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De la condition du pape et du roi. Lettre mensuelle aux membres et amis de la Confrérie Royale, par le R. P. Jean-François Thomas

Il fut un temps, heureux temps, où le chrétien pouvait s’appuyer sur les deux piliers du pape et du roi, non point qu’il eût constamment les yeux rivés vers deux personnages dont il ne savait que peu de chose, mais il savait qu’il pouvait faire confiance à leur autorité, dans leur domaine respectif, car toute autorité devait rendre des comptes à Dieu directement. Le Vicaire du Christ et le Lieutenant du Christ, même parfois opposés violemment, avaient bien conscience que leur parole n’aurait de prix que si obéissant à Celui qui les avait revêtus d’une puissance passagère et d’une autorité qui ne relevait point de leurs vertus.

Ce que saint Thomas d’Aquin écrivit au sujet de la royauté s’applique aussi, avec quelques nuances, à la papauté car chacun de ces princes ont la charge d’une partie de l’humain mais pour l’élever plus haut. Il souligne bien que la voie de la béatitude doit être dégagée de ses obstacles par l’enseignement de l’Église, mais que le roi, à l’image de la royauté décrite dans le Livre du Deutéronome (XVII. 18-19), doit recevoir et méditer chaque jour la loi divine pour gouverner et mener le peuple dans la droiture et la vérité : « Instruit donc par la loi divine, le roi doit principalement se préoccuper de la manière dont la multitude qui lui est soumise mènera une vie bonne. Cette préoccupation se divise en trois points : premièrement, instituer la vie bonne dans la multitude qui lui est soumise ; deuxièmement, celle-ci instituée, la conserver ; troisièmement, celle-ci conservée, la conduire vers une plus haute perfection. » (La Royauté, Livre II, Chapitre 4, a. 4) Ce triple et unique souci doit être partagé aussi par le pape, à un niveau encore plus haut puisqu’il s’agit de la vie intérieure et de foi, mais la préoccupation est similaire et une identique fidélité à cette mission est exigée de lui comme du roi, chacun dans son ordre. Si l’une ou l’autre autorité vient à manquer, l’édifice est ébranlé ; si les deux sont défaillantes et ne répondent plus à leur charge, tout risque bien de s’écrouler, et bien des âmes sont victimes de cette faiblesse. Deux conditions sont donc nécessaires pour mener une vie bonne : agir selon la vertu, comme le disait déjà Pierre Lombard : « La vertu est en effet ce par quoi on vit bien » (Sententiæ, II, d. 27, c. 1) ; et, secondairement, puisque cette condition est instrumentale : posséder des biens corporels suffisants pour pouvoir mettre en pratique des actions vertueuses, comme l’indiquait déjà Aristote dans son Éthique à Nicomaque (I, 9, 1098-1099). Pour que cette vie bonne de la multitude puisse être instituée, il est nécessaire que règne l’unité de la paix, ensuite que l’ensemble soit dirigé vers l’action bonne, et enfin, que le souverain veille à ce qui est suffisant, dans tous les ordres, pour une vie bonne. Après l’institution, premier devoir des dirigeants, vient le temps de la conservation. Le Docteur angélique signale qu’il y a trois obstacles à la permanence du bien public : le bien ne doit pas être ponctuel mais permanent, autant que faire se peut, car les hommes ne durent pas et leur constance est inégale tout au long de leur vie ; le deuxième obstacle provient de la perversité de la volonté qui néglige ce qui est nécessaire ou même qui nuit directement à la paix de la multitude ; enfin le troisième obstacle provient de l’adversité extérieure lorsque la paix est détruite par des invasions, des guerres, des destructions. Face à ces périls, le roi, ou le pape, prendra un triple soin : bien choisir les hommes et veiller à leur remplacement pour les différents offices du bien commun ; édicter des lois, des règlements, des récompenses, des punitions qui empêchent de commettre l’iniquité et qui encourage aux actes vertueux ; et protéger des ennemis extérieurs. Quant à la troisième préoccupation des souverains, elle sera celle de veiller au progrès en corrigeant les erreurs, les désordres, le but étant de toujours parfaire ce qui existe dans ce domaine. Nous renvoyons pour le détail à ce beau traité de saint Thomas.

Comme nous le précisions, ce qui s’applique au roi temporel est d’autant plus valable pour le souverain pontife, et  nous comprenons aisément que la responsabilité qui incombe au successeur de Pierre met en jeu son propre salut. Saint Bernard, écrivant à son ancien moine devenu le pape Eugène III, le mettait en face de ses devoirs écrasants : « Vous avez été élevé par la Providence à un poste bien plus haut que celui où vous étiez, mais non pas plus sûr. C’est quelque chose de terrible que ce lieu-ci : oui le lieu où vous êtes est une terre toute sainte. C’est la place de Pierre, c’est la place du Prince des Apôtres, de celui que le Seigneur a établi maître de sa maison et intendant de tous ses biens. Si par malheur vous venez à vous écarter de la voie du Seigneur, souvenez-vous que celui dont vous tenez la place a été enseveli dans le même lieu afin de s’élever et de servir de témoin contre vous. » (Lettres, CCXXXVII) Le même saint Bernard indiquera ailleurs que l’humilité doit être la pierre précieuse la plus brillante parmi les ornements pontificaux car l’humilité doit s’élever en qualité au même titre que l’élévation dans la dignité, la domination mondaine étant interdite aux Apôtres (De consideratione, Livre II, Chapitre 6). Il invite aussi le pape à une grande sagesse de gouvernement, lui conseillant une immense réserve et donc la modération dans ses propos et ses déclarations, à partir de ce principe : « Il y a plusieurs choses que vous ne devez pas savoir. Il y en a encore plus que vous devez dissimuler, et il y en a quelques-unes dont vous ne devez point vous souvenir. » (De consideratione, Livre IV, Chapitre 6) Le grand moine ne manque pas non plus déloges lorsque le pontife est digne du trône qu’il occupe sans abus de sa part : « C’est le Grand Prêtre, le Pontife souverain, le Chef des Évêques, le successeur des Apôtres ; c’est un autre Abel par la primauté, un autre Noé par le droit de gouverner l’Arche, un autre Melkisédech par le rang qu’il tient entre les Prêtres du Dieu vivant, un autre Abraham par la qualité de Patriarche. Il réunit en sa personne la dignité d’Aaron, l’autorité de moïse, la judicature de Samuel, la puissance de Pierre, l’onction de Jésus-Christ. Enfin, c’est le Pasteur universel, non seulement des brebis, mais des Pasteurs mêmes. » (De consideratione, Livre II, Chapitre 8).

Ces quelques rappels sont proposés pour nous aider à garder la paix intérieure lorsque, d’aventure, nous sommes soudain orphelins ou amputés à cause de la faillite de telle ou telle autorité. L’édification de la cité terrestre ne va pas sans heurts, et notre pays souffre aujourd’hui d’erreurs au moins deux fois centenaires. L’Église n’est pas en bonne santé car elle ne répond pas pleinement à sa mission. Il n’empêche que tous les éléments sont encore en place et disponibles pour que les princes des deux ordres, chacun en son domaine, retrouvent un zèle et une foi indéracinables. Notre Seigneur a vaincu. Ne nous laissons pas abattre par des pensées tristes et par le découragement humain.

P. Jean-François Thomas, s. j.

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