Editoriaux

Anthropologie politique. Une société anti-humaine. La famille

Depuis une dizaine d’années, plus de la moitié des enfants en France nait d’unions naturelles, c’est-à-dire de parents sans liens matrimoniaux officiels. Ce phénomène est européen et est le dernier en date des changements massifs qui ont signalé l’avènement d’une société anti-humaine.

Nous entendons par société l’organisation des relations humaines sur le plan matériel, culturel, spirituel, individuel et collectif dans le cadre d’institutions reliées entre elles par des règles conventionnelles ou informelles et des moyens de communication, dans lesquels sont inclus les outils de transport et d’échange.

Pour préciser notre approche de l’être humain, rappelons tout de suite ces évidences ; tout homme étant né d’un père et d’une mère est le produit d’une famille, avec son héritage culturel, génétique et patrimonial, il est le fruit d’une lignée donc. Cette donnée réaliste vaut autant pour les enfants dont la situation est habituelle que pour les orphelins. En outre, né en un lieu, grandissant en ce lieu, ou un autre, l’homme a un enracinement géographique, territorial, qui contribue, comme sa famille, à le façonner. Cet enracinement peut aussi bien être une campagne bucolique qu’un centre urbain bétonné et hyper actif. Dans les deux cas, il y a enracinement. Tout homme a des relations sociales qui s’expriment dans le monde du travail, celui des échanges économiques, nécessaires à sa vie. On peut dire que ces trois besoins sont des besoins naturels, en ce sens qu’ils sont les conditions nécessaires de la vie même de l’homme, donc de son inscription dans la nature.

Nous n’avons pas tenu compte du caractère spirituel de l’homme car, à la différence des trois autres besoins énoncés, il n’est pas une part, il est le tout. En effet, l’acte d’intelligence qui rend possible l’union volontaire des hommes en vue de l’engendrement, qui détermine leur installation en un lieu à un moment de leur existence, ou qui préside à leurs relations humaines, cet acte d’intelligence est ce qui caractérise leur nature humaine par rapport aux animaux mus uniquement par l’instinct. L’intelligence est par essence spirituelle et c’est elle qui fait que l’homme est homme. Cet esprit anime tout l’être de manière raisonnable, c’est notre âme spirituelle, différente de la partie sensitive de notre âme. D’après la philosophie antique et médiévale et d’après la théologie chrétienne, c’est cette âme spirituelle qui survit à la mort.

Une réflexion sociale sur l’homme ne doit pas méconnaître ce tout, mais il s’intéresse d’abord aux parties.

L’homme étant caractérisé par ces trois apports naturels, il convient de voir si la société leur correspond et donc si elle est un cadre cohérent pour l’homme.

Il apparaît, tout au contraire, que l’homme, et plus spécialement l’homme occidental, a façonné, ces derniers siècles, un cadre social qui ne lui correspond pas.

En effet, la famille, dans son expression sociale, s’est désagrégée. Non pas qu’il n’y ait plus de famille, y compris solides, mais pour un nombre croissant d’hommes, la stabilité du cadre familial a disparu. On pourrait mentionner ici les enfants nés par PMA dans les couples féminins, où la part masculine de la filiation et donc la moitié du patrimoine et des racines de l’enfant sont occultées. On pourrait aussi parler des enfants nés de GPA, dans quelque couple que ce soit, où l’enfant est l’objet d’une nouvelle traite négrière indicible, et coupé d’une partie de sa famille, mais aussi souvent de sa terre. Cependant, ces deux cas, pour ignobles qu’ils soient, sont marginaux en proportion des maux devenus courants dans la société comme les unions naturelles ou les divorces. Ces unions naturelles sont majoritaires en Occident. Ce sont, par nature, faute de cadre légal, des unions instables et volatiles. Même lorsqu’un couple dure vingt ans, ou toute la vie, en réalité, sa structure est extrêmement fragile, puisqu’elle n’est tenue par aucune institution. Les membres du couple ne se sont engagés dans aucune démarche de légitimation de leur union, car ils n’en voyaient pas le besoin, pour différents motifs. Il en ressort que l’enfant naît dans une famille fragilisée. Les divorces et séparations sont là pour le montrer, puisque désormais, en France, un couple sur deux divorce ou se sépare. Il y a ici une très grande inégalité sociale. Si les familles les plus aisées pécuniairement et les plus préservées culturellement, demeurent plus stables, les familles pauvres sont victimes de séparations et divorces massifs, à répétition. Ce sont donc les enfants des milieux les plus fragiles socialement qui souffrent le plus de cet effritement du couple humain. La reconnaissance des droits patrimoniaux du concubin en cas de décès, la légitimation des unions naturelles, la création du PACS, l’instauration du divorce pour faute, puis par consentement mutuel, enfin les projets actuels de simplification des procédures de divorce ont accru cette fragilisation de la famille en reconnaissant comme valables tous les modèles extérieurs au cadre le plus sécurisant pour l’union.

Ce mal a été rendu nécessaire par un autre, plus profond ; l’éducation sentimentale des hommes accroît l’instabilité des couples :

– par la pratique de relations sexuelles précoces et insensées, c’est-à-dire détournées de l’essence de cet acte créateur d’humanité, qui augmente l’insatisfaction d’êtres humains toujours frustrés tournant leur déception contre leur conjoint, faute d’identifier que le mal est dans le détournement du sens de l’acte ;

– par la promotion du romantisme qui érige la passion, en fait le règne du sentiment, en absolu ; quand la passion ne peut donner ses plus beaux fruits, jusqu’au don de sa vie, que sous les guides de la raison humaine qui cherche le plus grand bien ;

– par le vice inverse, désormais largement disparu, qui consistait à faire primer en tout la raison au détriment de la passion, comprimant les cœurs et les désirs ;

– par le détournement de tout homme de la recherche de son bien souverain, qui est le bonheur parfaitement satisfaisant ; or, nous savons que notre personne étant finie par les bornes de la naissance et de la mort et celles de notre corps, alors que notre intelligence semble ne connaître aucune limite dans la multiplication de ses raisonnements qui se heurtent à ces barrières, il n’y a de bonheur satisfaisant que dans la recherche de ce qui nous dépasse et ne finit pas. Les biens intermédiaires doivent donc être ordonnés vers la recherche du bien toujours supérieur.

La déviance dans ces quatre points et d’autres plus mineurs a fragilisé les rapports humains et rendu nécessaire l’éclatement du cadre familial légitime afin que les hommes n’y meurent point par étouffement.

La conséquence de cet éclatement est la création de générations entières d’hommes fragilisés moralement, parce que nés dans le conflit inter-personnel, l’instabilité des relations familiales et sentimentales, voire dans la rupture et le rejet d’une moitié, voire la totalité de leur ascendance. C’est le premier élément foncièrement anti-naturel de nos sociétés actuelles. Il engendre l’affaissement du lien inter-générationnel, la solitude, non pas seulement des personnes âgées mais aussi des hommes et femmes actifs. Il engendre l’incapacité des personnes, trop préoccupées de leur survie morale et sentimentale, à accueillir l’enfant à naître. Enfin, il rend les hommes plus vulnérables à l’oppression en affaiblissant leur premier réseau naturel de solidarités. En somme, cette société fragilisée se coupe de ses vieux, facilite la mort de ses enfants et isole ses êtres mûrs, dans une espèce de suicide généralisé.

Ces déviances ont toujours existé, et il y a toujours eu des hommes aveuglés ou de petite moralité pour les créer dans leur couple, par le mauvais usage de leur puissance charnelle, ou par l’exacerbation de leurs passions au détriment de la raison, ou l’inverse, alors que passion et raison doivent avancer de concert. En somme, il y a toujours eu des hommes pour se focaliser sur les biens intermédiaires au détriment des biens supérieurs.

La grande innovation de notre temps est l’érection en modèle social valide de ces déviances destructrices dont sont issus largement nos divorces, nos unions naturelles volatiles, nos unions homosexuelles, nos PMA, nos GPA et sans doute la plupart des autres maux à venir dans le domaine familial.

A cet affaiblissement de la famille s’est ajouté le déracinement humain.

A suivre…

Gabriel Privat

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