Tribunes

Macron est-il un César ?

Il suffit de regarder le personnage, de le contempler même si l’on a beaucoup de patience et de magnanimité, pour se rendre compte qu’une chose est certaine : Macron n’est pas Jules César. C’est le moins que l’on puisse dire, et on tremble rien qu’à l’idée d’associer de si près ces deux noms. Ce n’est certes pas ce que nous voulions dire avec notre titre un poil provocateur ; l’actuel président de la République française n’a vraiment rien à voir avec l’auteur de La Guerre des Gaules, génie militaire et littéraire au moins.

Qu’est-ce que le gouvernement des Césars ?

À l’est, les titres tsar et czar sont des déformations de notre césar, et ces intitulés servent à désigner des fonctions proprement royales et princières. Là aussi, les sujets de ces anciennes têtes couronnées seraient offusqués que nous prétendions en deviner une sous les traits d’Emmanuel Macron. Ce n’est donc pas du côté des tsarismes que nous associerons Macron à un César.

En réalité, c’est moins Macron qui est un César, que « notre » (au sens où c’est nous qui la subissons) République qui est réellement devenue une république des césars. Expliquons-nous.

La fondation de Rome, plus ou moins légendaire, est en tout cas d’essence très personnelle et princière, que l’on considère Romulus ou Énée. La royauté est dans l’ordre des choses, elle est le mode de gouvernement le plus conforme à la nature dans la mesure où elle repose sur le parfait droit d’aînesse lié à la naissance, dont Dieu seul est dépositaire. De fil en aiguille, l’ordre des naissances produit une hiérarchie sociale naturelle, et par là même sacrée – c’est ce que signifie étymologiquement le mot hiérarchie : « ordre sacré ». Il est donc tout à fait logique de trouver quelques rois de Rome, avant le passage à une République aristocratique – et, en tout cas, toujours très religieuse. Là aussi, l’aristocratie est naturelle, car elle renvoie à l’ordre des naissances rendant certaines familles nobles. D’ailleurs, le plébéien Cicéron, bourré de talents et comblés d’honneurs, ayant bien mérité de sa patrie, n’a jamais songé à jouer au noble – ni personne d’autre n’a eu cette idée pour lui.

Mais déjà les choses changeaient et la République romaine se démocratisait. Après avoir été un exemple d’ordre, Rome devenait une proie pour l’anarchie, l’instabilité, l’ambition, la guerre civile. Les épisodes de ce type ne sont que trop nombreux. La démocratie, sans doute importée à Rome à cause de l’arrivée de maîtres et rhéteurs grecs instruisant les enfants des classes dirigeantes de la Ville éternelle, montrait son véritable visage : pour cause de faiblesse, la violence, dans la pire acception du terme. Généralisée, c’est la guerre civile permanente, comme institutionnalisée. La cité devient ingouvernable.

Ingouvernable ? Sauf si… Et c’est ici que la république démocratique, durcie par la violence et ses défauts intrinsèques, accouche de la république des césars. La république démocratique était ingouvernable, sauf à passer par la case « dictature », c’est-à-dire en usurpant ou en concentrant tous les pouvoirs institutionnels. C’est ce que fit Jules César, fort de sa popularité et de son prestige, et ce que ferait également Octavien. Des tribuns de la plèbe s’y étaient essayés. Il s’agit à chaque fois, paradoxalement, de tâcher de restaurer la République des origines en en reprenant et redorant toutes les charges, mais concentrées en une seule personne ou clan.

Que vient faire la République française là-dedans ?

La République française elle aussi, comme la Rome antique, a d’abord été faite et gouvernée par une certaine forme d’aristocratie. Il a bien sûr la « République des ducs » des années Mac Mahon, et bien auparavant une noblesse parfois très engagée dans 1789, ou encore aux avant-postes de la monarchie de Juillet qui était, à certains égards, une république déguisée, comme la Restauration d’ailleurs, ne serait-ce que par le marqueur parlementariste. Ne parlons même pas du Second Empire.

Après 1877-1879 encore, les gouvernants républicains français, quoique majoritairement en lutte ouverte contre l’ordre naturel et le passé, appartiennent malgré eux à une certaine élite : par la langue parlée, par les références culturelles, par les métiers exercés (notaire, médecin…), par les fonctions assumée. L’équilibre s’est peu à peu émoussé, surtout après la seconde guerre mondiale et encore plus au gré du tournant de Mai 68. Une démocratie véritable, réelle, totale s’est mise en place, et l’avènement du socialisme à la président de la Ve République en la personne de François Mitterrand en est sans doute le marqueur le plus hautement symbolique. À côté de cette démocratie pure, l’aristocratie a disparu au profit d’une oligarchie qui ne distingue plus des peuples que par la richesse matérielle et les liens d’intérêts ou de famille (liées à cette même fortune).

La France, depuis, ne fait que s’affaiblir, à l’intérieur comme à l’extérieur. Les tensions sont palpables, le trésor est à sec, la sphère publique gravitant autour du monde officiel invivable. Les fossés se creusent, les fractures s’écartent. Les propos haineux se multiplient, surtout chez ceux qui accusent les autres de véhiculer la haine. Le phénomène de « mort sociale » prend de l’ampleur, les lois liberticides se multiplient, la nature est combattue, la religion est annihilée, l’inquiétude ronge au moins les inconsciences, quand ce n’est pas directement les consciences. En bref, la république démocratique s’est peu à peu radicalisée, montant en violence, d’où son intolérance croissante : durcir pour survivre. Mais nous en sommes peut-être déjà à la république des césars, toujours pour faire survivre l’appareil : la pseudo-séparation constitutionnelle des pouvoirs semble plus que jamais être une fadaise, et la concentration des pouvoirs est manifeste en un César, lequel est moins Emmanuel Macron seul que lui et l’ensemble de son parti, de ses satellites, de ses affidés et réseaux (et l’on pourrait peut-être trouver le César suprême dans certaine société secrète).

Le passage au quinquennat, calquant le choix des parlementaires sur celui de la présidence, a scellé l’absorption du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif. De même, ce dernier s’est accaparé nombre de pouvoirs judiciaires, allant bien au-delà de la seule grâce présidentielle : les plus républicains eux-mêmes ont largement commenté le rôle troublant du Parquet financier instauré par Hollande pour déglinguer un candidat. Et ce n’est qu’un exemple ! Du côté « suprême », le Conseil constitutionnel ne fait qu’entériner la volonté politique du gouvernement en place, allant jusqu’à juger « constitutionnels » les faits les plus contre nature. Ne parlons même pas du Conseil d’État, le volet administratif n’étant qu’une courroie de transmission de l’exécutif. D’autres secteurs plus lointains sont également concernés, comme le monde des médias ou de la culture : des lois veillent à l’extermination de certaines opinions, tandis que les nominations se font toujours dans le même sens.

Emmanuel Macron est ainsi le césar d’une république violente concentrant en une pyramide sévèrement hiérarchisée l’ensemble des moyens de coercition disponibles, dont l’objectif est de survivre tout en produisant du bénéfice pour quelques personnes, en France ou ailleurs. Une autre similitude avec la république des césars est la constitution d’une clientèle plébéienne par la répartition de subsides publics : là aussi, c’est une spécialité de la République française, progressivement, depuis la décennie 1930 (et Vichy n’a pas dérogé à la tendance).

Reste maintenant à savoir ce qui pourra succéder à une république des césars, aussi fragile qu’elle est rude…

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