Histoire

Il y a deux cents ans, le comte d’Artois sauve la Restauration


 

En avril 1814

le comte d’Artois sauve la Restauration

Quatre fois au moins dans notre Histoire, la France se trouva placée au bord d’un gouffre si profond qu’il cachait toute perspective d’avenir raisonnable : en mai 1420 après la signature du traité de Troyes par lequel un Charles VI dément faisait son héritier du roi d’Angleterre ; en août 1589, à la mort d’Henri III assassiné, dernier des Valois laissant un trône écartelé entre factions fanatisées ; en juin 1944, lorsque la France, autant envahie que libérée par les Alliés, menaçait de se déchirer entre pro-américains et pro-soviétiques. Et, en avril 1814, quand la chute de Napoléon, qui avait tout rasé de l’ancienne France, ne débouchait sur aucune légitimité indiscutable.

Chaque fois, un homme, ou une femme, « providentiel » arracha in extremis notre pays au chaos. Trois d’entre eux sont devenus des stars de l’Histoire : Jeanne d’Arc, Henri IV, Charles de Gaulle. Le quatrième a été injustement oublié. Le temps est venu de lui rendre sa place.

Le rapprochement entre l’action du comte d’Artois et celle des trois personnages précités peut évidemment paraître excessif. Ces derniers ont, en effet, œuvré comme des chefs de guerre, mettant souvent leur propre vie en jeu alors que l’intervention du comte d’Artois en avril 1814 tient seulement du ballet diplomatique et politique. Il n’empêche que, sans lui, les Bourbons ne seraient probablement pas remontés sur le trône et que la France aurait été exposée à de nouvelles et dangereuses errances institutionnelles, qu’elle connaîtrait d’ailleurs une deuxième fois après 1830. C’est d’ailleurs pourquoi, en raison de la révolution de juillet, les historiens minimiseraient le rôle du comte d’Artois en 1814, oubliant qu’on ne saurait juger d’une époque avec les yeux ouverts par une autre …

Replaçons-nous donc dans le contexte du printemps de cette année là. Jusqu’au bout incertains du succès de leurs armes en face de Napoléon, qui réussit plusieurs contre attaques victorieuses au cours de la campagne de France, les Alliés ne durent finalement leur succès final qu’à une terrible erreur stratégique de l’empereur, qui dégarnit la route de Paris afin de leur couper la retraite.

Dès lors, triomphant bien plus rapidement qu’ils ne l’avaient escompté, le tsar, l’empereur d’Autriche, le roi d’Angleterre et le roi de Prusse se trouvèrent pris de court quant aux nouvelles institutions dont il fallait bien doter la France. Rien n’avait été prévu. On agitait diverses formules, dont aucune ne paraissait satisfaisante. L’Autriche de Metternich penchait vers une régence confiée à Marie-Louise. Le recours à Bernadotte, roi de Suède, comptait des partisans épars. Un gouvernement provisoire sous le contrôle d’une sorte de conférence des Alliés semblait difficile à organiser et ne pourrait s’éterniser. Le tsar, qui faisait figure de principal vainqueur de Napoléon, hésitait entre toutes les formules possibles, n’excluant pas même le retour à une république corsetée sur le modèle de l’ancien Directoire. Seule l’Angleterre paraissait souhaiter le rétablissement des Bourbons, mais si discrètement que personne ne le savait …

De son exil anglais, Louis XVIII veillait au grain mais avec si peu de moyens. De même que, comme on l’a vu dans un précédent article, il avait dépêché son neveu le duc d’Angoulême auprès de Wellington en Espagne, de même avait-il envoyé son frère le comte d’Artois entrer en France par le nord-est avec le titre de lieutenant-général du royaume.

Court-circuitant le roi de France aussi bien que les Alliés, le Sénat impérial, avec la sournoise complicité de Talleyrand, s’était empressé de combler le vide, non seulement par un gouvernement provisoire, mais aussi par une Constitution qui visait essentiellement à préserver les postes de ses membres. Napoléon les avait trop flattés et enrichis pour qu’ils ne se montrassent pas de la dernière ingratitude à son égard. Ils avaient toutefois su ruminer avec assez d’intelligence les leçons du passé pour présenter un texte constitutionnel qui parût satisfaire les exigences du temps, aussi bien le libéralisme politique réputé en usage en Angleterre que les aspirations à la modernité proclamées par un tsar qui s’en dispensait pour lui-même.

Dans ce théâtre d’ombres chinoises et ces parties de poker menteur, le comte d’Artois avançait, armé de sa seule légitimité dynastique et d’un viatique royal que personne en France n’avait envie de reconnaître. Mais rien ne le faisait douter, ni de son bon droit, ni de l’intérêt du royaume à recouvrer la paix tout en rassurant l’Europe. La façon dont il traversa l’est de la France, de Pontarlier à Paris, au cours de ce mois d’avril 1814, fut souvent attribuée à une certaine inconscience ou naïveté. Il est certain que si le prince s’était embarrassé d’habiletés politiques et de subtilités diplomatiques, il ne serait pas parvenu au bout du chemin.

Mais la façon dont, sur sa route, l’accueillaient les populations – démentant à cette occasion le prétendu « oubli des Bourbons » cher à Châteaubriand – et l’enthousiasme avec lequel elles saluaient sa cocarde blanche le confortèrent dans sa simple détermination. Il crut ainsi au « plébiscite des fenêtres », qui l’escorta jusqu’à Paris, où il entra le 12 avril 1814. Sa force fut d’avancer seul, sans armes, sans démonstration de force, muni de sa seule bonne foi et de sa capacité naturelle à inspirer confiance et à rendre des repères à des populations déboussolées. Il n’écouta aucun des conseils qui le poussaient à retarder son voyage, à ne pas trop se montrer, à attendre qu’à Paris, les choses se décantent …


Dans une capitale où les factions de toutes sortes se disputaient le pouvoir abandonné par Napoléon, le prince faisait figure d’intrus avec lequel il fallait cependant compter. Avec ce flair exceptionnel dont l’Histoire offre peu d’autres exemples, Talleyrand avait, le premier, compris que seule la légitimité des Bourbons se plaçait au carrefour de tous les critères et qu’on ne pouvait, dans l’urgence, improviser des institutions sans ancrage.

Le comte d’Artois avait su demeurer avare de sa parole, n’intervenant que de façon très ajustée, par exemple pour signaler que la Constitution sénatoriale s’avérait un peu courte quant à la garantie des libertés publiques, ou pour rappeler que rien ne pourrait se décider hors la présence du roi légitime. On ne pouvait donc que préparer le terrain.

Muni de cette détermination tranquille, faisant de sa présence une évidence historique, le lieutenant général du royaume vit tomber les uns après les autres les obstacles mis sur sa route. On ne put faire autrement que de lui confier la responsabilité du gouvernement provisoire et suspendre les décisions institutionnelles au retour de son frère.

La France sortait d’un cauchemar et avait besoin de se ressourcer. Celui qu’on appellerait Monsieur une fois la Restauration confirmée et confortée, lui offrit mieux que de complexes stratégiques machiavéliennes : de retrouver le simple goût de l’honneur, de la paix et de la liberté.

Daniel de Montplaisir 

 

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