Chretienté/christianophobieCivilisationHistoireLes chroniques du père Jean-François Thomas

Le R.P. Pierre-Joseph de Clorivière, un jésuite en des temps troublés 1735-1820

                                                                  

2. A travers la Révolution et vers la Restauration

                                                        Une révolution n’est jamais rassasiée de violence. La grande Révolution fut l’inspiratrice de toutes les autres. Comme Pierre de Clorivière n’a pas peur de prêcher la vérité en chaire, la municipalité de Dinan lui intime l’ordre de quitter la direction du collège. Les Jésuites avaient évangélisé l’Amérique du Nord au prix du sang, et le premier évêque de Baltimore, le P.Jean Caroll, était prêt à accueillir ses anciens confrères. Le P.de Clorivière fut tenté de répondre à cette aventure missionnaire et d’essayer de convaincre le Pape de refonder la Compagnie de Jésus aux Etats-Unis, mais Rome est peureuse et fait savoir que cela ne serait pas possible. Il ne veut pas quitter la France alors que la tempête est partout. Il doit vivre dans la clandestinité mais ne prend aucune précaution. Un jour même, il croise les hommes chargés de l’arrêter et, se faisant passer pour un domestique, leur ouvre son appartement et s’en va à leur barbe. Lorsqu’il apprend, le 10 août 1792, le massacre de plus de deux cents prêtres au séminaire Saint-Firmin des Carmes, il réagit en déclarant : « Je regarde comme bienheureux le sort de mes frères ; la confiance que j’ai de leur bonheur ne me permet pas de prier pour eux. » Finalement, sous la pression de ses amis, il se réfugie dans une cachette, un passage entre deux murs, obscur et très étroit, où il élèvera un petit autel et où il passera les temps sanglants de la Révolution. Il prie et il écrit ses études sur la Révolution, Vues sur le temps présent et les temps à venir et Doctrines de la Déclaration des droits de l’homme. Son frère Alain de Limoëlan, et une de ses nièces, périssent sur l’échafaud. Sa sœur visitandine est emprisonnée et doit être exécutée pour sa plus grande joie, mais elle sera épargnée par la chute de Robespierre.

                                                        Son analyse des événements, sans passion et avec finesse, va jusqu’à la racine du mal, comme le fera aussi un Joseph de Maistre. Il souligne le caractère satanique de la Révolution et il annonce qu’elle sera générale car elle exportera, par la franc-maçonnerie, ses idées perverses dans toute l’Europe et dans le monde. Il est persuadé que des temps plus cléments verront le jour, tout en étant convaincu que le mal est irréversible. Dans l’avenir, il faudra ramener le peuple à sa conscience, non point la conscience telle qu’elle est souvent entendue de nos jours, à savoir un guide personnel et relativiste, mais la conscience comme juge intérieur établi par Dieu dans le cœur de chacun. Il dénonce le verbiage hypocrite et manipulateur des révolutionnaires dont la voie avait été tracée par une certaine rhétorique académique et pamphlétaire de la philosophie des Lumières. Il décortique la Déclaration des droits de l’homme, les trois versions de 1789, 1791 et 1793, notant très justement  que parler de droits naturels et imprescriptibles tout en les changeant d’une version à l’autre n’est pas une démarche très rationnelle. Il y voit une véritable singerie du Décalogue. La liberté devient faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, sans aucune référence aux lois divines. De nos jours, le discours est identique lorsqu’il s’agit de brandir l’étendard de la liberté individuelle.

                                                        Sorti quelque temps de sa cachette à la mort de Robespierre, le P.de Clorivière est obligé d’y retourner lorsque recommencent les persécutions les plus violentes à partir du coup d ‘état du 18 Fructidor An V (4 septembre 1797). Puis, peu à peu, l’ordre est rétabli et des négociations s’ouvrent pour un Concordat entre le Directoire et le Saint-Siège qui sera signé en 1801. Le P.de Clorivière voyage notamment en Provence et à Rouen, prêchant des retraites et des missions dans une France dévastée religieusement, ceci jusqu’au 5 mai 1804 où il est arrêté, considéré comme suspect car certains membres de sa famille avaient participé à la chouannerie bretonne. Sans aucun acte d’accusation à son endroit, il fut emprisonné, d’abord à la prison de la Force, puis dans la Tour du Temple, ceci jusqu’en 1809 où il fut relâché sans davantage d’explications… Sa plus grande souffrance fur de ne pouvoir célébrer la messe durant ces années ; Il put conserver dans sa chambre de prisonnier des hosties consacrées, ceci grâce à l’intervention de l’autorité ecclésiastique par ailleurs impuissante à le faire libérer. Le geôlier-chef, un brave homme, fermait les yeux. Ce dernier traitait d’ailleurs très bien la centaine de prisonniers, les laissant libres d’aller et venir dans la prison, de recevoir des visiteurs, y compris pour les repas. Ce n’était plus le régime qu’avait connu le roi martyr Louis XVI, dont le P.de Clorivière occupa d’ailleurs la chambre. Notre jésuite s’occupait à prier, à lire, à écrire, – dont les monumentales Méditations sur l’Apocalypse et le Commentaire littéral -, sans oublier son apostolat auprès de ses compagnons de geôle qui avaient tous conspiré contre le premier Consul.

                                                        Son étude de l’Apocalypse est prophétique car elle annonce les erreurs qui seront condamnées, un siècle plus tard, dans l’encyclique Pascendi Dominici gregis de saint Pie X contre le modernisme. Il parle d’une époque plus terrible que celle de la Révolution, « lorsque des chrétiens devenus infidèles ne se contenteront point de renoncer à quelques points de la religion catholique, mais les attaqueront tous à la fois. Quelque désirable qu’il soit que ceux qui, alors, garderont le dépôt de la foi, aient tous une égale constance, une parfaite unanimité, on ne peut l’espérer tout à fait… » Deux siècles plus tard, nous sommes plongés au sein de cette crise. Le jésuite qui sort de prison a soixante-quatorze ans. On pourrait croire sa vie sur le point de s’achever. Il n’aura vécu toute sa vie religieuse et sacerdotale que dans l’opprobre, la clandestinité, la persécution, l’emprisonnement, ceci de la part de l’Eglise d’abord et du pouvoir politique ensuite. Il se rend en Normandie pour rencontrer les Pères de la Foi, c’est-à-dire les anciens Jésuites survivants qui s’étaient regroupés en association pour préparer une possible restauration de la Compagnie de Jésus. Le 7 mai 1801, Pie VII l’avait rétablie en Russie, puis en juillet 1804 dans le royaume des Deux-Siciles. Le P.de Clorivière fut agrégé à la « province de Russie », sans y mettre les pieds bien sûr. Il faudra attendre le retour des Bourbons pour que le Souverain Pontife se sente suffisamment libre pour une pleine restauration de la Compagnie, le 7 août 1814, par la bulle Sollicitudo omnium Ecclesiarum. A quatre-vingts ans, le P. de Clorivière fut nommé supérieur pour la France, cumulant toutes les charges et commençant en accueillant douze novices, dix prêtres et deux frères. Les débuts furent spartiates, ne serait-ce que pour loger les recrues qui ne cessaient d’affluer. L’Eglise en France était dans un état catastrophique à la fin de l’Empire. Les besoins étaient énormes et bien des régions étaient redevenues païennes, comme le petit village d’Ars avant l’arrivée de son nouveau et humble desservant, Jean-Marie Vianney. Les évêques pressèrent le P. de Clorivière de leur donner des prêtres zélés et instruits. Il fit face comme il put, rassemblant les anciens jésuites de son âge, accueillant des prêtres diocésains désireux d’entrer dans la Compagnie. Il fallut de nouveau se disperser lors des Cent-Jours, mais le P. de Clorivière demeura à Paris, familier des mesures policières. En 1818, lorsqu’il abandonna enfin sa charge, épuisé, la province ressuscitée comportait déjà cent cinquante religieux. Devenu aveugle, il passa les deux dernières années de sa vie dans la prière et mourut le 9 janvier 1820, au petit matin, agenouillé devant le Saint-Sacrement.

                                                        Durant toute son existence, il fut un combattant acharné de la vérité mise en faillite. Il prévient d’ailleurs, dans ses Vues sur l’avenir : « Il se trouve toujours, même  au sein de l’Église, des hommes qui se rapprochent du monde et de la manière de penser du monde, des hommes qui font consister leur force d’esprit à contester les vérités les plus plausibles quand elles ne sont pas selon le goût du monde ; il y aura donc des fidèles qui, sans examen, se conformeront au jugement des sceptiques et des propagateurs d’incrédulité. »  Parce qu’il a connu la plus grande révolution qui fût, il fut capable de déceler qu’elle était le signe annonciateur d’un cataclysme encore plus vaste et menaçant qui frapperait le monde entier et l’Église. Est-ce parce qu’il fut d’une lucidité sévère qu’il n’est toujours pas canonisé, alors que sa vie est un modèle évangélique ? Sa parole ne peut que déplaire à nos esprits contemporains. Il pointe du doigt là où le pus se cache.

                                                        Cet homme d’ « ancien régime » entra dans le nouveau sans illusion et sans naïveté. Ses fidélités, à Dieu, au Roi, à la Compagnie de Jésus, à son pays, demeurèrent intactes alors que tant n’hésitèrent pas à trahir, à renier, à épouser les idées du moment, à devenir révolutionnaires, puis bonapartistes avant de mourir bourboniens. Il est par excellence la figure du jésuite de toujours, loin des caricatures féroces et mortelles du Jansénisme et des Lumières, un homme de parole et d’action, humble et fort. Puisse-t-il nous aider à retrouver le chemin de la vérité, alors que nous sommes les directs héritiers abêtis de la Révolution.

                                                        P.Jean-François Thomas s.j.

                                                        S.Boniface

                                                        5 juin 2019

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.