Le Roi et les peuples de France très-chrétien
Le terme de très-chrétien est une locution, un paraxalème diraient les savants, issue du latin christianissimus. Ce sont les papes qui ont créé et utilisé cette expression qui désignait jusqu’au XIVème siècle tous les souverains d’Europe auxquels le successeur de Pierre s’adressait. Relevons que l’expression qualifiait aussi le maire du palais Charles Martel, à l’origine de la dynastie carolingienne. Il s’agissait d’une marque d’amitié et de confiance, et restait donc assez rare. C’est sous le règne de Charles V [1364-1380] que le terme ne désigna plus que le roi de France, et seulement celui-ci. Le roi de France était déjà nommé « nostre bien-aimé et aîné fils » par les papes, il allait être aussi nommé roi très-chrétien. Le terme de chrétien se rapporte alors à l’Eglise apostolique, catholique et romaine puisque la Réforme n’est pas encore apparue. Sous Charles V, l’étendard royal change également puisque le semis de fleur de lys d’or sur fond d’azur devient à « trois fleurs de lys d’or 2 et 1, sur fond d’azur ».
Immédiatement, le terme de très chrétien s’appliqua tant au roi qu’à ses sujets et à l’ensemble du territoire. Depuis 1375, la Chancellerie du roi s’applique à lier ce témoignage de la dévotion du roi de France envers l’Eglise à la dynastie capétienne d’alors, représentée par les Valois. C’est sous le règne pontifical de Paul II, en 1464, que l’adresse au roi de France est « A mon très cher fils en Jésus-Christ, N., roi très-chrétien. » Louis XI sera le premier roi à recevoir ce titre durant tout son règne. Lors des conflits entre le roi et le souverain pontife, ce titre n’est pas retiré, même s’il en a été question. La branche Bourbon va diffuser cette appellation dans les traités et sur les monnaies : la reine est aussi appelée très-chrétienne. C’est sous François Ier qu’était apparu le prédicat de Majesté pour parler du roi, et les traités abrègeront Sa Majesté Très-Chrétienne en un laconique S. M. T. C., désignant sans nul doute possible le roi de France. Puisque la réforme a divisé la Chrétienté, les papes donneront au cours au XVIème siècle le titre de roi catholique au souverain d’Espagne et celui de roi très fidèle, en 1748, à celui de Portugal. Quant aux rois d’Angleterre, il ne faut pas oublier qu’ils revendiqueront la couronne de France jusqu’en 1801 et nommeront « roi très-chrétien » celui qui règne en France. La réponse des rois de France sera de soutenir les droits des Stuarts, traités en souverains dans leur exil, et de demander aux rois d’Angleterre de changer de devise puisque celle-ci est Dieu et mon droict [à la couronne de France, ndla]. Demande jamais obtenue jusqu’à nos jours ! Preuve romantique, et presque dramatique que ce terme est lié au roi de France : Charles X en exil inscrit dans le registre d’un hôtel autrichien « très-chrétien » comme religion alors que sa suite se contente d’écrire catholique.
Mais quelles sont les prérogatives d’un tel titre ? La première est liée au sacre : roi oint par la Sainte ampoule, le roi de France est un « évêque du dehors. » Sous Henri III, puis plus encore sous les Bourbon, le roi devint véritablement à part mais on peut rassembler ce qui caractérise le roi de France comme roi christianissimus :
– le roi était sacré avec l’huile de Sainte Ampoule, ce qui le rendait thaumaturge ;
– le roi portait le deuil en violet comme les évêques, couleur qui ornait déjà sa tunique de sacre.
– le roi lavait les pieds de pauvres garçons lors du Mandé royal du Jeudi Saint, comme le pape, les évêques et les abbés.
– le roi se signait au début de la messe avec l’eau apportée par l’officiant ;
– le roi baisait l’Evangile comme venait de le faire le célébrant juste après la lecture ;
– le roi était encensé par trois coups doubles juste après le célébrant, donc avant les cardinaux et les évêques ;
– le roi était nommé au canon de la messe juste après le pape régnant et l’évêque ;
– à Versailles, le roi était placé dans le chœur et franchissait donc le chancel qui délimitait la zone sacrée, cela rappelait la prérogative de l’empereur romain d’Orient ;
– lors des cérémonies de l’Ordre du Saint-Esprit, le roi se tenait sous un dais, du côté de l’Evangile, ce qui rappelait la position des évêques lors des messes.
Le roi était donc un être à part une fois sacré, ni clerc ni laïc, il faisait le lien entre les chaînes du temps humain mais était aussi le garant de la relation entre les hommes et le Roi des rois, le Seigneur soi-même. Colette Beaune, la talentueuse historienne de Jeanne d’Arc, affirme avec raison que la locution de très-chrétien s’applique aussi aux sujets du roi. Pourquoi cela ? A cela quatre raisons principales : d’abord parce que les Francs ont été les premiers barbares convertis par le baptême de Clovis suivis de ses soldats et parce que les Francs ont soutenu militairement l’Eglise en créant ce qui allait devenir les Etats pontificaux, parce que les Croisés de France ont tant fait en Terre Sainte que les croisés furent appelés Francs et enfin parce que le royaume abrite la Couronne d’épines du Christ et de nombreux autres reliques et sanctuaires. Tout cela est fidèle à l’idée de la relève de l’élection : la France est le royaume que Dieu a choisi pour accomplir Ses volontés. Il n’est donc pas étonnant que Grégoire IX écrive à Louis IX que « la tribu de Juda était la figure anticipée du royaume de France » que dès l’époque mérovingienne les papes aient insisté sur la place d’honneur de ce royaume : Grégoire Ier osait en effet écrire à Childebert II « autant la dignité royale élève au-dessus des autres hommes, autant votre dignité royale franque vous élève au-dessus des royautés des autres nations » Et pourtant, les Francs n’ont pas encore défendu Rome contre les Lombards et les rois francs se méfient de ce pouvoir que représente l’évêque de Rome.
Dans cette même idée de la relève de l’élection, Michel l’Ange chevalier et protecteur d’Israël va devenir le patron du royaume de France jusqu’au vœu de Louis XIII et sa consécration de sa personne, son état et ses sujets à la Vierge. Cette idée que Dieu intervient par la France dans le monde est présente même chez les auteurs non français, tel le chroniqueur anglais Matthieu Paris. La France, terre très-chrétienne, est la nouvelle terre promise, la dévotion du roi et de ses sujets est donnée en exemple et le miracle capétien, l’épopée de Jeanne, les sursauts alors que tout était perdu prouvent que Dieu n’abandonne pas ce royaume. Gesta Dei per Francos…
La France, comme le dit la loi salique, « a Dieu pour fondateur ». Elle ne mourra pas car le Christ aime les Francs ! Avec une Reine comme la Vierge Marie dont le manteau enveloppe nos vies et l’Assomption est notre plus grande joie, avec comme protecteurs Michel le premier chevalier de Dieu, un roi si vénéré et une pucelle si aimable, avec tant de saints, le royaume des lys ne peut tomber tant que son roi et ses peuples seront le réceptacle du nom admirable de très-chrétien.
Charles d’Antioche