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La peine de mort pour celui qui publie la loi !, par Paul-Raymond du Lac

Je vais vous raconter une histoire étrange, mais vraie, qui s’est passée en 1843 au Japon, sous le joug des Tokugawa1. Nous sommes près de vingt ans avant la restauration de Meiji, àune époque où, selon la thèse commune, le gouvernement d’Edo est plutôt laxiste et coulant.

Un guerrier de basse extraction décide de braver l’interdit shogounal et de publier le code de lois en vigueur qu’utilise des officiers du gouvernement militaire (le sadamegaki) pour juger quand le besoin se fait sentir.

Vous avez bien lu, le code de lois (essentiellement pénal) devait être gardé secret et au seul usage des officiers de « justice ». Pourquoi ? Car le shogounat, gouvernement despotique par excellence, n’a de loi que sa volonté. Pas de loi naturelle, pas de justice plus haute, encore moins de loi divine.

Ceci dit, la pure volonté ne suffit pas pour faire fonctionner un état, alors il faut bien décider et mettre par écrit des règles plus constantes, qui peuvent servir de références. Ce qui fut fait.

Mais pour conserver le principe que seul la volonté du prince fait loi, on le garde secret, et de plus cela permet d’entretenir la terreur envers la population, qui ne sait jamais à quelle sauce elle va être mangée.

Ce petit guerrier décide donc de publier le code secret : mais il tente de se couvrir. Que fait-il ? Il l’édite avec une couverture spéciale, bleue en l’occurrence, qui ressemble aux revues pornographiques qui circulent en grand nombre dans le Japon de l’époque. La même taille, la même qualité de papier mais avec une couverture plutôt jaune.

Cela pour détourner la vigilance de la censure.

Le petit malin avait de plus apposé un faux « imprimatur » spécifiant que ces exemplaires étaient interdits à la vente et comportaient un contenu censuré par le gouvernement. De cette façon, si les ouvrages étaient saisis, on pouvait faire croire qu’ils étaient là pour l’usage des officiers royaux par exemple.

Le subterfuge n’a pas fonctionné, notre « délinquant », qui se permet de publier des lois officielles, s’est fait pincé.


Il se fait exilé et assigné à résidence dans une contrée lointaine, où il meurt de maladie…

Voilà de quoi édifier nos républicains qui décidément sont en retard dans la dictature !

Ils semblent avoir déjà compris que la généralisation du porno et de la licence est la base de la domination totalitaire.

Mais pourquoi encore publier les lois ? C’est ringard, et trop juste. Le souverain peuple décide de ce qu’il veut, autant que cela reste secret.

Enfin, vous me direz qu’avec la surproduction de lois, plus personne ne lit ni ne comprend, nous sommes déjà arrivés à rendre la loi « secrète », par overdose…

Vite la restauration !

Pour Dieu, pour le Roi, pour la France

Paul-Raymond du Lac.

1Tiré de Masajirô Takigawa, Petites histoires des lois (日本法律史話), Kôdansha Gakujitsu Bunko, Tokyo, 1986, p.35 et sq.

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