Les chroniques du père Jean-François ThomasTribunes

Le syndrome de l’ourson en peluche

L’immaturité et le sentimentalisme sont des caractéristiques de notre société et provoquent une perte de virilité en présence d’épreuves particulières. À force de vider un peuple de son sang spirituel, ne subsiste plus qu’une carcasse pantelante et faisandée. Après avoir anesthésié le spirituel et bridé le rationnel, les pouvoirs politiques et occultes ont tout misé sur l’affectif, proposant cet os à ronger sur lequel les masses se sont précipitées, y faisant leurs délices, ceci depuis plusieurs décennies. Le moindre événement tragique est désormais l’occasion de déverser des flots de guimauve, de paroles creuses et faussement braves, des torrents de larmes publiques et de gémissements médiatiques dans un décorum, selon les circonstances, de ballons blancs, de fleurs brandies, d’animaux en peluche, de banderoles arborant des slogans réducteurs. L’épisode « Je suis Charlie », émergeant de façon « spontanée » quelques heures seulement après l’attaque terroriste, suivi par des marches où chacun annonçait fièrement « même pas peur », fut le révélateur de ce qui avait déjà été mis en place, en sous-main, depuis longtemps. Il existe de ces insectes qui inoculent dans leurs proies une substance désagrégeant les organes internes de ces dernières, ceci afin de se nourrir ensuite de cette affreuse et substantifique substance. Les forces qui dirigent le monde procèdent de façon identique avec les peuples et aspirent ainsi les restes de leur âme et de leur esprit en leur imposant des comportements et des réflexes qui ne répondent à rien de naturel et de surnaturel.

Tel est le cas de cette nouvelle coutume, en temps de confinement, d’applaudir à heure fixe, chaque jour, ceux qui sont regardés comme les héros du moment. Qui a initié cette pratique ? Là aussi, l’origine est trouble et les réseaux dits sociaux ont eu beau jeu d’embrigader dans leur troupe une multitude de personnes ne réfléchissant pas plus loin que le bout de leur nez, prêtes à s’épancher pour maîtriser leur angoisse ou leur ennui. La plupart de ceux qui applaudissent à tout rompre sont obéissants jusqu’à répondre volontaires pour participer à la délation encouragée par les responsables politiques et sécuritaires. Il est intéressant de noter qu’à chaque catastrophe, en lieu et place d’agir virilement, de se centrer sur ses propres devoirs, l’homme festif contemporain a besoin de couronner des idoles passagères, des héros fugaces, souvent des êtres qui ne remplissent que leur devoir d’état et qui sont bien éloignés des véritables héros se sacrifiant, dans de terribles conditions, sur les champs de bataille des conflits mondiaux. Plus besoin de tranchées, de sièges éprouvants, de maquis et de camps de concentration, de pelotons d’exécution, d’affrontements rangés au sein de la dureté des éléments, d’actes de bravoure gratuite allant jusqu’au sacrifice de sa propre vie, pour que les lauriers soient distribués. Déclarer héroïque telle ou telle catégorie de la population est simplement répondre au besoin de combler un vide, de se rassurer soi-même afin de ne pas faire face à ses propres responsabilités. Les « blouses blanches », – les « soignants » selon cet horrible néologisme -, ne sont pas plus héroïques que les autres. Les héros sont rares et ce sont toujours des personnes uniques, pas des groupes constitués. Combien, parmi ces « blouses blanches », font œuvre de mort en mettant en application les derniers décrets rallongeant le temps légal de l’avortement et ouvrant la porte à l’utilisation massive et simplifiée des sédatifs pour une euthanasie qui ne dit point son nom ? La grande machine républicaine, celle qui n’a cessé de vandaliser l’esprit des peuples depuis deux siècles, initie et promeut de tels hommages, prévoyant même un défilé du 14 juillet où seraient présentées des colonnes d’éboueurs, de médecins, d’infirmières, d’« enseignants » (autre néologisme), de caissières etc, renouant ainsi avec les plus belles heures des parades des pays totalitaires. Applaudir en serrant un ourson en peluche sur son cœur serait une action « citoyenne ». Un tel formatage est simplement héritier des attroupements organisés sur le passage des condamnés de la Terreur. Un jour, on applaudit au meurtre du Roi, le lendemain, on s’applaudit soi-même comme héros. Léon Bloy notait dans son Journal, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne :

« Autrefois, il y avait le délire des grandeurs ; aujourd’hui, c’est le délire de la petitesse. »

Nous nous vautrons dans la bassesse, la médiocrité, la petitesse, et nous façonnons des héros à notre mesure. Honte à nous ! Nos pères et nos aïeux, du haut du ciel, contemplant un tel spectacle doivent verser des larmes de rage impuissante, eux qui, pour beaucoup, ont su ce qu’était le sens du sacrifice et qui ne bradèrent jamais à l’encan cette précieuse réalité de l’héroïsme, tout aussi rare que la sainteté.

Ce sont des aveugles qui battent des mains sur les balcons et les terrasses de France, aveugles qui refusent de regarder le monde défiguré qui s’effrite sous les coups des barbares modernes, et qui rêvent déjà aux plaisirs retrouvés et décuplés qui les attendent lorsqu’il ne sera plus nécessaire d’applaudir. Georges Bernanos, visionnaire, avertissait, dans La France contre les robots :

« Si vous êtes trop lâche pour regarder ce monde en face afin de le voir tel qu’il est, détournez les yeux, tendez les mains à ses chaînes. »

Dessiner des cœurs et taper sur des casseroles aux fenêtres ne nourrissent pas l’âme et l’esprit, ne structurent pas un être, ne lui fabriquent pas une armure pour le combat. Le Malin s’abattra sur le monde d’autant plus aisément qu’il enverra voler d’un revers de main les ours en peluche en éclatant de rire. L’avenir est toujours plus rude pour les lâches et pour les mous.

Entendons-nous : il ne s’agit pas de faire preuve d’ingratitude et de ne pas reconnaître le prix du vrai sacrifice. Il s’agit de faire preuve de discernement, de prudence et de refuser la naïveté qui nous pousse dans les bras de ceux qui se moquent éperdument de ce qu’est l’homme. Pas facile d’adopter l’attitude juste car les voix autorisées se sont tues ou ont disparu. Nous sommes orphelins d’un roi et le phare bimillénaire de l’Église est en veilleuse. Il faut avancer en tâtonnant et sans céder aux sirènes enchanteresses. Que nous est-il promis d’ailleurs pour demain sinon un retour à la normale comme si le coup d’essai dictatorial n’avait pas existé ? Celui qui aura applaudi sera récompensé car il n’aura pas poussé un cri de révolte. Il aura pris l’habitude d’applaudir tout ce qui lui sera désigné comme participant à son bien , à son bien-être. Il ne désirera plus que ce qui lui sera donné et non pas ce qui exigerait de lui un effort, un sacrifice personnel. Georges Bernanos, dans Les Grands Cimetières sous la lune, soulignait déjà :

« Certaines contradictions de l’histoire moderne se sont éclairées à mes yeux dès que j’ai bien voulu tenir compte d’un fait qui d’ailleurs crève les yeux : l’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible. Comme après le Déluge, la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous. »

Aucune crise, aussi grave soit-elle, ne conduit en elle-même l’homme à poser un sage bilan et à corriger ce qui doit l’être pour le bien de sa survie et de sa croissance. Croire que les cartes, parce que distribuées dans un ordre différent, ont changé, serait simpliste. Les ratés d’hier, actions ratées et hommes ratés, seront toujours aux commandes puisque la morale de l’histoire n’est pas, ne sera pas entendue : l’homme ne peut pas vivre sans nourrir son âme et sans Dieu. Le « nouvel ordre mondial » qui nous est promis ne sera que le désordre d’hier réorganisé par l’Ennemi. Les démons, et leurs serviteurs, ne lâchent jamais rien. Ils ne cèdent que devant la puissance divine, en grinçant des dents et en poussant des hurlements qui se mêlent à toutes les paroles du monde.

Ceux qui n’auront cessé de prouver, aux puissances du jour, leur servilité, leur obéissance, leur sentimentalisme, seront de parfaits pensionnaires de l’immense centre de rééducation de notre planète. Pourvu qu’ils ressortent, au signe de commandement, leur ourson blanc, il leur sera attribué la nourriture du corps et le divertissement. Les résistants, les rebelles, ceux qui voudront se nourrir du Corps du Sauveur et qui ne mettront pas l’honneur dans le caniveau, ceux-là seront surveillés, persécutés, anéantis. C’est ce petit reste qui brandira les palmes  et sera revêtu de robes blanches, criant la gloire de l’Agneau, comme le rappelle le Livre de l’Apocalypse (VII, 9-10). Il ne sera plus temps de lancer des ballons blancs vers le ciel noir.

 

P. Jean-François Thomas, s.j

Dimanche in Albis

 

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