Histoire

Il y a trois cents ans…Le 4 mars 1717, mourait François de Callières

L’expression populaire « nul n’est prophète en son pays » nous vient de l’Évangile selon Matthieu (chap. 13, v. 54) rapportant les paroles de Jésus, dont l’enseignement avait été mal reçu à Nazareth. Elle peut s’appliquer à bien des sages au cours de l’Histoire mais rarement aussi bien qu’à François de Callières, en dépit des honneurs qu’il reçut de son vivant et dans son pays, notamment par son élection à l’Académie française, le 23 décembre 1688, obtenue pour de mauvaises raisons. Tous ses contemporains se sont en effet accordés en estimant qu’il devait ce succès à sa récente publication d’un panégyrique de Louis XIV, dont le texte est aujourd’hui perdu mais dont la nature flagorneuse aurait, dit-on, mis mal à l’aise même les plus acharnés des courtisans du roi soleil. Ses autres écrits, telles que Nouvelles amoureuses et galantes (1678) ou Histoire poétique de la guerre nouvellement déclarée entre les Anciens et les Modernes (1688) ne méritent pas vraiment le détour par les rayons de la Bibliothèque nationale de France.

    Et pourtant, c’est le moins courtisan des seigneurs de la Cour de France, le duc de Saint-Simon qui, dans ses Mémoires (tome XIV, chapitre 9) fit de Callières un portrait avantageux, chose plutôt rare chez ce grand esprit caustique : «  un homme extrêmement sage et sensé, qui aimait l’État et qui était fort instruit, fort modeste et parfaitement désintéressé, qui ne craignait pas de déplaire au roi ni aux ministres pour dire la vérité. »

   Né le 14 mai 1645 d’un père militaire et homme de lettres à ses heures, François de Callières, après avoir suivi des études de droit, embrassa la carrière diplomatique et accomplit plusieurs missions délicates, dont celle, en 1697, de négocier pour la France les clauses du futur traité de Ryswick mettant fin à la guerre dite de la Ligue d’Augsbourg et permettant notamment à la France d’annexer l’Alsace. Il en fut récompensé par sa nomination comme secrétaire du cabinet du roi.

   Si donc, sur le plan officiel, Callières fut un homme reconnu et honoré, c’est largement en dehors de ce qui lui tenait le plus à cœur : convaincre les souverains de recourir le moins possible aux armes et le plus possible à la diplomatie, non a posteriori pour conclure un conflit mais a priori pour le prévenir.

   Depuis 1702, il travaillait à un essai, qu’il n’osa publier qu’en 1716, c’est-à-dire après la mort de Louis XIV, intitulé De la manière de négocier avec les souverains. Il est en effet probable que son contenu aurait fortement indisposé le monarque quand on y lit des phrases comme : «  Notre nation est si belliqueuse qu’elle ne connaît presque point d’autre gloire ni d’autres honneurs que ceux qui s’acquièrent par la profession des armes. De là vient que la plupart des Français qui ont quelque naissance et quelque élévation s’appliquent avec soin à acquérir les connaissances qui peuvent les avancer dans la guerre, et qu’ils négligent de s’instruire des divers intérêts qui partagent l’Europe et qui sont les sources des guerres fréquentes qui s’y font. » D’où, peut-être, le retard que la France s’apprêtait déjà à prendre sur l’Angleterre dans les domaines industriel et marchand.

   Mais le fond de l’ouvrage tenait en cette phrase centrale, dont l’auteur développait ensuite les techniques de mise en œuvre : « Tout prince chrétien doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes, pour soutenir et faire valoir ses droits, qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion. » Une opinion évidente de nos jours mais qui n’allait pas de soi à l’époque, bien au contraire. Les préceptes de Callières restèrent d’ailleurs lettre morte et les souverains leur préférèrent de loin ceux assénés cent seize ans plus tard, par Carl von Clausewitz et résumés par sa fameuse formule : « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. » La notoriété qu’en tira le général prussien, quoique le plus souvent vaincu, écrasa complètement celle du diplomate français.

   Pourtant, si Callières ne fut guère écouté dans l’immédiat, ni en France ni dans les pays voisins, et mourut peu de temps après la parution de son essai, sa pensée inspira bien des dirigeants ultérieurs. Le tout premier, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis (de 1801 à 1809), fit de De la manière de négocier un de ses livres de chevet. Mais il fallut attendre les ravages de la guerre de 1914 pour qu’on se souvînt vraiment de l’intérêt de l’ouvrage. En 1917, Ernest Satow, un des principaux diplomates britanniques du temps, publia Guide de la pratique diplomatique qui se réclamait directement des travaux du Français, considérés comme « une mine de sagesse politique. » Deux ans plus tard, un autre diplomate anglais, et ancien secrétaire parlementaire de Winston Churchill, Alexander Frederick Whyte, traduisit l’ouvrage de Callières avec un objectif majeur : redorer le blason du métier de diplomate. Car, aux yeux de l’opinion publique de l’époque, la tragédie qui venait de se dérouler en Europe résultait, au choix, de la fourberie, de l’incompétence ou de la bêtise des diplomates. En tissant un indéchiffrable réseau d’alliances, ils avaient ligoté leurs gouvernements qui n’avaient su éviter un conflit dont, en réalité, personne ne voulait. Aux États-Unis notamment, on maudissait  cette manie antérieure de la diplomatie secrète, typique « moyen des esprits médiocres de se donner de l’importance » – selon la jolie formule ancienne du marquis de La Maisonfort – et, comme l’apprenti sorcier, de déclencher un cataclysme que l’on aurait évité avec un peu de sincérité comme de simplicité. Et on lisait enfin Callières. Jusqu’à l’économiste John Kenneth Galbraith, un des maîtres à penser de l’Amérique pendant plus de quarante ans (entre 1955 et 2002), qui commenta ainsi De la manière de négocier : « On se demande ce qu’il y aurait de plus à dire sur le sujet. »

   Au moment où s’opère, ou se prépare, le changement de plusieurs dirigeants mondiaux d’importance, qui pourrait leur conseiller de lire Callières avant toute initiative internationale ?

Daniel de Montplaisir

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