Idées

Lettre d’un émigré. Etat et idolâtrie contemporaine

« L’Etat est la chose de tous, la res publica, que l’on traduit parfois par la « république », et plus souvent par la chose publique. »[1]

            Il est de ces mots tellement usités qu’ils sont usés jusqu’à la moelle, au point d’en perdre leur substance. Le mot « État » en est certainement le parangon parfait. Ce terrible mot se trouve si dévoyé que, si les docteurs de la pensée condescendaient à se pencher sur ce cas, ils diagnostiqueraient sans aucun doute une nouvelle pathologie psychique, « l’étatite ». Notre société est atteinte d’étatite aiguë. Il faut tout particulièrement insister sur la gravité de l’avancement du fléau : la septicémie « étatite » atteint toutes les cellules du royaume de France, mutées en révulsionnaires rez-publicains.

            Tout le monde est atteint. Le mot dévoyé pollue toute la pensée, jusqu’à ceux qui sont censés être traditionnels. Cherchons un peu les symptômes de cette maladie de la pensée et les dangers qu’elle entraine.

            La citation précédente révèle peut-être la définition historique et originelle de l’État. On se rendra tout de suite compte que pas grand monde possède clairement cette idée à la pensée lorsqu’il entend ou emploie le mot « d’État ». Cela est d’ailleurs tout aussi vrai pour le mot « république » qui est devenu le contraire de ce qu’il désigne. En ce sens l’avènement de la République marque la fin de la république, de la chose publique. L’éloignement de l’usage contemporain de « État » est si loin de sa réalité première qu’il fallait passer par l’histoire et par le Japon pour se rendre compte enfin de l’imposture.

            Le grand danger de ces abus est là : dès qu’ils commencent à se répandre, on utilise l’atmosphère traditionnelle « bonne » du mot pour pouvoir justifier toutes les atrocités et la négation totale de ce qui est pourtant traditionnellement exprimé. La notion de « violence légitime », nécessaire à l’État est en cela exemplaire. Réfléchissons une seconde sur cette expression de « violence légitime ». Ne ressentez-vous une irrésistible éruption d’absurdité ? L’État est la chose publique. Qu’est-ce que la chose publique ? Cela est censé correspondre à la notion japonaise de « Ôyake », et se trouve très proche du bien commun. On a dit que le roi devait servir l’État, il faut entendre la chose publique, et par là le bien commun. La chose publique existe avant tout par la communauté du peuple et la matérialité du royaume. Ce n’est ni une institution, ni un moyen, c’est la synthèse spirituelle, c’est le symbole de l’existence incarnée de la « France », dans sa multitude et sa terre. Une fois cela rappelé, qu’est-ce dire que l’État possède la violence légitime ? Cela signifie en clair que l’État a non seulement le droit mais le devoir de violenter des personnes et des communautés qui la composent pour la chose publique… Cela fait froid dans le dos. La contradiction dans les mots qui justifient toutes les atrocités. La révélation de la face noire de la modernité, par définition violente. Faire violence à une partie de la communauté « France » ne peut jamais se faire en faveur de la « chose publique », puisque tout un chacun participe de la chose publique, et en incarne une partie. Violer par exemple, que ce soit physiquement ou non, une personne c’est violer par lui la chose publique. Cela n’est jamais juste ni droit, n’est jamais légitime. Parler de la violence légitime pour l’État, qui devient un monstre froid qui n’a plus rien à voir avec la chose publique, légitime tous les abus.

            Dans la royauté il n’existe pas de « violence légitime ». Tout ce qui existe c’est la force pour le juste. Le roi servait la chose publique, et il devait être fort pour ce faire. Sa force était légitime. Mais la violence n’est, par définition, jamais légitime. La violence, c’est violer. Violer c’est profané, c’est donc un mal. Utiliser la force n’est pas forcément une violence. Si la force est justement utilisée, elle ne viole pas. L’art de la royauté c’est d’user de la force sans violer, ce qui est une chose extrêmement difficile. L’avènement de la modernité c’est l’avènement de la violence généralisée.

            Nous venons décrire une conséquence matérielle de la manipulation d’une vieille notion. Il existe encore pire. L’Etat et l’abus de ce terme expose sans même se cacher la paganerie contemporaine. Les hébreux avaient adoré un veau d’or. Nous adorons l’État. C’est bien pire. Pourquoi est-ce pire ? Parce que l’État n’existe pas. La modernité a inventé une sorte d’idole bien plus terrible que tout fétichisme : c’est l’idole abstraite, l’idéalisme. Que faire contre une idole abstraite ? On ne peut ni l’abattre matériellement, ni la rattacher à sa composante divine, qui existe toujours dans toute matérialité. L’idole abstraite est sans matière, c’est un monstre sorti de l’imagination vaine et démesurée de la vanité humaine. Voici ce qu’est devenu l’État.

            On ne sait plus ce qu’elle est. Le mot « État » est réellement devenu absurdement inconcevable. Il est intéressant pour constater cela de regarder la traduction japonaise du mot, réalisée au XIXème siècle. Il signifie mot à mot « pays-maison »[2], et révèle ainsi la seule chose censée que l’on peut exprimer avec ce mot : c’est la maison du pays, c’est-à-dire que comme un village peut être uni comme une grande famille, l’État désigne la très grande famille du pays, avec toutes les conséquences spirituelles et matérielles qui en découlent. Ce n’est qu’ensuite, et accessoirement, que le mot peut désigner les institutions, qui ne sont que comme les murs et le toit de la maison, mais rien de plus. Ils n’ont pas d’âme, et ce ne sont pas les habitants.

            C’est peut-être ainsi que « État » est aujourd’hui employé. Il désigne les murs de la maison, son aspect matériel et désincarné. On demande donc, au nom de l’« État » et au  nom de l’« État », de boucher les fenêtres, de faire grossir les murs, d’augmenter les équipements inutiles, au détriment des habitants, qui se font dévorer par les murs qui les entourent. Plus de protection ni de chaleur, seulement le froid des murs de prison à la fois fermés hermétiquement et ouverts aux quatre vents. La maison n’accueille plus, elle invite au pillage…

            Vous comprendrez pourquoi il faut cesser d’user du mot à tort et à travers. L’avènement de l’ « État moderne » détruit l’état originel, la chose publique, la république, détruite par la République, qui devient l’idole de l’idole.

L’avènement de la République détruit la république. Que tous les vrais républicains se rallient au Roi, car seul lui peut défendre la république contre la République, comme le dit la citation suivante, de laquelle nous pourrions d’ailleurs supprimer le mot « État » qui soit ne désigne rien, soit devient une répétition inutile :

            « Le roi occupe cette situation éminente d’interprète souverain du bien commun parce que seul, dans la nation il a entièrement dépouillé sa nature d’homme privé pour n’être plus qu’une personne publique, vouée au service de l’État. »[3].   

Paul de Beaulias

Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France



[1]    François OLIVIER-MARTIN, Histoire du droit français, CNRS éditions, 2010 (1948), p.349.

[2]    国家

[3]    Ibid, p.378.

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