Chretienté/christianophobie

A contre-courant

Les explorations pour découvrir les véritables sources du Nil Blanc et du Nil Bleu ont duré pendant des siècles, et ce fleuve bicéphale à l’origine n’a pas encore livré tous ses mystères alors qu’il se jette, unifié, dans la Méditerranée. Comme il n’est pas possible de remonter le courant de tels monstres, il est donc normal d’utiliser les berges pour atteindre les sources. Il faut marcher à contre-courant pour découvrir le berceau des mystères. Ce qui est vrai des fleuves l’est plus encore des autres réalités de l’existence.

                                   Souvent, nous parlons de nos racines, de nos traditions. Elles ne peuvent être connues si nous nous laissons emporter comme des fétus de paille par les flots de la mode et du faux-semblant contemporain. Comme il serait vain de pagayer à contre-courant, il est préférable de remonter le lit de ce fleuve en utilisant la terre ferme, c’est-à-dire en devenant le spectateur à distance de tous les tourbillons du présent. Le fleuve qui s ‘écoule sous notre regard est chargé de toutes sortes d’alluvions, d’immondices, de corps étrangers. Nous demeurons saufs de notre lieu d’observation et nous procédons à contre-courant, mais hors d’atteinte des forces qui pourraient nous détruire. Si nous prétendons aimer ce qui demeure, être attachés à ce qui a creusé le berceau de notre pays et de notre culture, il est nécessaire de conquérir ce qui est en amont, sans prêter attention aux remous qui sont sous nos yeux.

                                   Un monarchiste est celui qui, comme Speke, Stanley et Livingstone, développe ténacité et fidélité pour se rapprocher sans cesse davantage de la source. C’est également le propre du catholique qui n’utilise jamais des lunettes de cinquante ans pour lire une histoire de deux mille ans. La fonte de la religion et du royaume ne s’est pas réalisée en un instant. Il a fallu bien des trébuchements, des sauts, des arrêts, des reculades, -à l’image du cheminement torturé d’un cours d’eau-, pour que la Rédemption triomphât, pour que la France devînt la Fille aînée de l’Eglise, la terre d’élection de la Sainte Vierge et un modèle pour d’autres royaumes. Cette richesse ne peut être perçue que si nous marchons à contre-courant.

                                   A une époque où l’Histoire n’est plus connue, ni plus aimée, nous devrions tous avoir au cœur le désir d’être d’infatigables découvreurs, inventeurs, explorateurs pour faire connaître aux autres les quelques bribes de lumière et de vérité qui surgissent des ténèbres qui s’installent. Le peuple français marche dans un désert beaucoup plus hostile que le Sinaï qui garda prisonnier le peuple hébreu durant quarante ans. Notre asservissement dure depuis plus longtemps. Les événements récents, la mort coup sur coup d’un courtisan libertin homme de plume et de salon et d’un chanteur populaire blessé, montrent à quel point le roi est nu, combien nous n’avons plus que les « héros » que nous méritons dans notre désarroi et notre décrépitude. Il suffirait que les veilleurs du Royaume et de l’Eglise rugissent, du cœur de la nuit : « Terre ! », pour qu’une grande partie du peuple de France se réveille de sa léthargie, de son habitude pour la médiocrité. Où sont donc passés ces guetteurs à contre-courant ? Le silence répond aux interrogations anxieuses des âmes qui entretiennent encore en elles quelque étincelle d’exigence pour le beau, le bon et le vrai. Nous sommes tous semblables au Durtal de La Cathédrale de Huysmans, découvrant, au cœur de la messe basse célébrée à Notre-Dame de Chartres, le néant et l’indignité de son être en présence de l’extraordinaire transparence d’un simple enfant de choeur tout entier donné au service de l’autel. Les fidèles du Moyen-Age pouvaient remonter à tout instant jusqu’aux sources vives de la foi en lisant les tympans et les vitraux des cathédrales. Ils dépassaient ainsi leurs péchés, leurs faiblesses et s’éloignaient des égorgements de leur siècle. Et nous, que déchiffrons-nous dans l’obscurité, alors que nous nous laissons trop souvent emportés par les flonflons de la fête perpétuelle, les commémorations et les hommages pour de pauvres êtres sans substance, la consommation virtuelle, les plaisirs fugaces et inutiles, le courant des opinions boueuses ?

                                   Nous avons peur de marcher à contre-courant, non point par crainte de l’inconnu mais parce que nous redoutons d’être considérés comme rétrogrades, passéistes, traditionalistes, intégristes, pas en phase avec le reste du monde. Cette lâcheté signe notre perte à plus ou moins grande échéance. Nous serons bien désarmés face à la vague déferlante de l’islam conquérant et destructeur, comme nous l’avons été avec l’utopie criminelle communiste, comme nous le sommes avec l’idéologie triomphante des loges et des groupuscules luttant contre la Foi. Alors que nous devrions mettre toute notre fierté à marcher à contre-courant, nous préférons généralement participer à la migration commune vers les faux pâturages.

                                   Pourtant, comme chrétiens, nous avons la prétention d’être les disciples d’un Maître qui prit tout à rebrousse-poil, retournant tout comme une peau de bête écorchée pour faire apparaître la Vérité. Nous sommes bien éloignés de notre idéal. Il est impossible d’être monarchiste, d’être catholique, comme un simple vernis étalé pour cacher la misère. La nostalgie du passé ne suffit pas. Un zèle brûlant devrait nous habiter pour annoncer des convictions qui ne sont pas uniquement nos opinions mais qui s’enracinent au travers des siècles. Si nous les prenions vraiment au sérieux, nous serions transfigurés, saisis par une force assainissante à tel point que le monde serait purifié par le feu ardent de cette charité et de cet amour pour la Vérité.

                                   Croyons-nous vraiment que la souveraineté est d’ordre supranaturel et divin, comme l’exposa et le vécut magnifiquement Joseph de Maistre ? Les folies, les aveuglements, les excès, les crimes et les péchés des souverains et des dynasties ne changent rien à l’affaire et ne peuvent entacher la souveraineté d’aucune tare. Si nous hésitons à reconnaître cela, alors notre monarchisme n’est rien d’autre qu’une posture de plus, semblable à tant d’autres, un désir de paraître, un attachement désordonné et irrationnel pour une survivance folklorique.

                                   Dans les doctrines de perdition subsistent des traces de ce christianisme qu’elles prétendent combattre et éradiquer. Ce sont ces braises flageolantes qu’il nous faut ranimer, sans nous lasser.

                                   N’attendons pas bras ballants que d’autres s’attellent à la tâche. Regardons vers la source, chargeons-nous de victuailles spirituelles et intellectuelles pour entreprendre le périple et partons sans un regard en arrière pour écrire cette nouvelle épopée.

                                   Comme l’écrivait Léon Bloy, « l’infini est au fond du couloir et la clef est sur la porte ». Remontons le fleuve, à contre-courant sur les berges, jusqu’à la source jamais tarie.

 

                                                           P.Jean-François Thomas s.j.

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