Les chroniques du père Jean-François ThomasPoints de vue

Dans les méandres de la politique

Avec son emportement habituel, Gustave Flaubert écrivait à Claudius Popelin : « Mon rêve est de m’en aller vivre ailleurs qu’en France, dans un pays où l’on ne soit pas obligé d’être citoyen, d’entendre le tambour, de voter, de faire partie d’une commission ou d’un jury. Pouah ! Pouah ! » Que ne dirait-il aujourd’hui, alors que les institutions étatiques sont à bout de souffle, que le pays est éclaté en « communautés », que la corruption de ceux qui se présentent comme l’élite est rampante et envahissante, que les racines françaises sont desséchées car négligées ou franchement attaquées ? Le même Flaubert, correspondant cette fois avec  Madame Roger des Genettes, s’écrie : « Ô France ! Bien que ce soit notre pays , c’est un triste pays, avouons-le ! Je me sens submergé par le flot de bêtise qui le couvre, par l’inondation de crétinisme sous laquelle peu à peu il disparaît. Et j’éprouve la terreur qu’avaient les contemporains de Noé, quand ils voyaient la mer monter toujours. Les plus grands bénisseurs, tel que le père Hugo, commencent eux-mêmes à douter. Je voudrais disparaître de ce monde pendant 500 ans, puis revenir pour voir « comment ça se passe ». Ça sera peut-être drôle. » Cette sévère analyse du XIXe siècle n’a rien perdu de sa pertinence, bien au contraire. Voilà à quoi conduisent les méandres d’une pratique politique pervertie depuis plus de deux siècles. Pratique politique qui a rejeté les fondations philosophiques anciennes  pour lesquelles, à la suite de saint Thomas d’Aquin, la finalité du politique était le bien commun mais toujours en lien avec une anthropologie qui regardait l’homme à la fois dans son aspect d’animal raisonnable et d’être social. L’anthropologie a été rayée de la carte et le bien commun n’est guère le but poursuivi par les responsables politiques.

En étant spectateur de la déroute contemporaine, une phrase du Journal de Jules Renard, en 1906, remonte à notre mémoire : « C’est l’heure où les bœufs vont boire. Nous n’avons pas de lions. » Nous pourrions ajouter que les bœufs eux-mêmes ont disparu car ce serait injustice faite à ces animaux que de les comparer à la masse chaotique de notre société qui ne prend même pas le temps de mastiquer, de digérer, et qui se précipite plutôt du haut de la falaise comme le troupeau de porcs possédés se jetant dans le lac de Génésareth (Luc VIII,32-33). Lorsque la loi naturelle, non écrite, n’est plus rapportée à la loi civile, cette dernière se met à errer, comme une folle sans repère, tout en se persuadant qu’elle se dirige vers la bonne direction. Un véritable chef d’état doit constamment exercer la vertu de prudence qui permet de choisir la meilleure (et parfois la moins pire) parmi toutes les possibilités en présence. Le débat entre Charles De Koninck, De la primauté du bien commun contre les personnalistes. Le principe de l’ordre nouveau,  et Jacques Maritain, La personne et le bien commun,  dans les années 1940, est toujours éclairant, le premier défendant, à juste titre, la primauté du bien commun sur les options personnalistes du second. Les politiques n’ont plus comme souci de faire taire les troupeaux en les gavant de jeux et de pain, ceci sans aucun rapport avec le bien commun. Le peuple doit être dépossédé de son âme, remplacée alors par des besoins matériels de plus en plus contraignants et inutiles. Ce qui est nécessaire pour son bonheur véritable lui est refusé, retranché.

Il n’est pas étonnant que plus en plus de Français se pincent le nez en s’approchant du marigot aux crocodiles, lorsqu’ils se font un devoir d’aller aux urnes pour élire des représentants qui ne le sont que d’eux-mêmes et qui, de toute façon, n’ont jamais eu la moindre étincelle de désir de se mettre au service du bien commun. Pourtant, le rite républicain se poursuit, s’entourant avec suffisance et sans rire d’une légitimité qu’il n’a point. Comme le notait Paul Claudel dans son Journal, « les élections sont l’abdication rabâchée tous les quatre ans par un peuple gâteux. (…) Tous les quatre ans la France désigne ses représentants dans un accès de catalepsie alcoolique. »   Avant lui, Charles Baudelaire avait été tout aussi lucide : « Il n’y a de gouvernement raisonnable et assuré que l’aristocratique. Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles. » (Mon cœur mis à nu) Inutile en effet de regarder vers les monarchies occidentales encore existantes en espérant y retrouver des traces de cet esprit aristocratique qui fait sortir du peuple tout entier tous ceux qui possèdent vertu et talent afin de guider les autres, ceci après avoir fait leurs preuves en travaillant et en se sacrifiant pour la terre nourricière. Un roi des Français ne peut pas redonner à la France ses lettres de noblesse, noblesse du cœur et de l’âme. Seul le roi de France, renouvelant le sang aristocratique comme l’avait fait saint Louis grâce notamment aux croisades, pourra restaurer, – jamais à l’identique bien sûr car devant correspondre aux nouveaux enjeux à l’échelle internationale-, une réalité mise à mal depuis tant de décennies. Sinon, une monarchie de quatre sous ne vaut pas plus, et parfois moins, qu’une république encore soucieuse de la vie morale de ses citoyens. Charles Baudelaire écrivait encore : « Pourquoi les démocrates n’aiment pas les chats, il est facile de le deviner. Le chat est beau, il révèle des idées de luxe, de propreté, de volupté, etc. » (Fusées)

                                                                           Dans son journal Au Seuil de l’Apocalypse, Léon Bloy se lamentait sur ce mystère d’iniquité : « C’est tout de même ahurissant de penser à l’inexplicable autosurvie du régime républicain. »  Lui qui décelait dans le suffrage universel le mal absolu, arbre de mort auquel s’est pendu le mauvais apôtre ( L’Invendable), ne pouvait pas atteindre la profondeur de ces ténèbres épaisses, tant le mal est enraciné ou semble l’être. Pourquoi le Français, rebelle de nature, qui pendant des siècles ne s’en laissa pas compter, est-il devenu aussi passif et obéissant, ceci malgré des soubresauts réguliers qui ne peuvent cependant pas mettre à mal le système fermement établi et jaloux de ses prérogatives. Le Français est de plus en plus soumis, abêti, silencieux. Lorsqu’il lui arrive de ruer dans les brancards, le pouvoir est là, aux aguets, pour mater toute tentative de changement et de redressement. Élection après élection se maintient une ronde éternelle car les politiques, pour lesquels rien ne change y compris dans le bouleversement des révolutions, prennent soin à recommencer avec cette histoire incessante, comme le souligne Georges Bernanos dans sa Lettre aux Anglais.

La théocratie de la Cité de Dieu de saint Augustin a le mérite de montrer que l’autonomie politique de l’homme est un mensonge. Pour ce docteur, l’homme livré à lui-même, sans la référence à Dieu, ne peut que gouverner dans l’injustice. Le pouvoir doit se nourrir de la création divine et point de la rationalité si chère à la démocratie et à la philosophie athéniennes. Les quatre formes de droit de saint Thomas d’Aquin permettent un rééquilibrage par rapport à l’ordre uniquement transcendant de la philosophie politique augustinienne : le droit divin que la raison humaine ne peut atteindre, le droit naturel qui peut être connu par l’intelligence de l’homme, le droit positif divin transmis par l’Église, et enfin, le droit positif humain. Ici, l’Église est le levier qui permet de maintenir le cap sur le droit divin et d’aider les hommes à conformer leur droit au droit naturel. Nous constatons qu’il ne reste plus, dans nos sociétés modernes, que le droit humain, réduit de plus à une peau de chagrin. Cette amputation volontaire rend l’exercice du pouvoir diaphane en ce sens qu’il n’est plus contrôlé par rien, sauf le suffrage des urnes, c’est-à-dire que des borgnes élisent des aveugles ou inversement dans le meilleur des cas. Louis-Ferdinand Céline, à la réputation si sulfureuse, confiait, crûment, dans une Lettre à Eugène Dabit : « Ils ont fini députés ! Fainéants ! On ne votait pas du temps de Cervantès, du temps de Breughel, du temps de Villon. C’est un bulletin qui coupe les c……. »

Ces constats ne doivent pas conduire au découragement. Sans doute les réserves d’industrie et d’intelligence des peuples de France ne sont-elles pas épuisées, même si appauvries et au milieu d’une jungle inextricable entretenue par les élites autoproclamées, par les groupes de pression et d’influence. Un catholique légitimiste est capable de tout supporter et de tout traverser. Il sait que, de toute façon, à la fin s’écrouleront tous les châteaux de cartes.

 

 

P.Jean-François Thomas s.j.

Vendredi après les Cendres

                                                        Sainte Couronne d’épines

                                                        28 février 2020

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