Histoire

Des micros-États méconnus (1). Évocation d’une petite République couronnée

« De nous connus, des autres inconnus » est une ancienne devise de la plus ancienne République du monde, où j’ai eu l’occasion de me rendre à plusieurs reprises. Cette devise semble être toujours d’actualité. En effet, ce pays ne défraie jamais la chronique, que ce soit la chronique mondaine ou celle des faits divers.  Combien de Français ignorent jusqu’à son existence ? Le lecteur de Vexilla Galliae sera peut-être surpris de lire cet article vantant les charmes d’une République. Celle-ci mérite cependant que l’on s’y intéresse. Sa capitale, ceinte de remparts, est accrochée au versant sud-ouest du Mont Titan, un éperon rocheux culminant à plus de 700 mètres au-dessus du niveau de la mer Adriatique toute proche. La petite ville est un pur joyau moyenâgeux, un entrelacs d’étroites ruelles piétonnes pentues, dominé par trois forteresses qui sont autant de nids d’aigle.  La ville, à laquelle on accède en empruntant un téléphérique, offre des points de vue extraordinaires sur les montagnes et collines environnantes et sur la plaine en contre-bas qui s’étend jusqu’à la ville de Rimini et à la mer. L’Adriatique barre l’horizon, à l’est. L’UNESCO a inclus cette pittoresque capitale dans sa liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité.

Ce pays dont on parle si peu, c’est la République de Saint-Marin, un État indépendant d’une superficie de 61 km², complètement enclavé, à la limite des provinces italiennes d’Émilie-Romagne, au nord, et des Marches, au sud. Il s’agit du 3ème plus petit État d’Europe, après le Vatican et Monaco et, dans le reste du monde, seuls Nauru et Tuvalu sont moins grands que Saint-Marin. La station balnéaire de Rimini, au nord-est, n’est qu’à 13 kilomètres de la frontière saint-marinaise. Frontière que l’on traverse d’ailleurs presque sans s’en apercevoir. La République fait depuis longtemps partie d’une union douanière avec l’Italie. Elle frappe cependant monnaie, autrefois des lires, aujourd’hui des euros dont une face porte les armoiries du pays.

L’histoire de Saint-Marin remonte au IVe siècle de notre ère, lorsqu’un tailleur de pierres nommé Marinus arriva de l’île d’Arbe, en Dalmatie, et s’installa à Rimini, où il travailla comme maçon. Fuyant les persécutions anti-chrétiennes de l’empereur Dioclétien, il trouva refuge sur l’escarpement du Mont Titan et y fonda une communauté chrétienne.  En 313, après la fin des persécutions, il fut ordonné diacre par l’évêque de Rimini et une riche patricienne romaine convertie au christianisme lui fit don du Mont Titan dont elle était la propriétaire. La petite communauté chrétienne continua à vivre librement après la mort de Marinus, mettant ainsi en pratique les dernières paroles du saint : « Relinquo vos liberos ab utroque homine » (je vous laisse libre des autres hommes). De très anciens textes, dont certains sont conservés aux archives de l’État, font mention de cette communauté qui refusait à quiconque de la dominer ou de faire valoir des droits sur le mont Titan. Pour se protéger des attaques extérieures, la population commença à ériger des fortifications, à partir du Xe siècle. Une bulle du pape Honorius II, datée de l’an 1126, fait déjà état de l’existence d’une ville fortifiée. Au XIIIe siècle, le territoire saint-marinais s’étendit, d’autres châteaux ayant été achetés par la communauté. Cette dernière était organisée de manière autonome, selon des codes dont les plus anciens remontent à ce même XIIIe siècle. Le texte qui, encore aujourd’hui, régit la République, remonte au 21 septembre 1600. C’est donc la plus ancienne constitution du monde toujours en vigueur. Du XIIIe jusqu’au début du XVIe siècle, le petit État dut se défendre des ambitions de familles seigneuriales et d’évêques des environs. La dernière guerre menée par Saint-Marin eut lieu en 1463. Depuis cette date, ses limites territoriales ne furent plus jamais modifiées. Son indépendance fut confirmée par le pape en 1602. En octobre 1739, le pays fut cependant envahi par les troupes du légat pontifical de Romagne, le cardinal Alberoni. Alerté par un message secret envoyé par les Saint-Marinais, le pape Clément XII donna l’ordre au cardinal d’évacuer le territoire de la République, ce qui fut fait en février 1749. Ce fut la dernière tentative d’invasion que Saint-Marin eut à subir. Durant la campagne d’Italie, les troupes françaises n’y pénétrèrent pas et leur chef, le général Bonaparte, témoigna même de son admiration pour cette République lorsqu’il déclara qu’ « il fallait conserver Saint-Marin comme exemple de liberté ».  Plus tard, Napoléon Ier offrit même des terres qui auraient permis à la République d’avoir un accès à la mer mais, prudentes, les autorités saint-marinaises déclinèrent l’offre impériale. En 1815, le Congrès de Vienne reconnut l’indépendance du pays. Durant la période troublée qui mena à l’unité italienne, Saint-Marin accueillit de nombreux réfugiés et autres proscrits, dont Giuseppe Garibaldi lui-même, qui y vécut et à qui fut offerte la citoyenneté saint-marinaise. Son buste orne d’ailleurs une place, qui porte son nom, dans la capitale. Une autre période où le petit État accueillit de très nombreux réfugiés fut la Seconde Guerre Mondiale, particulièrement en 1943-44, lorsque cent mille Italiens y affluèrent. Parmi eux figuraient de nombreux Juifs qui purent ainsi échapper aux rafles organisées en Italie par l’occupant nazi. Pays neutre, les différents belligérants respectèrent ses frontières. En 1988, la République de Saint-Marin adhéra au Conseil de l’Europe et, depuis 1992, elle est membre de l’Organisation des Nations Unies. Elle conserve cependant jalousement sa neutralité. La République entretient des relations avec l’Union européenne et elle participe aux travaux de l’OSCE. Le 20 octobre 2013, un référendum fut organisé. Il portait sur l’ouverture éventuelle d’une procédure d’adhésion de Saint-Marin à l’Union Européenne.  50,28 % (soit 6 733 voix) des votants se prononcèrent en faveur d’une telle ouverture. Cependant le quorum n’ayant pas été atteint, le résultat ne fut pas validé.

On l’a vu, Saint-Marin est la plus ancienne République du monde. Si l’on se réfère à l’étymologie du terme, on pourrait même avancer que Saint-Marin  est la seule authentique « république » : la res publica, ou « chose publique », désignant l’intérêt général, est en effet la base des institutions démocratiques saint-marinaises. Le pays est divisé en neuf « castelli » (châteaux), l’équivalent de districts, gérés par des « Giunte di Castello », ou « conseils de châteaux » élus pour quatre années et présidés par un Capitaine dont le mandat est de deux ans non renouvelable.  Le Grand Conseil Général  est le Parlement du pays, il est composé de 60 membres élus au suffrage universel direct et proportionnel, tous les cinq ans. C’est lui qui élit, en son sein, les deux chefs de l’État. En effet, et c’est là l’une des particularités de cette démocratie, depuis 1243, la République a deux chefs d’États, appelés « Capitaines-Régents », dont le mandat ne dure que six mois. Chaque 1er avril et chaque 1er octobre, de nouveaux Capitaines-Régents sont élus, et ils ne peuvent être réélus pendant les trois années suivant la fin de leur mandat. Ils doivent prendre toutes les décisions d’un commun accord, et chacun dispose d’un droit de veto sur l’autre.  Au terme de leurs six mois au pouvoir, les Capitaines-Régents peuvent avoir des comptes à rendre auprès du « Sindacato della Reggenza » (Contrôle de la Régence) pour ce qu’ils ont fait ou omis de faire. Maria-Lea Pedini, la première femme Capitaine-Régent, a été élue le 1er avril 1981. À l’heure où ces lignes sont écrites, et jusqu’au 1er avril prochain, les Capitaines-Régents sont Nicola Renzi et Lorella Stefanelli. La République dispose également d’une dose de démocratie directe, au travers de l’antique Arengo, ou assemblée des chefs de famille. Autrefois, il s’agissait de l’organe suprême du pays. Il conserve le pouvoir de modifier les Statuts de la République. Il dispose en outre du droit de pétition. Les pétitions sont présentées par les citoyens aux Capitaines-Régents le premier dimanche suivant leur élection. Elles doivent être examinées par le Grand Conseil Général durant les six mois suivants. Le Parlement élit également le « Conseil des XII », qui exerce les fonctions civiles, pénales et administratives. Le pouvoir exécutif est exercé par le Congrès d’État, équivalent du gouvernement, qui est composé de dix membres et qui est présidé par les deux Capitaines-Régents. Chacun de ces dix membres dirige l’un des dix ministères.

La population saint-marinaise est catholique à 92,3 %. Le pays compte de très nombreuses églises ainsi que la monumentale basilique Saint-Marin, au centre de la capitale, qui abrite les reliques du saint ermite.  Le territoire de la République fait partie du diocèse de San Marino-Montefeltro dont la juridiction s’étend sur une partie des provinces italiennes voisines. On notera que, pendant la Première Guerre Mondiale, Maximilian Kolbe, qui allait devenir le saint martyr d’Auschwitz, séjourna au superbe couvent franciscain Saint-François (XIVe siècle), situé dans la ville de Saint-Marin. 

Saint-Marin est doté d’une petite université, l’Università degli Studi di San Marino. Elle comprend notamment le Centre international d’études sémiotiques et cognitives, fondé par l’écrivain italien récemment décédé, Umberto Eco. Le pays dispose aussi d’un institut privé soutenu par le gouvernement, l’Académie internationale des sciences de Saint dont l’une des langues officielles est l’espéranto.

Bien que peu connue internationalement, la République de Saint-Marin est loin de se désintéresser du reste du monde. En 1998, je dirigeais un programme en faveur des victimes de mines antipersonnel, dans le nord de l’Ouganda. Il était partiellement financé par la République de Saint-Marin.

La Principauté de Monaco, bien que beaucoup plus petite, est davantage connue. Elle attire les célébrités du monde entier, les nouveaux riches de l’ex-URSS et les princes arabes. Elle est célèbre pour son casino et pour les immenses yachts ancrés dans son port, ainsi que pour sa vie nocturne et pour ses banques. Mais ce micro-État est, à mon humble avis, bien moins intéressant que la République de Saint-Marin. Cette dernière a beaucoup plus à offrir au visiteur, en termes de paysages ou de patrimoine architectural et artistique. Le pays compte une dizaine de musées et de nombreuses anciennes églises, des palais et des châteaux qui valent tous d’être visités. Tout en étant prospère, ce pays et ses habitants ne font pas étalage de luxe, comme cela est le cas dans la Principauté. Monaco n’est qu’une ville hérissée de buidings modernes, en bord de mer, tandis que Saint-Marin est composé de petits bourgs anciens et de campagnes. La population de la capitale ne dépasse pas 4500 habitants. Elle n’est d’ailleurs que la troisième ville du pays,  après Serravalle (9300 habitants) et Borgo Maggiore (6000 habitants). Cette dernière localité est blottie au pied du Mont Titan et est reliée à la capitale par une route sinueuse et pas le téléphérique. Il y a encore, à Saint-Marin, de grands espaces ruraux, faits de collines et de vallées, où se pratique l’agriculture et la sylviculture, ainsi que l’élevage. Le pays produit d’excellents vins, un fameux limoncello et de l’huile d’olive, alors que Monaco ne produit rien du tout. Autre différence notable entre les deux États : un sixième seulement de la population de Monaco est monégasque, alors qu’à Saint-Marin c’est l’inverse : il n’y a que 5000 résidents étrangers pour une population totale de 32 800 habitants.  Pour résumer, je dirais que Saint-Marin est beaucoup plus authentique que Monaco.

La République de Saint-Marin est donc un petit pays original et d’une grande beauté, qui mérite certainement que l’on y passe quelques jours, comme j’ai eu l’occasion de le faire. Il vaut mieux, cependant, éviter les mois de juillet et août, lorsque les touristes, délaissant pour quelques heures les plages de l’Adriatique toutes proches, y affluent, envahissant plutôt les nombreuses boutiques et les restaurants que les monuments et autres musées.

Pour finir, il est intéressant de remarquer que les armoiries de la République sont surmontées d’une couronne, symbole de souveraineté. Ces armoiries – et cette couronne – figurent d’ailleurs en centre du drapeau national, composé de deux bandes horizontales bleue et blanche. Rappelons enfin que la devise du pays tient en un seul mot latin, « Libertas » et que, comme il est indiqué à la frontière, ce petit pays se targue d’être « l’antica terra della libertà » (la vieille terre de la liberté).

Hervé Cheuzeville

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