites, de l’humidité, et pour maintenant le sauver de la main Daech en le mettant à l’abri au Kurdistan. Parallèlement, nous avons restauré puis numérisé plus de huit mille manuscrits et plusieurs milliers de documents de grande importance aujourd’hui protégés grâce à la numérisation. Cette exposition est donc une grande réussite, nos partenaires de par le monde y sont pour beaucoup, et très prochainement j’espère qu’il en sera de même à la Mairie du Ve arrondissement de Paris, où nous exposerons plusieurs centaines de clichés qui remontent au début de la photographie (1). Nous essayons donc d’agir de telle sorte que la culture soit le langage commun des êtres humains pour les sauver de la main destructrice : Daech.

V. G. : A contrario, quelles furent les heureuses découvertes provoquées par ce voyage au milieu des langues et des religions orientales?

P. N. M. : Elles sont variées. J’ai d’abord découvert que nos frères dominicains, qui côtoyaient déjà à cette époque les Abbassides, sont venus au Moyen-Age en Irak pour y apprendre l’arabe et étudier les sciences et les langues coraniques. Il y a un frère dominicain, Riccoldo da Monte Croce, qui en 1290 est allé à l’école d’Al-Mustansiriyah à Bagdad… Et désormais nous possédons une précieuse copie du Coran annotée des commentaires de la main de ce frère italien! Nous avons aussi découvert beaucoup de bijoux gravés en lange arabe, syriaque, araméenne. Et l’araméen, la langue de Jésus-Christ, est aussi celle des chrétiens en Irak, depuis 2000 ans… 

Malheureusement Daech essaye de ravager le monde entier, en attaquant les chrétiens, les Yazidis mais aussi les musulmans ; il faut donc arrêter l’expansion de ce groupe fanatique et en même temps protéger les sites historiques comme à Palmyre aujourd’hui. Hier ont disparu à jamais Nemrod, Mossoul, Hatra et Ninive! Cette exposition dans ce haut lieu parisien montre nombre de ces sites qui n’existent hélas plus. 

Les archives nous aident non seulement à préciser la richesse de cette mémoire mais aussi à préparer le futur en travaillant sur un plan humain, avant le religieux, pour éviter les guerres.

Evangile selon saint Jean en arabe (1599)

V. G. : Sur la chaîne de télévision KTO, le 14 mai, vous avez qualifié ces précieux ouvrages, rassemblés dès 1750, de “miroirs et mémoires” de notre civilisationPouvez-vous nous en dire un peu plus?

P. N. M. : On ne peut pas vivre et effacer la mémoire du passé ou bien l’on devient fou. Il faut par ailleurs voir dans le miroir notre vrai visage, dans sa réalité voulue par Dieu. L’être humain a ses faiblesses mais aussi ses richesses ; malheureusement certains hommes avec leur sauvagerie et leur égoïsme, tentent de défigurer cette image donnée à chacun de nous par le Seigneur. La mémoire et le miroir nous permettent de nous projeter dans l’avenir mais aussi dans le passé. Il faut donc les protéger, les partager. J’aime à dire qu’on doit prêcher ce que l’on vit, et vivre ce que l’on prêche!

V. G. : Parmi nous est présent Son Excellence l’ambassadeur d’Irak en France, qui a fait un discours sur les liens évidents entre l’Irak et la France. En quoi est-ce important selon vous?

P. N. M. : Fareed Mustafa Kamil Yasseen est un homme qui a une grande connaissance des diverses religions. Ouvert comme personne, il respecte et apprécie particulièrement notre civilisation mésopotamienne, dont il sait les racines bimillénaires, sumériennes et akkadiennes. C’est un homme qui représente un Irak déchiré mais qui valorise la culture de la France, dont il maîtrise parfaitement la langue. Ces marques d’encouragement de sa part me sont précieuses. Il faut aller aujourd’hui au-delà des barrières qui nous séparent et travailler ensemble.

Propos recueillis par Alphée Prisme

(1) https://centenairedominicains.fr/article/expositions/_mossoul_metropole_chretienne_dans_la_plaine_de_ninive

Ci-dessous les liens vers le site de l’exposition et vers trois de ses nombreux partenaires :

– Mésopotamie, carrefour des cultures – Grandes Heures des Manuscrits irakiens aux Archives Nationales : http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/web/guest/mesopotamie

– Huitième centenaire des Dominicains : https://centenairedominicains.fr/

– L’Œuvre d’Orient : http://www.oeuvre-orient.fr/

– KTO : http://www.ktotv.com/videos-chretiennes/emissions/nouveautes/reportage-les-manuscrits-irakiens,-memoire-de-l-orient/00094206?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook

 

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