CivilisationHistoire

[La Légitimité] Un ultime sursaut de l’Occident ?, par Thierry Buron


Nous reproduisons ici un article de l’historien Thierry Buron, initialement publié dans les annales d’un colloque universitaire s’étant tenu le 26 février 2000 : « La fin de l’Occident », Actes du Colloque Universitaire du 26 février 2000, La Légitimité, n° 46, 2000.


Où se trouvait le salut de l’Occident en 1940 ?

Par Thierry Buron

L’idée d’Occident a connu un long déclin depuis la fin du Moyen Âge avec l’abandon de l’idée de Croisade et l’échec d’un empire d’Occident, et le XIXe siècle à la suite des Lumières a prétendu l’enterrer définitivement par le libéralisme, la déchristianisation et le concept révolutionnaire de civilisation universelle qui en est issu. En France par exemple, l’idée de république qui symbolise ce mouvement est subjectivement et objectivement la négation de l’idée d’Occident.

Est-ce incongru, dans ces conditions, de se demander où se trouvait le salut de l’Occident vers 1940 ? Non si l’on veut bien remarquer que l’entre-deux-guerres, la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide ont dans la première moitié du XXe siècle ranimé l’idée d’Occident, et ce pour trois raisons : la prise de conscience lors de la Première Guerre mondiale d’un bouleversement des valeurs occidentales européennes, le sentiment d’un affaiblissement de l’Europe face au monde colonial et aux États extraeuropéens émergents, la réaction en Europe occidentale face à la montée d’un Orient barbare et asiatique, de la Chine à l’Allemagne.

Sur le fond, des intellectuels européens dès les années vingt ont alerté l’opinion sur le « déclin de l’Occident» (Oswald Spengler en 1918-1922) ou la menace pesant sur ses valeurs spirituelles (Défense de l’Occident d’Henri Massis en 1927, le manifeste Pour la défense de l’Occident et la paix en Europe du même auteur le 4 octobre 1935). Le souci de l’Occident n’a donc pas totalement disparu en 1940.

D’autre part, l’idée d’Occident est une arme de propagande au moment où la Seconde Guerre mondiale est sur le point de se mondialiser et de prendre une forme nettement idéologique du fait de l’entrée en guerre de l’URSS et des États-Unis d’Amérique en 1941. Elle reparaît dans les discours de guerre des puissances belligérantes (à part l’URSS évidemment), en particulier de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. L’Allemagne hitlérienne s’en sert contre les démocraties occidentales et l’URSS, la Grande-Bretagne de Churchill et les États-Unis de Roosevelt contre l’Allemagne national-socialiste et l’Axe. De même le thème est repris pendant la guerre froide contre la menace du communisme soviétique. Depuis, il a décliné et disparu.

Pourquoi 1940-1941 ? De septembre 1939 à juin 1940, la guerre n’a pas encore un caractère mondial et idéologique. À partir de l’été 1941, l’URSS est l’alliée des démocraties occidentales. 1940/1941 est le moment où l’idée d’Occident prend forme dans la propagande de guerre des belligérants (les États-Unis étant virtuellement belligérants depuis l’été 1940). L’Allemagne prépare sa rupture avec l’URSS ; les Anglo-Saxons revendiquent un leadership du monde occidental et l’URSS n’est pas encore formellement leur alliée. Dès le début de la guerre contre l’URSS, l’Allemagne mobilise le sentiment occidental anticommuniste pour rallier les opinions politiques.

L’idée d’Occident est donc bien présente dans les deux camps, mais avec des décalages et des arrière-pensées dus à la position des belligérants qui s’en réclament. 

La question se pose donc de savoir quelle est leur vision de l’Occident, dans quel but ils l’emploient et quel est le degré d’authenticité de leur adhésion.

La difficulté réside dans l’ambiguïté d’une définition de l’Occident au XXe siècle : se définit-il géographiquement, face à l’Est ou à l’Orient ? Dans un cadre continental, c’est-à-dire européen ? Mais ne risque-t-il pas alors de se dissoudre dans une idée d’Europe au sens territorial ou géopolitique et aux valeurs incertaines ? Se définit-il spirituellement, comme la forme traditionnelle de la Chrétienté, ou à l’inverse comme la forme moderne des Lumières et de l’humanisme laïc, c’est-à-dire dans ce dernier cas en fin de compte indépendamment de l’Europe, voire hors d’Europe et même contre elle ? Quelle valeur attribuer alors à l’invocation du christianisme ou de l’Occident chrétien par tel ou tel belligérant ? Se définit-il politiquement et culturellement, comme le foyer de l’espace où se fait le progrès de la civilisation, face non seulement à la barbarie ou au primitivisme et au despotisme oriental ou asiatique, mais aussi face à la tradition, forcément obscurantiste et réactionnaire de l’Occident moyenâgeux ? N’y a-t-il pas une invocation de l’Occident qui renie le sens même de l’Occident ? Le terme, on le voit, est ambigu et contradictoire.

On se contentera ici d’analyser l’idée d’Occident vers 1940 dans les discours publics des dirigeants des trois grandes puissances en guerre ou sur le point d’y entrer, Hitler, Churchill et Roosevelt, et de se demander si le refuge de l’Occident ne se trouvait pas ailleurs que dans l’un ou l’autre des camps qui s’affrontaient.

I – L’Occident d’Hitler : protégé ou ennemi ?

Hitler a utilisé l’idée d’Occident de façon intermittente pour justifier devant l’opinion occidentale le régime et la politique extérieure de l’Allemagne national-socialiste, face au communisme et à l’Est, dans un sens surtout défensif, sans référence explicite aux valeurs de l’Occident. En 1936, au temps de la remilitarisation de la Rhénanie, du Front Populaire et de la guerre d’Espagne, l’Allemagne se présente comme le rempart contre le bolchevisme. En 1938 lors de la crise de Munich, la Tchécoslovaquie est dénoncée comme le porte-avions des Soviétiques.

En 1941, dans la guerre contre l’URSS, l’idée d’Occident est implicitement mobilisée sous la forme de la croisade contre le bolchevisme, et de la défense face à l’Est. L’Allemagne incarne alors la défense de l’Occident contre la menace d’invasion de l’Est (guerre préventive), qui répète les grandes invasions du passé (Mongols, Huns), surtout dans les discours d’octobre-novembre 1941 lorsque l’avance en Russie piétine et que les États-Unis s’apprêtent à entrer dans la guerre.

Mais il ne s’agit pas d’un thème constant. Au temps du pacte germano-soviétique, il est évidemment absent. La Pologne, nation slave occidentale, est pour Hitler « l’enfant gâtée des démocraties européennes. [Elle] n’appartient absolument pas aux nations civilisées » . La Tchécoslovaquie est « un État artificiel créé dans l’intérêt de l’Ouest de l’Europe, une base de départ pour les opérations militaires conjuguées avec l’invasion du Reich par l’Ouest ». En Espagne, lors de la guerre civile, « on a littéralement égorgé la population de villes et de villages entiers sous le patronage tacite et clément des apôtres humanitaires et démocratiques d’Europe occidentale et l’Amérique ».

Le sens du message en 1939 est que les démocraties occidentales qui s’opposent à l’Allemagne et leurs alliés de l’est et du sud ont trahi l’Occident. L’Allemagne au contraire a pour vocation de défendre l’Occident face à l’Est mais c’est, on le verra, en raison de sa situation plus que de ses valeurs.

Hitler rappelle sans doute les racines occidentales de l’Allemagne, mais en terme d’hégémonie plutôt que de représentation. « Auparavant, l’Allemagne était un grand empire mondial. Elle domina jadis l’Occident ».

Elle fut occidentale en effet par ses capacités supérieures manifestées dans la colonisation germanique au centre et à l’est de l’Europe au cours du Moyen Âge. La politique actuelle de l’Allemagne reprend ce mouvement jadis interrompu l’Allemagne au centre de l’Europe est donc le vrai foyer de l’Occident, qui n’est plus à l’ouest. Ce foyer n’est pas chrétien non plus, il se rattache historique ment à la conquête grecque et romaine et à la colonisation germanique et non au Saint-Empire, aux croisades et à la colonisation chrétienne.

« De l’Hellade et de Rome naquit l’Occident, et sa défense fut désormais pour plusieurs siècles non seulement la mission des Romains mais aussi et surtout celle des Germains. Et c’est uniquement dans la mesure où l’Occident éclairé par la culture grecque et animé par les fortes traditions de l’empire romain étendait son espace grâce à la colonisation germanique que ce concept que nous appelons Europe élargissait son territoire ».

L’Occident chez Hitler s’efface donc devant l’Europe, « famille de peuples », « unité en partie semblable et en partie complémentaire au point de vue du sang et de la culture ». « De même que jadis les Grecs ont défendu contre les Perses non pas la Grèce, ni les Romains contre les Carthaginois non pas Rome, ni les Romains et les Germains contre les Huns non pas l’Occident, ni les empereurs allemands contre les Mongols non pas l’Allemagne, ni les héros espagnols contre l’Afrique non pas l’Espagne, mais l’Europe entière, l’Allemagne aujourd’hui, elle non plus, ne combat pas pour elle-même, elle combat pour notre continent tout entier ». C’est dans le même discours que (pour la seule fois à notre connaissance) Hitler emploie l’expression de croisade européenne et qu’il rejette la définition géographique de l’Europe : « Ce n’est pas l’Oural qui ferme la frontière de ce continent, c’est toujours la ligne séparant les conceptions de l’Ouest de celles de l’Est) ».

L’Allemagne hitlérienne est donc l’héritière de l’Occident grec, romain et germanique, en ce qu’elle défend l’Europe contre « l’Est ». Mais incarne-t-elle pour autant les traditions et les valeurs de l’Occident ?

Hitler rejette la conception démocratique de l’Occident (parce qu’elle est universelle et humanitaire) qui est celle des démocraties occidentales anglo-saxonnes (par exemple dans le discours cité du 28 avril 1939), tout en restant obstinément attaché à l’idée de supériorité des peuples germaniques et anglo-saxons d’Europe et d’Amérique, qui sont plus des rivaux (contre toute raison) que des adversaires. Sa conception vague de l’Occident est essentiellement ethnique et géopolitique, le monde étant dominé par les peuples supérieurs, les Allemands en Europe, les Américains en Amérique et les Anglais dans leur empire. Cette doctrine Monroë européenne associée à un espace vital allemand est une conception plus américaine qu’occidentale.

La conception hitlérienne de l’Occident est révolutionnaire, laïque ou anti-chrétienne, c’est-à-dire de ce point de vue (et d’autres aussi, cf. la contribution de Jean-Pierre Brancourt dans ce numéro) issue directement des Lumières. L’Allemagne est l’héritière d’un Occident qui a été grec, romain puis germanique, mais d’où la religion chrétienne est absente . C’est un Occident sans religion, sans monarchie, sans élites anciennes, jugées périmées, obscurantistes, cléricales, réactionnaires, catégories empruntées aux Lumières du XVIIIe et au progrès du XIXe siècle.

La religion surtout a dissous le germanisme, affaibli le Reich, divisé le peuple allemand. Cette conception progressiste et moderniste rapproche donc Hitler de Roosevelt. Alliée à son point de vue nationaliste, elle n’est pas éloignée non plus du patriotisme républicain français.

L’Occident d’Hitler, on l’a vu, n’est pas à l’ouest, mais au centre de l’Europe, c’est-à-dire là où est l’Allemagne. Au Moyen Âge, l’Allemagne a dominé l’Occident, elle ne s’identifie donc pas à lui. Après l’échec du Saint-Empire, l’Allemagne s’est refait une puissance contre l’Occident (État prussien, Hitler) 12. L’Ouest a dominé l’Europe au temps de la puissance française. Cette époque est révolue. Le présent appartient à l’hégémonie allemande opposée à l’ouest au moins autant qu’à l’est en 1940. L’ouest représente aujourd’hui la démocratie capitaliste, la ploutocratie dominée par les Juifs dont le socialisme national allemand est l’antithèse. Or la démocratie et le capitalisme ont dévalué l’Occident.

L’anti-occidentalisme d’Hitler est donc à la fois idéologique (la démocratie a fait déchoir les nations de l’ouest, tandis que le national-socialisme relevait l’Allemagne) et sous cet aspect il rejoint la critique traditionaliste. Mais il est aussi stratégique (les démocraties occidentales s’opposent à l’expansion de l’Allemagne à l’est et à son hégémonie européenne) et en ce sens il est plus nationaliste qu’occidental ou même européen. Il est enfin latent en ce qu’il retranche de l’Occident tout élément religieux, ce qui ruine ses fondements historiques et moraux.

Mais l’Occident d’Hitler est aussi un moyen de mobilisation de l’Europe pour réorganiser le continent sous la direction de l’Allemagne national-socialiste. Sans être vide, c’est un concept vague et parfois contradictoire, qui consiste en une civilisation européenne aux valeurs communes peu définies (alors que celles de la nation allemande selon le national-socialisme le sont avec insistance), opposées à la fois à l’Est barbare et à la décadence démocratique occidentale. L’Occident d’Hitler se dissout alors dans « l’Europe tout entière et même l’humanité tout entière ». En est-il pour autant purement circonstanciel et instrumental ? Ou le recours à l’idée d’Occident est-il une étape, en particulier dans la seconde moitié de la guerre, vers une conception européenne germano-centrique qui se veut la forme moderne, c’est-à-dire déformée de cet Occident ? Sans répondre ici à cette question, notons simplement les signes de la revendication allemande à la direction de l’Occident.

L’Allemagne a le droit de diriger la réorganisation de l’Europe nouvelle parce qu’elle est « le peuple le plus capable de l’Europe occidentale », que son chef est le « représentant responsable de la culture et de la civilisation européennes », et que la guerre à l’Est prépare « une meilleure communauté des nations de notre continent », alors que les autres nations occidentales ont perdu ce droit en devenant démocratiques, ou parce qu’elles sont latines ou orientales, c’est-à-dire incapables ou indignes de cette mission, ou parce que leur poids dans cette guerre est négligeable.

La conviction qu’a Hitler de combattre pour le salut de l’Occident ne peut être contestée. Dans son Testament politique encore, il juge que l’Ouest a commis une faute fatale à l’Occident en menant contre lui une lutte criminelle, démentielle et suicidaire. Mais sa pensée est contradictoire : « J’ai été la dernière chance de l’Europe » ; « Le Troisième Reich est le défenseur et le protecteur de l’Europe ». « Cette guerre avec l’Amérique est un drame illogique » écrit-il d’une part ; et ailleurs dans le même texte il exprime son mépris pour l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Italie même, et qualifie l’Amérique de « monstre », de « construction artificielle », de « corps sans âme dont on ignore s’ils ont dépassé le stade infantile ou atteint déjà la sénilité ». Il s’y montre jusqu’au bout non seulement un nationaliste allemand et un idéologue, mais un Européen plutôt qu’un Occidental, un révolutionnaire au plan social et politique, un fanatique de la puissance du continent. Son hostilité au catholicisme, son rejet des traditions, son mépris pour les Latins et son exclusion des Slaves, son tropisme raciste obstiné en direction des Anglo-Saxons, ruinent, indépendamment de sa volonté d’hégémonie européenne, ses prétentions à incarner le salut de l’Occident.

II – L’Occident des Anglo-Saxons, refuge de l’idée d’Occident ?

Avec Churchill et Roosevelt, nous rencontrons une conception de l’Occident beaucoup plus claire, parce que beaucoup plus simple, voire simpliste, beaucoup plus étroite et surtout beaucoup plus superficielle et moins argumentée, et si l’on ose dire, beaucoup moins cultivée que celle d’Hitler. On peut attribuer cette différence au contraste entre une nation philosophe et historienne comme l’Allemagne et le pragmatisme ou l’empirisme des Anglo-Saxons, ou encore au large fossé séparant le faible niveau culturel de politiciens professionnels comme Churchill et Roosevelt de la culture éclectique et sélective du prophète et idéologue révolutionnaire que fut l’autodidacte Hitler. C’est en tout cas le constat que l’on doit faire à la lecture des discours des trois protagonistes.

L’Occident des Anglo-Saxons a en effet une base étroite au plan géographique (l’Ouest atlantique essentiellement extraeuropéen), une origine ethnoculturelle (les peuples anglophones à travers le monde) et une définition politico-morale exclusivement moderne (la démocratie libérale appuyée par une morale chrétienne interprétée par le protestantisme). Ses racines historiques sont quasi inexistantes (rejet de l’histoire antique et médiévale de l’Europe, ignorance des histoires nationales), ses fondements moraux et religieux limités (silence sur l’Église catholique, référence à la Bible revue par le protestantisme et les Lumières), sa vision en apparence universelle parce que planétaire, mais elle ne connaît qu’un ennemi, l’Axe, et non le communisme, et revendique l’hégémonie anglo-américaine.

L’Occident de Churchill et Roosevelt est d’abord géopolitique. Il n’a pas son foyer sur le continent européen où est né l’Occident, mais dans les pays anglophones extraeuropéens (empire britannique et États-Unis d’Amérique). Sa base est le domaine anglophone géographiquement dispersé, ses foyers la Grande-Bretagne et les États-Unis, avec une extension stratégique des États-Unis à l’ensemble des Amériques (l’hémisphère occidental) non anglophones, et son centre se situerait quelque part au milieu de l’Atlantique.

La Grande-Bretagne a une conception atlantique et extraeuropéenne et sa politique européenne traditionnelle consiste à maintenir sur le continent « l’équilibre des puissances» (diviser l’Europe, selon Hitler). Churchill se bat naturellement contre l’hégémonie allemande en Europe continentale mais en invoquant des intérêts dépassant largement l’Occident européen. Il redoute en effet « l’asservissement de l’hémisphère occidental » par Hitler, c’est-à-dire la conquête de la Grande-Bretagne et des États-Unis d’Amérique, et déclare combattre pour la terre entière.

D’autre part, il s’est rallié à l’idée que le Nouveau Monde a vocation à assurer le salut de l’Ancien Monde, autrement dit que l’Amérique doit libérer l’Europe. Il s’efforce donc de convaincre Roosevelt que l’Amérique est menacée si se constituent « des États-Unis d’Europe à direction nazie ». Ainsi, comme les Allemands selon Hitler, les Anglo-Saxons selon Churchill ont pour mission de diriger les autres peuples. « C’est le plus grand honneur et la plus grande gloire possible pour un rameau de la race humaine de prendre la direction des masses de tous les continents» (Charte de l’Atlantique, 24 août 1941).

Roosevelt défend, non pas l’Occident, mais l’Ouest qu’il a défini naguère comme « les nations bénies par la grâce de la démocratie et de la liberté » (14 août 1936) et qui comprend ainsi tantôt l’hémisphère occidental dirigé par les États-Unis (les Amériques), tantôt le monde anglophone (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande alliées aux deux grandes puissances). Il s’agit donc d’une définition politique, géographique et ethnique de l’Occident, d’où sont absents le continent européen, l’histoire de l’Occident, les traditions nationales des peuples d’Europe non anglo-saxons : non pas l’Occident, mais un monde d’immigrés principalement anglo-saxons.

« L’hémisphère occidental » de Roosevelt est d’abord territorial : c’est la zone de sécurité des États-Unis, circonscrite le 12 octobre 1940 aux Amériques, à l’Atlantique et à la moitié du Pacifique, c’est-à-dire environ un tiers de la planète mais susceptible d’extension à mesure que lui semblent s’affirmer la volonté nationale-socialiste de conquérir le monde entier et son souci de s’y opposer, de 1939 à 1941, car il serait suicidaire de se limiter à la défense de l’hémisphère occidental. Cette extension finalement planétaire se justifie par la nécessité de contrôler « les mers du globe » afin de repousser le « danger nazi pour le monde occidental » (27 mai 1941).

Sur le fond, l’Occident de Roosevelt est transféré dans « l’hémisphère occidental » qui a désormais le monopole de « l’héritage commun de la culture européenne» (10 mai 1940) et donc « la mission de maintenir dans le monde occidental la citadelle de la civilisation » (21 septembre 1939). Plus précisément, l’Amérique a le droit, puisqu’« elle a été le Nouveau Monde de tous les peuples » (20 janvier 1941), « gardienne de la culture occidentale » (10 mai 1940), et que telle est « la volonté de Dieu» (27 octobre 1941) de libérer l’Ancien Monde.

Ainsi l’Occident de Churchill et Roosevelt, réduit à l’anglophonie et centré du côté de la mer des Sargasses, identifié à la démocratie anglo-saxonne et extensible indéfiniment à l’ensemble de la planète, est vers 1940 la forme émergente, entre wilsonisme et Nouvel Ordre Mondial, du globalisme d’essence américaine qui s’impose au XXe siècle.

Cette conception est à la fois révolutionnaire, universelle et unilatérale. Il s’agit d’une vision mondiale de la démocratie, qui est « un idéal commun » (04 janvier 1939) sous sa forme occidentale (« la démocratie occidentale est l’espoir de paix et de prospérité du monde », 14 août 1936 et 5 octobre 1937).

Elle est révolutionnaire par son idéologie libérale, démocratique, « universelle » (15 mars 1941), elle se réclame du christianisme, mais son humanisme est libéral et elle associe la « religion à la démocratie » selon la devise de Roosevelt (4 janvier 1939). Marquée profondément par le protestantisme, elle est inadaptée au monde catholique (pour ne rien dire de l’orthodoxie) rejeté dans un passé révolu et néfaste et dont le centre est à Rome. Par là elle se révèle comme la religion d’une émigration spirituelle qui a renié l’Europe chrétienne traditionnelle pour s’en aller au-delà de l’océan fonder une hypothétique Nouvelle Jérusalem. Elle s’est ainsi coupée des racines de l’Occident.

Le discours de Churchill est libéral, démocratique et parlementaire. La Grande-Bretagne défend la liberté des nations contre l’Allemagne et contre le nazisme. Elle représente la cause de la liberté (20-06-1940, 12-03-1941, 27-04-1941, 03-05-1941, 24-08-1941), les « lumières de la liberté» (16 juin 1941), le progrès (20 juin 1940). Elle est « la démocratie en guerre» (3 mai 1941). Son Occident, c’est la démocratie à l’anglaise.

Pour Roosevelt, les valeurs occidentales sont simplement celles des États-Unis, non de l’Occident européen. Leur but de guerre n’est pas de restaurer l’Occident en le libérant du nazisme, il est de révolutionner l’Europe et le monde par le leadership et l’intervention année des puissances anglo-saxonnes. Les États-Unis, depuis le discours du 29 décembre 1940, sont décidés à devenir « le grand arsenal de la démocratie ». Ils veulent « instaurer la démocratie, l’égalité des chances, le développement du commerce» (1er décembre 1936 et 27 mai 1941) et « nettoyer le monde des maux du passé ».

La conception anglo-saxonne est universelle mais monovalente. C’est un pseudo-universalisme. À la différence de l’Église catholique qui voit dans le communisme et le nazisme « deux diables », Churchill et Roosevelt ne visent dans leur combat internationaliste pour la démocratie qu’un seul adversaire, l’Axe, et jamais le communisme ou l’URSS, même avant le 22 juin 1941, c’est-à-dire au temps du pacte germano-soviétique. Le communisme soviétique n’est ni un adversaire mis sur un pied d’égalité avec l’Axe, ni même une cible secondaire par rapport à l’Axe. On trouve ici, en plus des convergences idéologiques, l’effet de la pénétration communiste dans les administrations anglaises et américaines (spécialement les services de propagande du ministère de la guerre à Washington, truffés d’agents soviétiques, antinazis récemment immigrés d’Europe orientale), et d’influences diverses de personnalités procommunistes au sommet de l’État, telle que la propre épouse du président américain, Eleanor Roosevelt. Il ressort des discours des deux chefs de guerre que l’anticommunisme des démocraties occidentales en 1940 est inexistant.

De ce fait, le combat généreux pour une « civilisation internationale », « une interdépendance du monde moderne » et « l’instauration de la liberté dans le monde» (15 décembre 1941) que mène Roosevelt perd toute valeur morale en renonçant à une véritable universalité. On est en tout cas très loin d’un véritable combat pour l’Occident, et les résultats se manifesteront dans toute leur horreur au moment de la victoire sur l’Axe en 1945 dans une Europe ravagée par les bombardements et pour moitié occupée par l’URSS. Churchill et Roosevelt sont possédés par l’obsession anti-hitlérienne, l’antinazisme et la haine de l’Axe qui englobe non seulement le nazisme, mais le fascisme italien et le militarisme nippon.

Dès le printemps 1940, le but de guerre de Churchill est purement négatif ; il faut détruire Hitler, le nazisme, l’Axe, la puissance allemande, les dirigeants nazis, obtenir une capitulation sans condition par tous les moyens et quels que soient les effets collatéraux pour les peuples d’Europe ou d’Asie.

L’Europe est d’ailleurs d’un intérêt subordonné, puisque le futur équilibre des forces ne sera plus européen mais mondial. L’existence de l’Allemagne peut dons être remise en cause, d’autant plus qu’elle a perdu toute légitimité morale et politique. Les Allemands ne font pas partie de l’Europe chrétienne, ce sont des « barbares mécanisés » (03 mai 1941), des Huns. L’attaque allemande contre l’URSS, qui pourtant vient de l’Ouest, se compare à « l’invasion mongole au XVIe siècle» (24 août 1941). Dès cet instant, la Grande-Bretagne et les États-Unis sont des alliés inconditionnels de l’URSS, ainsi que le revendique Churchill aux Communes le 22 juin 1941 : « Si Hitler envahissait l’Enfer, je ferais une déclaration en faveur du Diable. » Cette obsession anti-allemande conduit le Premier ministre britannique à approuver l’invasion de l’est de la Pologne par les Soviétiques en septembre 1939 et juin 1940 38.

En février 1940, Roosevelt professe encore un anticommunisme de façade (« une dictature aussi absolue que toute autre au monde ») et il déclare soumettre l’URSS à un « embargo moral 39 » ; mais sa condamnation vise le pacte germano-soviétique et non le communisme soviétique, et dès l’été 1940, il se débarrasse de son anticommunisme sans plus de scrupules que l’anti-bolchevique Churchill. En janvier 1941, six mois avant l’attaque allemande contre l’URSS, il lève « l’embargo moral ». Le 20 mars 1941, Sumner Welles, sous-secrétaire d’État aux Affaires Étrangères et conseiller de Roosevelt avertit l’ambassadeur soviétique du projet allemand. Autant que Churchill, Roosevelt redoute les isolationnistes et les catholiques américains qui veulent laisser nazis et communistes s’entredéchirer et considèrent Staline et les chefs communistes non pas comme des alliés présentables mais comme « un boucher asiatique et sa bande d’athées ». Ses discours destinés à l’opinion américaine encore hésitante expliquent alors que « les forces nazies cherchent ouvertement la destruction de tous les régimes électifs sur tous les continents, y compris le nôtre ». « Le danger nazi pour notre monde occidental est aujourd’hui bien réel. Et ce n’est pas la menace d’un adversaire militaire, c’est celle d’un ennemi de tout droit, de toute liberté, de toute moralité, de toute religion ». « Le plan nazi est d’abolir toutes les religions du monde et d’ériger une Église nazie internationale où la Bible serait remplacée par Mein Kampf ». Ce combat pour « la victoire de la liberté, des institutions démocratiques et de la religion », « pour la sécurité, le progrès et la paix, pas seulement pour nous mais pour tous les hommes, pas seulement pour une génération mais pour toutes les générations », donne aux États-Unis une mission universelle d’essence morale, celle de « nettoyer le monde des maux et des maladies du passé ».

La polarisation sur l’Axe identifiée aux « forces du mal 43 », la banalisation du communisme, la réduction de l’Occident aux valeurs et aux intérêts nord-américains ou anglo-saxons, l’indifférence ou le mépris pour l’histoire et la culture de l’Occident, l’attitude des alliés occidentaux au cours de la guerre ne pouvaient les amener à rétablir ou ranimer l’Occident en 1945. La mobilisation de l’idée d’Occident au temps de la guerre froide par les mêmes puissances anglosaxonnes, et à leur tête les États-Unis, tire de cette période son ambiguïté et sa fragilité.

L’idée d’Occident sort donc des discours d’Hitler, Churchill et Roosevelt plutôt mal en point. Brandie, rejetée, manipulée et malmenée, déracinée et transplantée, elle n’est pas une cause, elle n’est qu’une arme, et qui pour l’Occident entraîne de part et d’autre plus de destructions que de libération ou de refondation.

Dans la façon qu’a Hitler de traiter l’Occident, on trouve bien les bases d’une éducation autrichienne empreinte d’attachement aux racines antiques de la civilisation occidentale, ou le souci de ménager les sentiments profonds des Allemands et des peuples d’Europe qu’il cherche parfois à se concilier, mais son nationalisme messianique, ses préventions contre le christianisme, les Latins et les Slaves l’éloignent d’une vision vraiment occidentale. De ce fait, ses critiques contre la décadence des valeurs occidentales dans les démocraties, sa croisade contre le bolchevisme, l’idée européenne qui naît chez lui dans la seconde partie de la guerre, sa conviction affirmée à la veille de sa mort d’avoir combattu pour l’Occident, ne suffisent pas à le constituer de façon nette en champion de l’Occident.

Churchill et Roosevelt s’expriment nettement en hommes de l’ouest, non en occidentaux. Se situant délibérément à l’ouest de l’Europe, à distance de l’Occident dont ils ignorent, méprisent ou haïssent les racines, ils ne peuvent s’identifier à l’Occident que sous sa forme extraeuropéenne et anglo-saxonne et pour s’opposer à l’Axe, et leurs objectifs sont dès 1940 plus mondiaux qu’occidentaux. 

Face à l’Occident et à l’Europe, ils seront des libérateurs, peut être, des restaurateurs nullement.

III – L’Occident chez les neutres.

Existe-t-il en dehors de ces deux conceptions biaisées, antagonistes et hégémoniques des grands belligérants, un espace où vers 1940 l’esprit occidental se manifeste de façon plus pure? Sans répondre à la question dans le cadre limité de cet article, on peut très succinctement tenter d’en définir les bases.

La guerre au XXe siècle étant par nature révolutionnaire par les buts de guerre des dirigeants des pays belligérants, par les destructions matérielles et les bouleversements sociaux et moraux qu’elle entraîne, la neutralité est un réflexe conservateur motivé par le souci de sauvegarder la souveraineté nationale, maintenir les traditions et préserver les valeurs qu’une guerre, malheureuse ou victorieuse, ruinerait du tout ou en partie. Il n’est donc pas étonnant qu’après la Grande guerre, les défenseurs de l’Occident deviennent pacifistes c’est-à-dire antibellicistes, et l’évolution de la Seconde Guerre mondiale vers un conflit idéologique des superpuissances ne peut que conforter les petites nations dans cette position.

Peut-on pour autant se contenter de concept de neutralité, alors que des pays neutres penchent selon leur orientation politique ou leur situation stratégique d’un côté ou de l’autre, sauf peut-être la Suisse, la Suède et la Turquie, et par nature le Vatican ? Il s’agit sans doute plus exactement de non-belligérance.

Il est difficile de définir un neutralisme occidental, ou un Occident neutre, étant donné la diversité géographique, politique et culturelle des États non-belligérants pendant la Seconde Guerre mondiale. On y trouve, selon la date, les pays nordiques, ceux du nord-ouest, les Baltes, les Latins au sud, les pays d’Europe centrale et balkanique 45 les démocraties au nord et au nord-ouest qui penchent pour l’Angleterre (la Norvège et la Hollande), des régimes autoritaires catholiques, orthodoxes ou protestants penchant vers l’Allemagne rempart contre le bolchevisme (Espagne, Baltes, Balkans, France de Vichy), des non-belligérants pro-britanniques par nécessité (Irlande, Portugal), d’autres pro-allemands pour la même raison (Hongrie), d’autres enfin qui gardent contre vents et marées, pressions antagonistes et successives, certains malgré leurs affinités ethniques, leur neutralité jusqu’au bout ou presque (Suisse, Suède, Turquie). S’ils sont dans une situation semblable, leur diversité les empêche de se retrouver autour d’une inspiration commune. Leur dispersion leur interdit de fonder un bloc des neutres.

Les démocraties protestantes éloignées de l’URSS et proches de la Grande Bretagne penchent vers cette dernière, les pays autoritaires ont des sympathies pour l’Axe proportionnelles à leur antipathie pour le communisme, surtout s’ils sont voisins de l’URSS (ils deviennent autoritaires à cause de la montée de la puissance soviétique). Le Portugal de Salazar et l’Irlande de Valera sont tenus par l’Angleterre ; la Finlande libérale dépend de l’appui allemand. Les petits pays font des concessions au belligérant le plus fort du moment. Les moyens résistent autant qu’ils peuvent à l’entrée en guerre au côté du plus fort (Suède, Espagne, Turquie).

Par la seule abstention de belligérance, ces politiques d’« égoïsme national » sont une cause et une condition de l’esprit occidental de ces pays. C’est manifeste pour les pays à régime autoritaire ou national, plus ou moins démocratique, ou strictement démocratique (respectivement le Portugal et l’Espagne, l’Irlande, et la Suède et la Suisse) en ce qu’ils veulent conserver leur souveraineté, leur identité, leurs traditions à l’abri de la guerre.

Mais cela vaut aussi au niveau européen. Les neutres sont favorables à une paix de compromis afin d’éviter une hégémonie allemande, une domination soviétique ou une ingérence américaine, ou une double hégémonie. Ceux qui ont un faible pour l’Angleterre sont retenus par ses alliances avec les États-Unis et l’URSS. Aucun ne souhaite en tout cas une défaite totale de l’Allemagne au profit de l’URSS et des États-Unis à cause de ses conséquences dévastatrices. Certains acceptent une victoire allemande pour les mêmes raisons, mais en comptant sur une atténuation du régime nazi et de la domination allemande après la guerre.

Enfin, l’absence d’une ou deux grandes puissances souveraines et neutralistes compromet dès le début de la guerre la perspective d’un mouvement puissant ralliant la plupart des pays européens animés d’une conscience occidentale. La France suit l’Angleterre dans la guerre contre l’Allemagne le 3 septembre 1939. L’Italie bascule dans le conflit le 10 juin 1940. L’Espagne est affaiblie par la guerre civile et nourrit quelque ressentiment contre la France. Le tragique de l’affaire est que c’est la Pologne qui avant guerre préconisait un vaste bloc des neutres entre l’Allemagne et l’URSS de la Baltique aux Balkans, et qu’en 1943 encore, c’est la Turquie qui lance la proposition d’un bloc neutre en Europe centrale et balkanique afin d’endiguer le péril communiste. Ces propositions se heurtent évidemment à l’opposition des grandes puissances en guerre contre l’Axe, de même que les tentatives de médiation pour une paix de compromis.

Après l’armistice de 1940, le gouvernement de Vichy estime que la paix est la condition de redressement de la France et sa politique de neutralité entre les deux camps jouit d’un large soutien dans l’opinion. « Le renouveau de la France, il faut l’attendre en restant sur place, plutôt que d’une conquête de notre territoire par les canons alliés dans des conditions et un délai impossibles à prévoir » (Pétain, 16 juin 1940). D’autre part une victoire des alliés serait celle du communisme, c’est-à-dire dire une hégémonie soviétique en Europe à côté d’une hégémonie anglo-américaine outre-mer. « La France serait un dominion de deuxième zone dans un monde anglo-saxon triomphant » prévoit Darlan le 31 mai 1941. Vichy appuie donc aussi une paix de compromis, propose une médiation française en novembre-décembre 1940, recherche une entente avec les autres pays neutres (catholiques), Salazar, Franco et Horthy, pour définir une troisième voie en Europe. Et malgré la contribution économique à l’effort de guerre allemand au nom de la « défense de la civilisation européenne contre le communisme », Vichy reste neutre jusqu’à sa chute à l’été 1944.

Il ressort de ce bref rappel qu’au-delà de l’égoïsme sacré bien compris des neutres, l’esprit occidental anime les dirigeants de ces pays. Notons qu’il s’agit presque exclusivement de pays catholiques, à part la Turquie, que ce soit en Europe centre-orientale (Pologne, Hongrie) ou dans les peuples latins de l’Europe de sud (France, Espagne, Portugal).

Remarquons enfin que la position de ces neutres est dictée principalement par l’intérêt national avant le 22 juin 1941, et par un esprit occidental motivé par l’anticommunisme au moment de la guerre contre l’URSS. Comme cet esprit occidental se manifeste aussi par la crainte d’une hégémonie communiste en Europe en cas de victoire des démocraties occidentales anglo-saxonnes, l’idée d’Occident tend à se dévaluer au profit de celle de la civilisation européenne. Le salut de l’Occident dépend de l’échec du communisme soviétique et de la mise à l’écart du continent des deux grandes puissances anglo-saxonnes. Il est indéniable que cette vision rapproche les neutres de l’Allemagne en guerre. Il ne l’est pas moins que ce rapprochement de conceptions est la conséquence directe de la Grande Alliance entre la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’URSS ainsi que de l’exigence de capitulation sans condition de l’Allemagne par les Alliés, considérés par les neutres comme une décision funeste par les effets désastreux qu’elle implique pour l’Europe. Or, la situation de celle-ci après 1945 confirme largement ces craintes.

L’idée d’Occident a donc vécu un moment dramatique en Europe vers 1940. Refoulée ou manipulée par les belligérants, ranimée par l’anticommunisme et la crainte de l’URSS, affaiblie par l’intervention de la Grande-Bretagne et des États-Unis, elle survit sans doute plus pure chez les neutres catholiques. Mais l’extension de la guerre à l’ensemble du continent, en particulier au Nord et à l’Est, ne permettait pas d’en rester à une conception strictement latine de l’Occident. D’où l’affirmation éclatante dans la seconde moitié de la guerre d’une idée d’Europe trouvant ses défenses à la fois contre le communisme soviétique et contre l’ingérence anglo-saxonne. De ce fait, la période a été un moment décisif de la transition de l’idée d’Occident vers celle d’Europe, mais d’une Europe puisant aux sources de l’Occident, et non d’une construction technocratique ou idéologique alignée sur l’un des vainqueurs de la guerre. Car c’est par l’idée d’Occident seulement que l’Europe peut survivre et c’est seulement « une certaine idée de l’Europe » qui assurera la survie de l’Occident.

Thierry Buron
Enseignant à l’Université de Nantes

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.