Pourquoi éviter l’union consanguine ?

Le contemporain lambda, dont je faisais partie, répondrait à cette question sans même y réfléchir, de façon automatique, comme si c’était une évidence, que la raison pour laquelle les mariages consanguins sont interdits dans la plupart des cultures, et renouvelés par les lois de l’Eglise, viendraient d’une raison biologique : cela créerait des tarés « congénitaux ». C’est la raison universellement admise, sans examen, comme si c’était une évidence. Pourtant, si nous connaissons tous des « idiots du village » combien d’entre nous peuvent affirmer que ces fous sont spécialement issus de relations consanguines ? D’autant plus que dans les temps anciens et les lois solides du mariage ces mariages consanguins étaient impossibles, dons ces « tarés » ne sont pas statistiquement issus de là.
Mieux : aujourd’hui où tous les villages et les familles sont détruites, où la consanguinité devrait être un lointain souvenir…et pourtant n’a-t-on pas l’impression que le nombre de « tarés » augmente à vue d’œil…
Il est assez simple pour aller casser les traditions familiales, attaquer la famille voire la royauté de parler de ces tarés, mais quand on commence à réfléchir à des cas spécifiques, on n’en trouve pas spécialement, et surtout pas spécialement plus qu’ailleurs. Statistiquement, il y a des gens moins intelligents que d’autres, des simplets parfois. Si l’on prend que l’histoire des rois de France, allez trouver de vrais tarés congénitaux ! Et allez prouver que si vous en trouviez c’est dû à la congénialité ! Surtout que le mariage consanguin était déjà interdit – au plus proche c’était parfois entre cousins éloignés.
Exemple inverse : les empereurs au japon étaient traditionnellement toujours issus de mariages consanguins, pour la pureté du sang. Dans les temps très anciens c’était encore plus marqué : les chroniques ne parlent jamais de tarés au sens biologique du terme…
Tous ces arguments sont de circonstance, mais ce qui est le plus convainquant c’est l’explication de saint Augustin, qui est frappante : il n’évoque même pas la possibilité que la consanguinité pourrait produire des tarés ! Et pour preuve : nos premiers ancêtres étaient forcément consanguins, et cela n’a pas donné de tarés, les Ecritures en témoignent, et le fait que nous ne sommes pas tous tarés en témoigne encore plus.
Laissons la parole à saint Augustin :
« CHAPITRE XVI.
DES MARIAGES ENTRE PROCHES, PERMIS AUTREFOIS À CAUSE DE LA NÉCESSITÉ.
Le besoin qu’avait le monde d’être peuplé, et le défaut d’autres hommes que ceux qui étaient sortis de nos premiers parents, rendirent indispensables entre frères et sœurs des mariages qui seraient maintenant des crimes énormes, à cause de la défense que la religion en a faite depuis. Cette défense est fondée sur une raison très-juste, puisqu’il est nécessaire d’entretenir l’amitié et la société parmi les hommes ; or, ce but est mieux atteint par les alliances entre étrangers que par celles qui unissent les membres d’une même famille, lesquels sont déjà unis par les liens du sang. Père et beau-père sont des noms qui désignent deux alliances. Lors donc que ces qualités sont partagées entre différentes personnes, l’amitié s’étend et se multiplie davantage[62]. Adam était obligé de les réunir en lui seul, parce que ses fils ne pouvaient épouser que leurs sœurs ; Ève, de même, était à la fois la mère et la belle-mère de ses enfants, comme les femmes de ses fils étaient ensemble ses filles et ses brus. La nécessité, je le répète, excusait alors ces sortes de mariages.
Depuis que les hommes se sont multipliés, les choses ont bien changé sous ce rapport, même parmi les idolâtres. Ces alliances ont beau être permises en certains pays[63], une plus louable coutume a proscrit cette licence, et nous en avons autant d’horreur que si cela ne s’était jamais pratiqué. Véritablement la coutume fait une merveilleuse impression sur les esprits ; et, comme elle sert ici à arrêter les excès de la convoitise, on ne saurait la violer sans crime. S’il est injuste de remuer les bornes des terres pour envahir l’héritage d’autrui, combien l’est-il plus de renverser celles des bonnes mœurs par des unions illicites ? Nous avons éprouvé, même de notre temps, dans le mariage des cousins germains, combien il est rare que l’on suive la permission de la loi, lorsqu’elle est opposée à la coutume. Bien que ces mariages ne soient point défendus par la loi de Dieu, et que celles des hommes n’en eussent point encore parlé[64], toutefois on en avait horreur à cause de la proximité du degré, et parce qu’il semble que ce soit presque faire avec une sœur ce que l’on fait avec une cousine germaine. Aussi voyons-nous que les cousins et les cousines à ce degré s’appellent frères et sœurs. Il est vrai que les anciens patriarches ont eu grand soin de ne pas trop laisser éloigner la parenté et de la rapprocher en quelque sorte par le lien du mariage, de sorte qu’encore qu’ils n’épousassent pas leurs sœurs, ils épousaient toujours quelque personne de leur famille[65]. Mais qui peut douter qu’il ne soit plus honnête de nos jours de défendre le mariage entre cousins germains, non-seulement pour les raisons que nous avons alléguées, afin de multiplier les alliances et n’en pas mettre plusieurs en une seule personne, mais aussi parce qu’une certaine pudeur louable fait que nous avons naturellement honte de nous unir, même par mariage, aux personnes pour qui la parenté nous donne du respect.
Ainsi l’union de l’homme et de la femme est comme la pépinière des villes et des cités ; mais la cité de la terre se contente de la première naissance des hommes, au lieu que la Cité du ciel en demande une seconde pour effacer la corruption de la première. Or, l’Histoire sainte ne nous apprend pas si, avant le déluge, il y a eu quelque signe visible et corporel de cette régénération[66], comme fut depuis la circoncision[67]. Elle rapporte toutefois que les premiers hommes ont fait des sacrifices à Dieu, comme cela se voit clairement par ceux de Caïn et d’Abel, et par celui de Noé au sortir de l’arche[68] ; et nous avons dit à ce sujet, dans les livres précédents, que les démons qui veulent usurper la divinité et passer pour dieux n’exigent des hommes ces sortes d’honneurs que parce qu’ils savent bien qu’ils ne sont dus qu’au vrai Dieu. » (Cité de Dieu, Livre XVI, Chapitre XVI)
La raison de l’interdiction des mariages consanguins, pour saint Augustin aussi évidente que pour nous l’est la raison pseudo-biologique, est ainsi avant tout politique, et non pas biologique : « Cette défense est fondée sur une raison très-juste, puisqu’il est nécessaire d’entretenir l’amitié et la société parmi les hommes ; or, ce but est mieux atteint par les alliances entre étrangers que par celles qui unissent les membres d’une même famille, lesquels sont déjà unis par les liens du sang. »
Le rôle pacificateur et politique du mariage est une constante de l’histoire des hommes et un topos majeur de toutes les sociétés : pour nous royalistes la question nous est familière, puisque l’histoire des mariages royaux est une histoire des alliances consécutives pour la paix entre les royaumes. Inversement de mauvais mariages sont toujours la cause de divisions et de troubles.
L’Ancienne France, comme la plupart, pour ne pas dire toutes les sociétés traditionnelles, connaissait une certaine forme de mariage arrangé. Avec un ajout chrétien qui n’existe pas dans le monde païen, à savoir le consentement nécessaire des époux pour que le mariage soit en fin de compte valide et reconnu. Ajoutons encore que la vocation, qui n’est rien d’autre que le mariage dès cette terre avec Jésus, primait toujours, puisque dans ce cas-là c’est bien le père du Ciel, chef de tous les pères terrestres, qui donnait son consentement et qui appelait l’élu.
Mais ne nous voilons pas la face : le consentement du père pour un mariage temporel était aussi légalement nécessaire jusqu’à tard, et cette belle habitude est restée jusqu’à naguère encore, et même parfois pour certains d’entre nous aujourd’hui. Il reste une bonne coutume d’aller demander la main de sa fiancée à son futur beau-père. Cela vient de loin.
Le mariage arrangé avait de nombreux avantages naturels : il permet d’éviter de mauvais mariages et des incompatibilités de caractères, que la passion, même avec de bonnes fiançailles qui sont sensées aider au discernement, peut parfois rendre invisible aux protagonistes. L’avantage premier était néanmoins avant tout l’alliance familiale qui, bien faite pour le bien commun non seulement des familles, mais de sa petite « cité » (par exemple par le mariage de deux familles venant de villages voisins, et permettant de créer un lien pacificateur entre ces deux villages, voire le cas échéant des réseaux familiaux qui peuvent aider à apaiser les troubles et les désordres qui affleurent forcément dans les relations de voisinages – et cela se retrouve, toute chose égale par ailleurs, au niveau des royaumes, de comtés, etc.). Il simplifie la vie des jeunes gens, qui peuvent se marier sans trop se soucier, et sans trop d’insouciance non plus, et sans trop tarder pour être casés assez tôt et fonder une vie de famille durable. Un mariage décidé pour de bonnes raisons politiques et de compatibilité des jeunes est une assurance d’augmenter les chances d’un mariage fructueux et stable : des jeunes gens qui ne sont pas encrassés encore dans leurs habitudes d’adultes peuvent mieux s’adapter à leur conjoint ; les femmes casées avec un mari qui a une situation ou une carrière en cours n’ont pas à s’inquiéter de cela non plus et peuvent se concentrer sur la vie de famille, les familles formées déjà jeunes sont plus fortes, et leurs membres plus protégés, donc plus libres contre les influences extérieures (état, troubles, et même parents !).
Toutes ces réflexions nous emmèneraient très loin, et nous savons qu’elles choquent le contemporain tellement étranger à notre nature humaine politique…pourtant ces mêmes contemporains souvent accepteraient assez facilement cette sagesse traditionnelle, devant les souffrances et les catastrophes qu’ils vivent dans leur vie, et qui sont souvent irréparables humainement parlant… Familles explosées, ou non-familles, adultères en série, enfants ravagés… Que l’on soit un de ces enfants devenus adultes, un de ces adultes fourvoyés dans le vice, une de ces personnes arnaquées par les sirènes féministes, individualistes et contre-nature de notre temps, les conséquences devraient nous réveiller et nous faire prendre conscience, comme elles se répètent à tous ceux qui suivent ces erreurs, qu’elles ont des causes bien précises…
Il s’agit de revenir à la raison, de restaurer tout en Jésus-Christ, et par là tout dans notre nature bien comprise.
Et en terre très chrétienne il ne reste plus que les bons aspects du mariage naturel monogamique restauré dans le Christ, selon ces paroles, « ce que Dieu a uni que l’homme ne le désunit pas ».
Et l’aspect politique du mariage fait partie de son institution, d’où le rôle des parents, qui restent limités par l’autre précepte biblique qui rappelle que les enfants quittent leurs parents pour fonder un nouveau foyer, dont l’autorité est entière et non dépendante, par rapport aux enfants, de l’autorité du grand-père – ce qui n’empêche pas d’avoir une autorité d’une famille plus élargie et ordonnée au bien de la lignée dans le chef d’une parentèle, par exemple le Roi sur tous les princes de sang, etc.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac
