Vie des royalistes

Le testament politique de Louis XVI

A la veille du 21 janvier, jour anniversaire du souvenir de la mort du roi martyr,  nous vous proposons à la lecture le magnifique éditorial d’Yves-Marie Adeline, publié depuis déjà plusieurs années. 

Il est temps de dresser de nouveau le vrai portrait du roi Louis XVI et de souligner et condamner les falsifications républicaines. Mais dans son article, Yves-Marie Adeline ne s’arrête pas là, il nous informe aussi et surtout sur le véritable message politique que Louis XVI a voulu nous transmettre ; message politique que la République veut à tout prix faire oublier.

Dominique Hamel

” Ne prononcez pas cette péroraison : Je veux les convaincre, non pas les attendrir. “

Et M. de Sèze, avocat du Roi-martyr, jeta au panier la conclusion pathétique qu’il souhaitait donner à sa plaidoirie devant les Conventionnels. Oui, le roi voulait convaincre, pas attendrir.

Mais il a perdu ce combat. On décida sa mort, à une voix de majorité, celle de son cousin, le duc d’Orléans, le prédécesseur des actuels princes d’Orléans : comte de Paris, duc de Vendôme, etc.

Et depuis ce temps, dans le meilleur des cas, Louis XVI vous attendrit. Mais il ne vous a pas convaincu. Le régime républicain a gagné cette ultime partie, capitale à ses yeux.

Une partie capitale, parce que c’est sur ce socle, c’est sur cette tombe qui  enferme le testament politique de Louis XVI, que repose sa solidité. Tant que vous ne connaîtrez pas ce testament, tant que vous aurez à l’esprit l’image mensongère que la république vous a donnée de Louis XVI, ce régime sera tranquille.

C’est pourquoi, lorsque chaque année, le 21 janvier, jour de son supplice, des Français fidèles viennent comme en pèlerinage exprimer leur fidélité, leur piété filiale, c’est bien, c’est beau, c’est juste.

Et pourtant il y a toujours quelque chose qui me gêne ce jour-là : c’est le regard que la république porte sur ce geste annuel. Non pas, certes, un regard de bienveillance, ni de sympathie ; mais une sorte d’indulgence amusée: ” Bah!  Laissez-les tranquilles, ils ne sont pas bien dangereux… “.

Et après tout, la République elle-même a rompu depuis longtemps avec sa haine de Louis XVI. Elle ne revendique plus son sang: c’est désormais inutile. Car elle a obtenu, et depuis longtemps, ce qu’elle cherchait à obtenir à tout prix. Et quand je dis : à tout prix, c’est le prix du sang et du mensonge qui, en s’agglomérant, ont constitué le ciment le plus solide de son régime.

Ce qu’elle voulait obtenir, c’est que tous les Français, royalistes ou non, aient dans leur esprit un portrait identique de Louis XVI : un portrait que la Révolution a dessiné à l’usage de tous.

Regardez-le bien, ce portrait : un homme bon sans doute, mais faible, irrésolu, qui n’était pas l’homme de la situation. Un homme bien gentil, mais qui incarne à merveille le mythe selon lequel la royauté était exténuée, expirante, surannée, vieillie, dépassée par une histoire nouvelle. Bref, une monarchie inadaptée aux nouveaux temps, et a fortiori à l’avenir.

Écoutez-moi bien : tant que ce portrait restera imprimé dans toutes les têtes, la République pourra respirer tranquille. À la limite, elle pourrait aujourd’hui accepter toutes les révisions de notre histoire, qu’elle a abondamment falsifiée depuis deux siècles. Toutes les révisions. Mais pas celle-là.

Oh, combien de fois ai-je lu, dans nos propres rangs, des ouvrages qui répondent inconsciemment à cette attente de la République?

Alors, vous vous dites fils de Saint Louis? Oui, ça ne la dérange pas.

Fils de Louis XIV? Mais oui, pourquoi pas?

Fils de Louis XVI? Ah non! Celui-là, c’est le dernier. Il ne doit pas exister une descendance politique de Louis XVI.

Chaque année donc, vous entendez le testament spirituel, pourrait-on dire, de Louis XVI. C’est bien. Mais il existe aussi une sorte de testament politique auquel personne, même parmi nous, ne fait attention… pour le plus grand bonheur de la République… Car c’est celui-là, c’est la seule chose que la République redoute par-dessus tout.

Et c’est de ce testament-là que je veux vous parler aujourd’hui.

Examinons, s’il vous plaît, le portrait mensonger que la République a dessiné pour nous ” re “-présenter Louis XVI.

D’abord, son aspect physique. J’ai été très frappé, en observant un jour une peinture datant de la Restauration, de constater que Louis XVI y était représenté de la même taille que les personnages qui l’entouraient. Cette peinture, pourtant, n’était pas l’œuvre d’un républicain. Mais l’infestation de la propagande républicaine avait déjà atteint son objectif. Alors que le Roi-martyr mesurait plus d’un mètre quatre-vingt-dix, que sa force musculaire était colossale. On raconte même qu’il jouait à tordre un fer à cheval pour amuser son fils, le Dauphin. Je ne sais si cela est vrai, mais ce témoignage exprime au moins l’étonnement de ses contemporains pour sa force naturelle.

Et que dire du mythe de Louis XVI en gros glouton? Souvenez-vous de ces listes de plats qu’il était censé ingurgiter à chaque repas sans défaillir. C’était oublier opportunément que Versailles était une immense machine administrative où l’on ne faisait pas ses courses au marché comme la ménagère. Alors, à table, on présentait au Roi une carte des plats, et il choisissait.

Imaginez que, dans deux siècles, de prétendus historiens écrivent que nous étions d’infatigables mangeurs, en exhibant comme preuve les cartes des plats disponibles dans nos restaurants ! Eh oui, voilà comment la République refait l’histoire.

Plus récemment, j’ai vu un film qui le mettait en scène parmi d’autres personnages. Le comédien qui jouait le rôle affectait de zozoter, pour inspirer la moquerie au grand public ! Jamais, bien sûr, le Roi n’a zozoté, jamais personne n’a dit qu’il avait, comme on dit, un cheveu sur la langue. Mais c’est égal : l’important est de le rendre ridicule.

Ensuite, il y a le portrait intellectuel. Alors là, on atteint des sommets. Car,après tout, le fait de zozoter n’est pas en soi un obstacle au talent ! Prenons l’exemple de l’écrivain Émile Zola. Et remarquons d’ailleurs, au passage, que lorsqu’un comédien incarne cet auteur républicain, il ne zozote jamais… C’est amusant, n’est-ce pas? II semble que la vérité soit décidément insupportable à notre temps, jusque dans ses moindres détails.

Le portrait intellectuel de Louis XVI, tous ceux qui se souviennent de leurs années passées à l’école le connaissent : c’est celui d’un parfait imbécile. Sa seule passion, paraît-il, était de monter et démonter les serrures du Palais de Versailles. Il faudra attendre la fin du XX° siècle, avec les historiens Girault de  Coursac, pour s’apercevoir que ceci est une légende, et que les passions intellectuelles du Roi sont plutôt la marine, la géographie, la découverte et l’exploration des terres encore inconnues.

Ah, la marine! Combien le Roi a-t-il dépensé d’efforts pour cela! Les défaites du règne précédent, qui nous avaient fait perdre les Indes et le Canada, n’avaient jamais été acceptées par le petit-fils du Bien-aimé. II rêvait d’une revanche, non pas tant par vanité stérile que pour abattre la prépondérance anglaise sur les mers. Voilà qui explique la magnifique marine qu’il donna à la France. Notre longue histoire a toujours montré cette difficulté qu’éprouve la France à fournir simultanément deux efforts majeurs: la puissance terrestre et la puissance maritime. Depuis le Roi-Soleil, ni le Régent ni Louis XV n’étaient parvenus à ce qu’a réussi Louis XVI. Pourquoi l’a-t-on oublié ? Parce que c’est la République qui nous a instruits à l’école.

Dans le soulèvement américain, Louis XVI vit une première occasion de rééquilibrer le rapport des forces entre les deux nations sur les océans. Certes, il n’était pas envisageable, dans l’état des choses, de reprendre pied au Canada et aux Indes. Le prix qu’il fallut payer pour la seule indépendance américaine montre bien que la lutte pour la maîtrise des eaux eût été longue, et constituait l’un de ces grands desseins qui, lorsqu’ils réussissent, font l’avenir d’un grand pays.

La guerre fut coûteuse et l’entourage du Roi se découragea souvent. C’est Louis XVI qui s’obstina à aller jusqu’au bout. Aujourd’hui, la République, parlant au nom de la France, se vante volontiers de cette page d’histoire, parce que l’Amérique, non seulement est devenue la première puissance du monde, mais aussi représente la quintessence de l’État idéologique, déguisé sous ses parodies de religion héritées du Protestantisme. II apparaît que les deux républiques, française et américaine, souhaitent maintenir sous une chape de silence le rôle du Roi de France dans cette affaire. A-t-on jamais traversé une Rue Louis XVI dans une ville des États-Unis ?(note de Mamicha, il semble qu’il y a bien une rue Louis XVI en la ville de St Louis aux Etats Unis, dixit Paul Benoist d’Azy qui y a vécu et qui me l’a dit) Mais, après tout, le mépris dans lequel l’Amérique tient le Roi est bien réciproque, puisque Louis XVI se moquait bien sûr du tiers comme du quart des états d’âme de cette colonie anglaise : l’important, pour lui, était de saisir une bonne occasion d’affaiblir la puissance maritime de notre rivale.

La guerre fut coûteuse et l’opinion publique ne se passionna guère. De sorte que la Cour elle-même ne donna pas au pays l’exemple du patriotisme. Tandis que Marie-Antoinette refusait d’acheter le fameux Collier au motif qu’il valait mieux offrir un navire de plus à la France, les autres grands ne mesuraient pas l’enjeu que représentait notre aide aux Insurgés.

De plus, l’effort financier consenti par l’État était mal relayé par un système fiscal totalement inadapté aux dépenses d’une époque moderne. Il fallait donc une réforme, mais les privilégiés traînaient des pieds. Comment, alors, l’imposer ? Nous y reviendrons.

Louis XVI gagna cette guerre, et la marine qu’il avait donnée à la France fut à la hauteur de sa tâche. S’il n’y avait pas eu la Révolution, que se serait-il passé? Il est difficile, bien sûr, de parler ainsi dans le vide. Mais le dessein du Roi ne laisse aucun doute sur ses intentions, et c’est là que ses vraies passions personnelles prennent tout leur sens. Il aurait multiplié les expéditions outre-mer, convaincu que l’avenir était là. Avec lui et après lui, la France aurait entamé plus tôt la constitution d’un empire colonial qui, peut-être, eût été plus important que celui que l’Angleterre put conquérir sans contrainte après l’écrasement de notre pays en 1815. Et qui sait même s’il n’aurait pas réussi à récupérer un jour nos anciennes possessions? Certes, les Français, qui se plaisent tellement dans leur pays de cocagne, n’ont jamais eu l’esprit colonial.

Voilà encore une incompréhension entre notre peuple et le plus savant de ses rois. Et, comme tous les savants, en particulier les savants scientifiques, Louis XVI répugnait aux longues explications.

Enfin, il y a le portrait politique du Roi. En quelques mots, il se résume à ceci : Louis XVI n’a rien compris à la Révolution, il a vu passer les évènements de son regard hébété de gros bêta. En revanche, bien sûr, tout le monde autour de lui et partout ailleurs comprenait ce qui se passait. Sauf lui. Ah, s’il avait écouté ceux qui le conseillaient ! Mais c’était un imbécile, vous dis-je. Il n’était pas l’homme de la situation. En définitive, il était la dernière incarnation d’un régime politique dépassé.

Avouons-le, mes amis, combien d’auteurs qui se voulaient ou se veulent royalistes ont répété ces fadaises républicaines, inconscients d’être infestés eux-mêmes par la propagande du camp qu’ils croyaient combattre ? Au mieux, ils se résignaient à passer ce règne par pertes et profits, défendant la monarchie, mais pas celle de Louis XVI. Voilà pourquoi la République n’aura jamais peur de vous, tant que vous lui serez fidèles au moins sur ce point crucial.

Mais nous, ce soir, essayons d’y voir plus clair. Le mythe veut que Louis XVI n’ai eu aucune pensée politique, aucun regard personnel sur les évènements. Est-ce vrai ? Et si ce n’est pas vrai, où trouver trace de cette pensée ?

J’ai parlé des passions du Roi, en oubliant d’en citer une: la vénerie. Excellent cavalier, Louis XVI chassait le plus souvent possible: c’est ainsi qu’il dépensait une énergie qu’exigeait sa puissante carrure, pour remédier à l’inaction physique à laquelle le contraignait son travail.

Et tous ceux qui sont d’une famille de veneurs le savent : un grand chasseur aime à tenir scrupuleusement un journal de chasse, quitte à mentionner que, tel jour, il n’a pas chassé. Les faiseurs d’histoires stipendiés par la République ont saisi dans cette passion la matière d’un subterfuge extraordinaire : ils ont fait passer le carnet de chasse du Roi pour un journal intime !

Quelle aubaine ! Ainsi, le jour de son mariage avec Marie-Antoinette, le Roi écrit: ” Rien “. Et le 14 juillet, il écrit encore: ” Rien “. Je me souviens de mon professeur d’histoire au collège, qui nous amusait avec cela. Quelle rigolade secouait alors notre classe ! Quel imbécile que ce dernier des rois ! C’est bien la preuve qu’il ne comprenait rien à rien, puisqu’il écrivait: ” rien ” le soir du 14 juillet !

Louis XVI n’a jamais tenu de journal intime ; mais alors, comment savoir s’il avait une réflexion personnelle sur la Révolution? Eh bien, lisons ses annotations sur les rapports de ses ministres ! Et lisons surtout ses lettres ! Et l’on découvre avec stupéfaction une pensée propre, si peu ordinaire à cette époque que nous en sommes réduits aujourd’hui à n’admettre plus qu’une seule alternative: soit le Roi ne comprenait rien au moment où les autres comprenaient tout ; soit le Roi a tout compris, tandis que les autres ne   comprenaient rien.

Car la vérité est là, aveuglante, impossible à méconnaître pour celui qui a l’occasion de la voir en face. Louis XVI avait bel et bien une vision propre de la Révolution. Pour vous en faire une idée, je la diviserai en deux parties : qu’était-ce donc que cette révolution, et comment y répondre ? Et d’abord, s’agissant de la question de savoir ce que signifiait cette révolution, la théorie du Roi s’articulait autour de trois méditations.

Il a médité l’histoire de son royaume, qui couvrait déjà treize siècles. Il revient sur ce qu’il appelle ” l’histoire de ses aïeux “, qui n’est rien d’autre que celle de la France. C’est ainsi que le 18 novembre 1790, soit deux ans avant la proclamation de la République, mais déjà un an après le début des évènements, il écrit au duc de Polignac : ” Plus je médite l’histoire de mes aïeux, plus je suis convaincu que nous sommes à la veille de la subversion la plus cruelle dans ses résultats. Il était si facile d’opérer le bien, lorsque moi-même j’allais au-devant de tout ce que le peuple pouvait raisonnablement ambitionner. Je n’ai du moins rien à me reprocher “.

Ainsi, dès le début de la Révolution, Louis XVI voit dans ces bouleversements quelque chose d’à la fois énorme et inédit. Il sent tout de suite qu’il a affaire à un évènement auquel aucun de ses aïeux n’a jamais eu à faire face.

Sa deuxième méditation se concentrait sur son rôle de roi, tel que l’entendait la tradition française treize fois séculaire, remontant au baptême de Clovis en 496. Il n’est pas un despote, et puisqu’il est convaincu qu’il n’a pas affaire à une simple fronde ou quelque chose qui y ressemblerait, il sait bien que la force ne saurait rien résoudre. Nous reviendrons sur cette extraordinaire prescience de Louis XVI. Alors, devant ces évènements d’une nature particulière et nouvelle, quelle conduite faut-il tenir ? Son entourage lui parle d’employer la force en toutes circonstances, mais il ne partage pas ce point de vue, car il est persuadé, et le restera toujours, que rien ne peut plus arrêter le cours des choses. C’est dans cet état d’esprit méconnu qu’il se pose de telle sorte que, dans la chaleur des passions exacerbées, plus personne ne comprendra son attitude. Dès le mois de septembre 1789, il écrit à son frère le Comte d’Artois: ” Vous parlez de courage, de résistance aux projets des factieux, de volonté. Mon frère, vous n’êtes pas roi !Le Ciel, en me plaçant sur le trône, m’a donné un cœur sensible, les sentiments d’un bon père. Tous les Français sont mes enfants ; je suis le père commun de la grande famille confiée à mes soins. L’ingratitude, la hargne arment contre moi ; mais les yeux sont obscurcis, les esprits sont égarés, la tourmente révolutionnaire a tourné toutes les têtes “.

Notre cœur se serre en découvrant une telle grandeur d’âme, un sentiment aussi élevé de sa position, de sa mission sur Terre. D’ailleurs, remarquons que,  depuis Louis XVI, tous les rois détrônés se sont efforcés de suivre son exemple : ne pas répandre le sang du peuple. Même des monarques parvenus, comme le dernier souverain de Perse, par exemple, qui n’était jamais que le fils d’un officier usurpateur, se feront un honneur de se configurer au personnage emblématique du Roi-martyr. Il n’est pas un despote, et la couronne de France, il n’en est que le dépositaire après une longue suite d’aïeux qui en ont eu la garde. C’est pourquoi, pour rien au monde il n’accepterait de l’éclabousser du sang français. Réprimer, oui. Mais la Révolution à laquelle il est confronté est d’un autre ordre qu’une insoumission ordinaire. Et il va d’ailleurs expliquer sa vision des choses dans d’autres lettres.

Cela fait l’objet de sa troisième méditation : sur l’empoisonnement général des esprits. Dans une lettre au Prince de Condé datant du 15 août 1791, il assure ne pas douter que l’élite de sa noblesse saurait mettre en pièces les bandes armées des Sans-Culottes. Mais après ? Il écrit: ” Ils n’attendaient que la fin de la Constitution pour être parfaitement heureux ;  la retarder était à leurs yeux le plus grand crime, parce que tous les bonheurs devaient arriver avec elle. Le temps leur apprendra combien ils se sont trompés. Mais leur erreur n’en est pas moins profonde: si l’on entreprenait aujourd’hui de la renverser, ils n’en conserveraient l’idée que comme celle du plus grand moyen de bonheur ; et lorsque les troupes qui l’auraient renversée seraient hors du Royaume, on pourrait avec cette chimère les remuer sans cesse, et le gouvernement se trouverait dans un système opposé à l’esprit public et sans moyens pour les contenir. On ne gouverne jamais une nation contre ses habitudes. Cette maxime est aussi vraie à Constantinople que dans une république : les habitudes actuelles de cette nation sont dans les droits de l’homme, tout insensés qu’ils sont. Une force immense ne pourrait la gouverner longtemps dans une opinion contraire “.

En lisant et en me répétant ces phrases datant de deux cents ans, j’en reviens toujours éberlué par l’incroyable intelligence de cette analyse. Incroyable, car à l’époque on n’avait pas comme aujourd’hui deux siècles d’expérience des révolutions pour permettre une approche correcte du phénomène révolutionnaire. Comment, par quelle grâce, sinon par une grâce d’état réservée à celui qui a reçu l’Onction de Reims, Louis XVI a-t-il pu toucher aussi juste ? Car enfin !Reprenons l’étude de toutes les révolutions et de toutes les subversions qui ont suivi, et l’on retrouve mot à mot l’essentiel de cette analyse. Le Roi semble nous dire : je réprimerai, et après? Tant que le peuple n’aura pas été convaincu que la Constitution est une erreur, faudra-t-il maintenir derrière chacun de mes sujets un homme en armes? Et cet homme en armes, dans quel esprit est-il lui-même ?

À ce stade de sa réflexion, le Roi va même jusqu’à poser au Prince de Condé cette question si pertinente: ” D’ailleurs, cette noblesse d’émigration, qui prétend me défendre, est-elle toute dans le même esprit ? N’a-t-elle pas, elle aussi, ses partis contraires, ses opinions exclusives ? “.

Autrement dit: vous qui prétendez être royalistes, l’êtes-vous vraiment ? N’avez-vous pas vous-même succombé à cette tentation générale qui veut que l’on décide soi-même de ce qui convient ou qui ne convient pas au bon gouvernement des affaires publiques ?

Oh, mes amis, prenons pour nous cette apostrophe extraordinairement clairvoyante de Louis XVI. Dressons en effet un bilan de deux siècles de royalisme, de doctrines diverses et d’engagements militants. N’avons-nous jamais procédé nous-mêmes de la même manière que les républicains ? N’avons-nous jamais prétendu imposer à nos princes nos propres visions de la monarchie ? Relisons nos livres, et, sans qu’il soit nécessaire de citer ici certains auteurs, nous y découvrons souvent tout un programme de gouvernement préfabriqué, que le roi à venir serait bien avisé de mettre en pratique sans rechigner, faute de quoi on juge qu’il ne serait pas même bon qu’il monte sur le trône. Combien de fois ai-je lu ce genre de littérature, truffée de chartes, de systèmes préparés à l’avance et figés dans une gloire intellectuelle parfaitement dérisoire ? Combien de fois ai-je lu ou entendu des discours tels qu’en définitive, on se demande qui devrait être le roi dans ce genre de monarchie : l’auteur des propos en question, ou le prince légitime. Mes amis, est-ce que j’invente en rappelant cela, ou suis-je dans le vrai ?

Mais alors, quand on pense et agit de cette manière, de qui se moque-t-on, sinon du Roi lui-même ? Ne sommes-nous pas à notre tour, fût-ce à notre corps défendant, des constitutionnels, dispersant ainsi gravement cet héritage de la monarchie française que Louis XVI a voulu sauver à n’importe quel prix, et entre autres au prix de sa vie ?

À ceux qui lui reprochaient son attitude face à la Révolution, le Roi n’a jamais manqué de s’expliquer clairement. C’est d’ailleurs pour cela que vous ne le savez pas. Mais rien ne nous empêche, nous, d’essayer d’en savoir plus. Que disait-il? Reprenons la lettre au Prince de Condé que je citais tout à l’heure. Louis XVI y prévoyait que l’idéologie constitutionnelle ne pouvait être combattue efficacement, ou vaincue durablement, par le seul emploi des armes. Napoléon ne dira-t-il pas plus tard que l’esprit sera toujours vainqueur de l’épée ? En outre, le Roi se rendait bien compte que ses défenseurs eux-mêmes étaient empoisonnés par la nouvelle idéologie. C’est en prenant acte de cette réalité incontournable qu’il écrivait: “ J’ai vu que la guerre ne présentait d’autres avantages que des horreurs, et toujours de la discorde. J’ai donc cru qu’il fallait éloigner cette idée, et j’ai cru devoir essayer encore des seuls moyens qui me restaient: la réunion de ma volonté aux principes de la Constitution “.

” Les seuls moyens qui me restaient “… Oui, le Roi savait qu’il n’en avait pas d’autres, et qu’en tout état de cause, il refuserait toujours d’être mêlé au bain de sang général qu’il redoutait. Et son attitude était d’autant plus méritoire que, avec sa clairvoyance habituelle, il savait à l’avance que la seule voie qui lui était ouverte était elle-même sans issue. Car il ajoutait: “Je sens toutes les difficultés de gouverner ainsi une grande nation, je dirais même que j’en sens 1’impossibilité ; mais l’obstacle que j’y aurais mis aurait porté la guerre que je voulais éviter, et aurait empêché le peuple de bien juger cette Constitution, parce qu’il n’aurait vu que mon opposition constante “. Toujours cette préoccupation majeure: son peuple est malade de ses idéologies, le salut n’est envisageable que lorsqu’il aura compris son erreur. Et Louis XVI concluait: ” En adoptant ses idées, en les suivant de bonne foi, il connaîtra la cause de ses malheurs ; l’esprit public changera, et puisque sans ce changement on ne pouvait espérer que des convulsions nouvelles, je marcherai mieux vers un meilleur ordre de choses par mon acceptation que par mon refus “.

Voilà quel était le programme politique de Louis XVI, et jamais il n’admettra s’être trompé sur ce point. La thèse officiellement enseignée depuis deux siècles prétend qu’il avait tort. Mais nous qui avons désormais l’expérience des révolutions, nous qui en connaissons le processus et la nature intime, posons-nous à nouveau cette question : qui avait raison ?

À ses contemporains qui stigmatisaient sa prétendue faiblesse, parce qu’ils analysaient la Révolution avec moins de pertinence que leur maître, Louis XVI disait: “J’avoue que ces reproches m’affectent moins que les malheurs du peuple, et mon cœur se soulève en pensant aux horreurs dont je serais la cause “. Ce qui signifie que le Roi-martyr était convaincu que, sous les coups révolutionnaires, son sacre avait perdu sa force politique, mais qu’il le revêtait encore d’une seule et dernière qualité: celle d’être le père du peuple, le père de toute la famille française. Que ceux qui n’ont jamais éprouvé aucun sentiment paternel continuent à penser comme la République veut qu’ils pensent. Les autres me comprendront.

Méditons encore cette phrase: “J’ai donc préféré la paix à la guerre, parce qu’elle m’a paru à la fois plans vertueuse et plus utile : je me suis réuni au peuple, parce que c’était le seul moyen de le ramener ; et entre deux systèmes, j’ai préféré celui qui ne m’accusait ni devant mon peuple, ni devant ma conscience “.

Encore et toujours ce dernier souci du Roi, qui est de rester fidèle au dernier devoir qu’il peut remplir, un devoir moral. ” Du moins, je n’ai rien à me reprocher “, écrivait-il. Oh non, Sire, vous n’avez rien à vous reprocher. Dans cette épouvantable tragédie qui a fini par vous emporter, vous avez été d’une probité et d’un courage sans exemple ; vous avez été le modèle de tous les rois, selon ce plan mystérieux de la Providence qui dispose que, depuis le Baptême de Clovis, la monarchie française soit regardée comme le modèle de toutes les monarchies. Un jour viendra où le monde vous rendra l’hommage qui vous est dû, pour avoir été un grand roi méconnu, dont la lumière commence à peine à poindre devant les yeux de notre génération. Un jour viendra aussi, où l’Église d’ici-bas reconnaîtra vos vertus exemplaires, et vous élèvera sur nos autels. Car enfin, qui peut le nier? Vous étiez également un saint…

Nous parlons d’un testament politique de Louis XVI. Il me reste à vous en dévoiler le sommet.

Nous avons vu comment le Roi a profondément médité sur les évènements auxquels il a dû faire face. C’est alors qu’il lance une bouteille à la mer, pour l’avenir, pour préserver l’avenir, pour empêcher que les vrais principes de la monarchie française ne soient emportés, eux aussi, par la tourmente révolutionnaire, par ces deux siècles de régime constitutionnel ou républicain. En fait, dès le commencement de la Révolution, le 12 octobre 1789, il a fait quelque chose d’extraordinaire, qu’il faut absolument que vous sachiez, et que la République ne veut à aucun prix que vous sachiez.

II écrit au roi d’Espagne, Charles IV, une lettre qui revêt pour nous la plus haute importance. Car en vérité, ce n’est pas au roi d’Espagne qu’il s’adresse, mais au chef de la branche cadette de sa maison. On sait, en effet, que, depuis la victoire de Louis XIV dans la guerre de succession d’Espagne, des princes français de la famille royale règnent désormais sur le trône de Charles-Quint. Voici donc ce qu’écrit Louis XVI:
Je me dois à ma famille et à toute ma maison de ne pouvoir laisser avilir entre mes mains la dignité royale qu’une longue suite de siècles a confirmée dans ma dynastie… J’ai choisi votre majesté comme chef de la seconde branche pour déposer entre vos mains la protestation solennelle que j’élève contre tous les actes contraires à l’autorité royale qui m’ont été arrachés par la force depuis le 15 juillet de cette année “.

Est-ce que vous mesurez bien l’importance de ce document ? Dès les premiers mois de la Révolution, et, bien qu’il ait choisi de se laisser entraîner par le courant constitutionnel plutôt que de verser le sang de son peuple, le Roi-martyr délie à l’avance les princes de son sang de tous les engagements compromettants qu’il a dû faire et qu’il devra faire encore. Autrement dit, quand on lit cela et qu’on le met en face de ce que nous lisions tout à l’heure, on comprend qu’il ait voulu dire : la voie que j’ai suivie n’engage que moi, elle ne saurait obliger mes successeurs, elle ne traduit qu’un pis-aller, certainement pas une fidélité aux principes immémoriaux de notre monarchie. La constitution, ce n’est pas la monarchie française, et le Roi tient à transmettre ce message à ses cadets, pour le cas où la coutume successorale, un jour, viendrait à les saisir.

Et puis il s’est produit ce qui se produit dans l’histoire naturelle de toutes les familles : la branche aînée s’est éteinte avec le Comte de Chambord et le principe se déposa sur cette branche cadette devenue l’aînée. Or voilà, mes amis, voilà l’héritage politique qui repose désormais entre les mains du chef actuel de la famille royale. Ce n’est pas l’héritage de Charles X, ni de Louis XVIII, ce n’est pas le produit bâtard issu d’un accouplement adultère entre la royauté et la constitution, non ! C’est la royauté instituée, c’est le sacre de Reims, c’est la monarchie que Jeanne d’Arc avait sauvée ; Jeanne qui rappelait que le Christ est le premier roi de France, et le roi terrestre son second.

Ces principes fondateurs, le Comte de Chambord nous les transmettra à son tour, quand il refusera de monter sur un trône de pacotille, quand il refusera de jouer la comédie d’une monarchie de carnaval, otage de l’esprit révolutionnaire, constitutionnel, républicain. C’est pourquoi il disait: ” Ma personne n’est rien, c’est mon principe qui est tout “. Oh, comme nous lui sommes redevables, à lui aussi, d’avoir gardé intact le trésor des rois légitimes! J’ai souvent dit que ce fut sa manière à lui de régner, en conservant le dépôt sacré, en transmettant ce qu’il avait reçu : telle fut la mission sur terre d’Henri V.

Mais ce qu’il avait reçu venait-il directement de son aïeul Charles X ? Non, certes non. Oh, bien sûr, Charles X, celui-là même qui, lorsqu’il n’était que le Comte d’Artois, reprochait tant à son frère aîné de ne pas combattre la Révolution par les armes, Charles X n’était certes pas un partisan du régime constitutionnel. Mais il fallait bien faire avec, puisque la formule lui était imposée. Toutefois, et peut-être justement parce qu’il avait trop bien vu ce qui découlait de cet accouplement, aggravé encore par l’expérience de l’usurpation orléaniste, Henri V avait puisé plus haut les principes de son refus du drapeau révolutionnaire, et de tout ce qui en découlait politiquement. Ces principes-là, qu’il fallait garder intacts, c’est Louis XVI qui fut le dernier à les incarner. Et il est attachant de voir comment, passant d’un prince incompris à un autre prince également incompris, l’héritage de Clovis et de Clotilde, de Saint Rémi, de Saint Louis et de Sainte Jeanne, cet héritage brille encore, qui dans la nuit de nos constitutions nous montre le chemin du salut.

Voilà donc, le testament de Louis XVI, auquel il est de notre devoir, une fois que nous avons pu en prendre connaissance, de lui être fidèle. Car il ne suffit pas que vous vous disiez fils de Saint Louis ou de Louis XIV. La Providence vous a donné un dernier roi différent des autres, et dont le sort abominable fut aussi différent des autres : c’est de lui que vous tenez votre héritage. Et si la République vous a menti sur lui, si elle vous a empêché de le connaître, c’était précisément pour que
vous méprisiez votre héritage, et par là même, que vous méprisiez sans le vouloir tous les autres qui précédaient. Car une race qui finissait sous la figure méprisable ou dérisoire de Louis XVI ne pouvait pas être une bonne race.

Voilà notre héritage et certes, à notre époque des nouveaux rois fainéants, il n’est pas facile de défendre et illustrer devant le monde ce principe que l’idéologie moderne a si totalement vaincu. Pendant longtemps, d’ailleurs, nos théories royalistes n’eussent pas même songé à revendiquer autre chose qu’une restauration sur le modèle de Louis XVIII. Pendant longtemps, le testament de Louis XVI fut non seulement un testament inconnu, mais un testament impossible: lui seul avait su mesurer les conséquences de l’intrusion de l’esprit constitutionnel dans l’édifice monarchique ; lui seul avait compris qu’en définitive, une monarchie constitutionnelle n’était plus la monarchie française de Reims, modèle des monarchies chrétiennes. Mais puisque cet esprit délétère avait empoisonné jusqu’à son entourage, jusqu’à ceux qui se croyaient sincèrement contre-révolutionnaires, que pouvait-il faire? Quand il décida toutefois d’accompagner le mouvement constitutionnel, pour les raisons pacifiques que l’on sait, il réussit à tenir trois ans avant de sombrer. Son frère le Comte d’Artois, le futur Charles X, qui conseillait d’être inébranlable, tiendra trois jours en 1830. Il n’est pas inutile de remettre quelquefois les choses en perspective pour mesurer la vraie taille des uns et des autres.

Longtemps, l’héritage de Louis XVI fut impossible : soit que nous étions nous-mêmes infectés par l’esprit constitutionnel, soit que nous ne disposions pas de l’outil doctrinal nécessaire pour formaliser intellectuellement la différence essentielle entre l’institution et la constitution. S’il n’est qu’une chose que j’aurais faite parmi mes compagnons du combat royaliste, c’est d’avoir théorisé cette différence, mais je n’ai rien inventé en faisant cela : je n’ai fait qu’expliquer un principe profondément original et fondateur de la monarchie française, ce principe même que Louis XVI a sauvé, et transmis à sa famille. Ce même principe qu’Henri V a sauvé une seconde fois en refusant de régner plus bas encore que Louis XVIII, au niveau d’un Louis-Philippe.

Toutefois, les triomphes théoriques sont une chose, l’engagement politique dans la réalité de tous les jours est encore autre chose. Je n’oublie pas que l’état d’esprit qui doit être le nôtre est difficile à maintenir, comme un cap que le marin doit garder dans la tempête. Notre engagement est exigeant, parfois douloureux. Et je sais que certains parmi nous seront tentés d’abandonner leur cause : j’en ai connus, par exemple pour qui les lambris dorés des palais républicains valaient bien un reniement.

C’est pour cela, c’est contre l’esprit du monde qu’il nous est demandé plus que jamais d’être nobles. Non pas d’avoir le panache du désespoir : réservez les barouds d’honneur à ceux qui sont vaincus. Nous, au contraire, il nous est demandé de nous battre intelligemment, prudemment, mais de toujours se battre : car tant qu’un homme se bat, il n’est pas vaincu.

Il nous est demandé d’être noble : je n’ai pas dit ” aristocrate “, qui n’est pas la même chose, et qui renvoie au classement social anglais, ou bien traduit la perte progressive du sens de la noblesse en France dans les siècles les plus modernes de la monarchie, où l’on pouvait acheter des charges anoblissantes. Non ! Et je ne circonscris pas non plus cette exigence d’aujourd’hui à un ordre ancien subsistant. L’homme noble dont je parle est aujourd’hui celui que chacun reconnaît spontanément comme tel, et qui combat en gardant toujours dans son cœur les trois vertus théologales: foi, espérance, et charité. Car l’ennemi d’aujourd’hui peut devenir le frère de demain.

Et si votre pire ennemi : le désespoir vous prend, si le spectacle du monde qui vous entoure vous appelle à baisser les bras, songez précisément à ce monde hostile, et demandez-vous s’il existe une autre raison de vivre que de combattre encore et toujours. Encore une fois, je ne parle pas d’un combat désespéré, contre des moulins à vent, d’un combat dérisoire de Don Quichotte. Non, je parle d’un combat mené pour vaincre.

Vaincre, oui ! Oh, tant de choses et tant d’hommes vous persuaderont que votre combat est sans issue. Et pourtant… C’est vrai, nous œuvrons dans le noir, encore que ce soit moins vrai aujourd’hui qu’hier. Mais n’oubliez jamais ce mot éternel de Charette: à l’officier républicain qui l’arrêtait, et qui criait du fond de son cœur: ” Ah, Monsieur, que d’héroïsme perdu! “, le Chevalier vendéen répondit: ” Monsieur, rien ne se perd. Jamais “.

Il disait aussi: ” Nous sommes la jeunesse du monde “. Et c’était vrai ! Vous êtes la jeunesse du monde, précisément parce que vous êtes des héritiers : la semence est en vous!

Alors, venez, fils de Louis XVI, venez chercher votre héritage, l’héritage de Reims, de Clovis et de Clotilde, auquel un régime hideux voudrait vous voir renoncer ! Venez, jeunesse du monde, allons chercher notre héritage, et que l’âme limpide de Louis XVI éclaire nos pas.

Yves-Marie Adeline


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