Commentaire de l’« Abrégé de l’Histoire de France » de Bossuet. Partie 25 Charles VI : roi chevalier et fou
Texte de Bossuet :
Charles VI. (An 1389.)
On était en repos du côté de l’Angleterre par une trêve de trois ans qui avait été conclue. Les Anglais étaient divisés entre eux. Richard, inquiété par ses oncles les ducs d’York et de Glocestre, avait été obligé de chasser le duc d’Irlande, son favori. Le duc de Lancastre, son troisième oncle, était attaché à la guerre de Castille, prétendant que ce royaume lui appartenait à cause de sa femme, fille de Pierre le Cruel. Comme cette guerre attirait beaucoup de soldats anglais de ce côté-là, les forces de l’Angleterre étaient partagées ; de sorte qu’étant occupée ou chez elle-même ou en Espagne, elle laissait la France en repos.
Cependant Charles s’attachait à réformer son royaume, et avait établi un conseil par lequel le peuple avait commencé de sentir du soulagement. Il avait reçu les plaintes que les provinces de Languedoc et de Guienne lui avaient faites contre les extorsions épouvantables du duc de Berri, leur gouverneur, et avait promis d’y pourvoir au retour du voyage qu’il méditait à Avignon, où le Pape l’avait invité d’aller. Avant de partir il voulut que la reine fît son entrée à Paris. Il se déguisa, se mit en croupe derrière Charles de Savoisy, l’un de ses gentilshommes, et se mêla parmi le peuple pour voir cette cérémonie. Le soir étant de retour, il fit des plaisanteries sur les coups qu’il avait reçus dans la foule. On en riait avec lui par complaisance ; mais au fond on était fâché de lui voir ravilir la majesté royale par de telles légèretés.
Il alla ensuite à Avignon, où il salua le Pape avec une grande soumission. Le Pape lui fit aussi tous les honneurs possibles, et lui donna un siège auprès de lui, mais un peu au-dessous du sien. Là, le jeune Louis, fils aîné du feu duc d’Anjou, fut couronné roi de Sicile par les mains du Pape, quoiqu’il ne possédât rien dans ce royaume, et que sa mère lui eût à peine conservé la Provence.
Le roi partit d’Avignon pour aller en Languedoc, où voulant faire justice des vexations du duc de Berry, il lui ôta son gouvernement. Il fit aussi arrêter pour ses malversations Bétissac, trésorier du duc, qui fut condamné à mort et à de grandes restitutions. Charles donna si bon ordre aux affaires de cette province, que le bruit s’en répandit partout. Ce prince gagnait tous les cœurs par cette conduite, et il était reçu par toutes les villes où il faisait son entrée, avec une admiration et un applaudissement incroyable. Il était bien fait de sa personne, vif et agréable, extrêmement doux et libéral. C’est ce qui lui fit mériter le titre de Charles le Bien-Aimé, et malgré tous ses malheurs, il eut toujours le cœur de ses sujets jusqu’à la fin de sa vie.
Pendant qu’il était en Languedoc, il fut touché du désir d’aller voir un prince aussi renommé qu’était Gaston Phœbus, comte de Foix. Il en fut reçu avec toute la politesse et toute la magnificence possible. Le comte proposa plusieurs sortes d’exercices pour le divertissement de la cour. Le roi, adroit eu tout, remporta le prix dans ces différents exercices, même en celui de lancer le javelot, qu’il n’avait jamais appris ; mais se contentant de l’honneur, il donna à un autre la couronne d’or promise au victorieux. Le comte lui fit hommage du comté de Foix, et on dit que ce comte en assura au roi la succession après sa mort ; car il n’avait point d’enfants légitimes, et il avait perdu son fils unique par la plus triste aventure qui fut jamais.
Ce jeune prince était allé voir sa mère, qui était brouillée avec son mari, et qui s’était retirée auprès du roi de Navarre, son frère. C’était Charles, qu’on appela le Mauvais, et qui était digne de ce nom. Il haïssait fort le comte de Foix, et voyant le jeune prince sur le point de s’en retourner auprès de lui, il le tira à part pour lui témoigner la douleur qu’il avait de ce que le comte était si aliéné de sa femme, ajoutant qu’il fallait chercher toute sorte de moyens pour ramener cet esprit superbe et opiniâtre. En même temps il lui remit en main un petit sachet et lui dit que s’il trouvait une occasion de faire prendre à son père ce qui était dedans, il se réconcilierait aussitôt avec sa femme, et qu’elle serait en plus grand crédit que jamais auprès du comte.
Gaston (c’était le nom du jeune prince) fit de grands remerciements à son oncle, et s’en alla ravi du trésor qu’il croyait remporter. Il avait un frère bâtard, nommé Yvain, de même âge et de même taille que lui. Leurs valets changèrent un jour leurs habits, et donnèrent ceux de Gaston à Yvain, qui, étonné de trouver dans le pourpoint de son frère le sachet qu’il y tenait toujours attaché, suivant les ordres de son oncle, demanda curieusement à Gaston ce que c’était. Gaston, sans rien répondre, se fâcha contre lui, s’impatienta et redemanda son sachet avec une ardeur extrême. Quelques temps après, comme les deux frères jouaient à la paume, ils eurent un démêlé, et Gaston irrité donna un soufflet à l’autre. Aussitôt Yvain irrité lui reprocha le sachet, qu’il cachait avec un soin si particulier, et fit tant de bruit que la chose vint aux oreilles du comte.
Comme son fils le servait à table suivant sa coutume, il aperçut le sachet, qu’il arracha en demandant ce que c’était. Le jeune prince fut fort interdit, et le comte ayant fait donner à un chien ce qui était dedans, l’animal mourut incontinent. Sur cela le comte fut transporté d’une colère extraordinaire, et les seigneurs eurent peine à l’empêcher de faire mourir son fils. Il le fit mettre en prison, et le malheureux enfant était plongé dans une si profonde mélancolie, qu’on ne put jamais le faire manger. Le comte en ayant été informé s’approcha de lui en le menaçant, et ayant levé le bras comme s’il eût eu dessein de le frapper fort rudement, il lui donna un petit coup à la gorge d’un fer dont il venait de nettoyer ses ongles. Il sortit de cette piqûre quelques gouttes de sang, et le pauvre enfant, abattu de chagrin et de désespoir, qui ne mangeait ni ne dormait depuis fort longtemps, fut tellement saisi, qu’il expira un moment après. Je n’ignore pas que quelques historiens n’aient voulu dire que son père lui avait fait couper la tête ; mais j’ai suivi les plus fidèles et les mieux instruits.
Charles étant parti de chez le comte revint à Paris avec une diligence incroyable, sans aucune nécessité ; car étant arrivé à Montpellier, il fit une gageure avec son frère, le duc de Touraine, à qui arriverait le premier à Paris.
Ils partirent accompagnés chacun d’une seule personne, savoir : le roi, du sire de Garencières et le duc, du sieur de la Vieuville, et firent le chemin partie à cheval, et partie en chariot, lorsqu’ils voulaient se reposer. Le duc ne fut que quatre jours et huit heures à venir de Montpellier à Paris, et le roi n’y arriva que quatre heures après, s’étant reposé huit heures de nuit à Troyes en Champagne ; ainsi il perdit la gageure qui était de cinq mille francs d’or. II fut blâmé de faire tort à sa dignité par cette conduite inconsidérée ; mais on excusait sa jeunesse ; et l’ardeur qu’il avait pour les grandes choses semblait couvrir ses défauts.
On ne parlait en ce temps que de Bajazet, empereur des Turcs, de sa valeur et de ses conquêtes. Charles, touché de sa réputation, avait un désir extrême de lui faire la guerre et de le rencontrer seul à seul dans un combat. Dans cette vue il fit ce qu’il put pour faire la paix avec l’Angleterre. Le duc de Lancastre vint en France pour la traiter : on se sépara sans la conclure ; mais on fit une trêve de quelques années, qui, étant souvent prolongée, donna aux deux royaumes une tranquillité semblable à la paix.
A la cour on se plaignait fort du duc de Bretagne, qui ne déférait ni aux arrêts du parlement, ni même aux ordres du roi. Charles s’étant avancé à Tours, il eut ordre de s’y rendre, et il y donna peu de satisfaction au conseil et à Clisson, qui avait la principale autorité. Il était appuyé secrètement des deux ducs qui étaient revenus à la cour, mais avec beaucoup moins de crédit qu’auparavant, et qui enviaient le grand pouvoir de Clisson dont le duc de Bretagne avait de son côté juré la perte.
Il employa à ce dessein Pierre de Craon homme de qualité, méchant, artificieux, et hardi à entreprendre aussi bien qu’à exécuter. Il avait été à Louis d’Anjou, roi de Sicile, qui dans son extrême besoin, l’avait envoyé d’Italie, où ses affaires étaient ruinées, pour demander de l’argent à sa femme. Mais Pierre, ayant appris en chemin que son maître était mort, garda la plus grande partie de l’argent. Fatigué de procès par la reine douairière de Sicile, il trouva moyen de s’insinuer dans les bonnes grâces du duc de Touraine qu’on avait fait duc d’Orléans en 1392. Il se donna à lui, et devint le confident de tous ses secrets, et même de ses amours : mais comme il lui manqua de fidélité, il le congédia de sa maison et le fit bannir de la cour.
Chassé de toutes parts, il recourut au duc de Bretagne, et se joignit à lui, dans le dessein de perdre Clisson, à qui il attribuait sa disgrâce. Il avait une maison à Paris, où il envoyait de temps en temps en secret des hommes affidés. Quand ils furent trente ou quarante, il s’y rendit en personne. Un soir, sur le point de l’exécution, on vint avertir le duc de Berry que Pierre de Craon avait assemblé du monde dans sa maison, et qu’il en voulait au connétable. Le duc répondit qu’il ne voulait pas aller inquiéter le roi à l’heure qu’il était, el qu’il lui dirait la chose le lendemain. Cette même nuit, pendant que le connétable se retirait fort tard de chez le roi, logé alors à l’hôtel de Saint-Paul près les Célestins, il vit tout d’un coup les siens attaqués, ses flambeaux éteints, et sa personne environnée. Il ne soupçonna d’abord autre chose, sinon que c’était le duc d’Orléans, qui se jouait avec lui à son ordinaire ; mais bientôt il entendit une voix qui le menaçait de mort. Lui, comme un homme de guerre, demanda résolument qui était celui qui lui parlait de la sorte : « C’est, » dit-on, « Pierre de Craon ; » et en même temps il se sentit frapper à la tête, et tomba de cheval à la renverse, dans une porte entr’ouverte de la rue Culture-Sainte-Catherine, où le maître du logis étant accouru le retira dans sa maison. Pierre de Craon et les meurtriers le laissèrent pour mort et prirent la fuite. On donna aussitôt l’alarme au roi ; toute la cour fut troublée, le roi accourut et les médecins ayant visité la plaie l’assurèrent qu’elle n’était pas mortelle.
Charles, touché de cet attentat, comme s’il eût été fait à sa personne, manda au duc de Bretagne qu’il remit entre ses mains Pierre de Craon qu’on savait s’être réfugié chez lui. Il nia la chose, et Charles, irrité au dernier point de cette réponse, se prépara à faire la guerre avec une ardeur extrême. Cependant le parlement condamna Pierre de Craon par contumace, confisqua ses biens, fit démolir sa maison, et punit de mort quelques-uns de ses complices. À peu près dans le même temps, Charles rendit au duc de Berry son gouvernement.
Aussitôt que le connétable se porta bien, le roi, accompagné de ses oncles et de lui, marcha, au cœur de l’été, à grandes journées, en Bretagne, sans se donner de repos ni jour ni nuit, et ne pensant qu’à la vengeance. Il avait la tête continuellement agitée de l’insolence du duc de Bretagne et de l’attentat fait sur Clisson, qu’il réputait fait à lui-même. Enfin le travail excessif et la chaleur de la saison lui donna la fièvre, et il fut contraint de s’arrêter au Mans. Il se servit de ce temps pour envoyer demander une seconde fois le criminel ; avec des ordres encore plus pressants et plus rigoureux que les premiers.
Le duc, sans s’étonner ne songeait qu’à gagner ses barons ; et quoiqu’il les trouvât peu disposés à le soutenir contre le roi, il ne put se résoudre à obéir. Charles, irrité plus que jamais de sa désobéissance, et ne pouvant plus souffrir de retardement, pressait le départ sans vouloir écouter ni ses oncles ni les médecins ; et quoiqu’il pût à peine manger, tant il était faible et dégoûté, il soutenait qu’il se portait bien, et que rien ne lui donnerait du soulagement, que de marcher. En cet état, il allait à cheval en plein midi, pendant une chaleur excessive, dans un pays sec et sablonneux. Tous ceux de sa suite accablés de chaud, allaient deçà et delà par des chemins séparés, pour éviter la poussière. Il arriva que le roi, passant par un petit bois, un grand homme pâle prit la bride de son cheval et lui dit : « Arrête, ô roi, tu es trahi ! » On le prit pour un insensé, et depuis on n’entendit jamais parler de lui.
Le roi continuait son chemin ayant la cervelle remplie de la parole de cet homme, et à quelques pas de là un page qui portait sa lance s’étant endormi, la laissa tomber sur le casque de son camarade qui était auprès du roi. À ce bruit, Charles, affaibli d’esprit et de corps, s’imagina quelque attentat contre sa personne, et mettant l’épée à la main, il commença à poursuivre à toute bride ces deux pages qui s’enfuyaient. Son frère l’ayant abordé familièrement à son ordinaire, il voulut le tuer comme les autres. Tous les siens fuyaient devant lui, et ce prince les poursuivait jusqu’à ce que fatigué et n’en pouvant plus, on le saisit et on le ramena au Mans, si éperdu, qu’il ne connaissait ni les autres ni lui-même.
On soupçonna d’abord qu’on lui avait donné quelque breuvage empoisonné, et on interrogea les officiers qui lui présentaient à boire ; on les trouva innocents, et le duc de Bourgogne disait hautement que les mauvais conseils étaient le seul poison que le roi eût pris. Ce discours regardait le connétable, qui en échauffant le roi contre le duc de Bretagne, lui avait, disait-il, troublé le cerveau, et avait accablé d’affaires et desseins d’une grande guerre l’esprit déjà trop ardent de ce jeune prince. On pourvut aux affaires du royaume, et on rendit le gouvernement aux deux oncles du roi, parce que le duc d’Orléans étant encore trop jeune. On donna aussi à la duchesse de Bourgogne la conduite de la maison de la reine, et la principale autorité auprès d’elle ; ce qui causa beaucoup de jalousie à la duchesse d’Orléans.
Les nouveaux régents commencèrent d’abord à attaquer Clisson. Comme dans le temps de sa blessure il avait fait un testament où il disposait des sommes immenses, le duc de Bourgogne l’accusait d’avoir diverti les fonds destinés à la guerre, dont il avait la disposition en qualité de connétable. Il sentit bien le péril où il était ; et un si grand homme, après avoir rendu à l’État des services si importants, fut contraint de se retirer en Bretagne, c’est-à-dire dans le pays de son plus grand ennemi. Le parlement le condamna, par contumace, à un bannissement perpétuel, à payer cent mille marcs d’argent pour ses extorsions, et à perdre son office de connétable.
Le duc d’Orléans ne voulut pas se trouver à ce jugement, et il témoigna toujours beaucoup d’amitié au connétable. En même temps, ceux qui avaient eu part aux affaires furent arrêtés : le duc de Berri voulait en particulier venger la mort de Bélissac sur les seigneurs de la Rivière et de Noviant ; mais, adouci par les remontrances de la duchesse si femme, il ne seconda pas le duc de Bourgogne, qui avait aussi juré la perte de ces deux ministres.
Cependant le roi fut guéri par un fameux médecin, qui recommanda fort qu’on ne chargeât pas d’affaires son esprit encore infirme, ordonnance que ses oncles suivirent très-volontiers. La trêve avec l’Angleterre fut prolongée de deux ans, par le moyen du duc de Lancastre, qui, occupé des affaires qu’il avait en Espagne, ne voulait point de guerre avec la France. Comme tout le peuple était alors dans un ravissement extrême de la santé du roi, qui se fortifiait tous les jours, la joie publique fut troublée par une occasion assez légère.
Au mariage d’une des filles de la reine, qui se fit à l’hôtel de la reine Blanche, on proposa un ballet où devaient danser six hommes déguisés en sauvages, ou satyres, du nombre desquels voulut être le roi. Le duc d’Orléans, qui ne le savait pas, entra dans l’assemblée avec ses légèretés ordinaires, et fit approcher un flambeau de l’un des sauvages, pour découvrir quel était ce masque ; mais le feu prit aux habits, et comme tous les sauvages étaient liés les uns aux autres, la flamme les gagna tous. Les uns se jetèrent dans une cuve pleine d’eau ; les autres secourus trop tard furent blessés par le feu, et moururent quelque temps après, comme Yvain, bâtard du comte de Foix. On eut peine à sauver le roi, et il alla quelques jours après à Notre-Dame, remercier Dieu au milieu des acclamations de tout le peuple, qui fut ravi de le voir délivré de ce péril.
Cependant Clisson se défendait vaillamment contre le duc de Bretagne, qui lui faisait la guerre, et son crédit était si grand parmi les seigneurs de cette province, que le duc ne put jamais obtenir d’eux qu’ils l’assistassent contre lui. À la cour, le roi et le duc d’Orléans, son frère, l’avait demandé avec ardeur, malgré la résistance de leurs oncles, qui ne purent jamais obtenir qu’on lui donnât un successeur dans la charge de connétable ; mais Clisson ayant reçu un ordre du roi de revenir à la cour, il refusa d’y obéir, jugeant bien qu’il n’y aurait point de sûreté pour lui, l’esprit du roi étant si faible, et la haine de ses oncles si implacable ; et ce fut sur ce refus que les ducs de Berry et de Bourgogne le firent déclarer rebelle et déchu des honneurs et prérogatives de la charge de connétable comme on vient de le dire.
Charles voulut d’abord faire connétable Enguerrand de Couci, homme célèbre en ce temps, qui avait déjà refusé celte grande charge à la mort de Bertrand du Guesclin, et avait conseillé de la donner à Clisson, comme au plus digne. Il refusa encore de prendre la place qu’un si grand homme remplissait si dignement, et Philippe, comte d’Eu, prince du sang, que les oncles du roi supportaient, fut fait connétable le 31 décembre 1392. Quelque temps après, Clisson, par l’entremise des seigneurs bretons, se réconcilia avec le duc de Bretagne, et ce duc fit aussi sa paix avec le roi Charles, dont la fille Jeanne fut donnée au fils du duc.
Ce qu’il y eut de plus remarquable en cette occasion, c’est que le duc, venant à la cour pour ce mariage, laissa le gouvernement de son État à Clisson ; l’amitié était alors solidement rétablie entre eux, et d’ailleurs ce grand homme s’attirait beaucoup de considération et de confiance. Le roi retomba dans son mal avec d’autant plus de douleur de tous les siens, que le médecin qui l’avait guéri était mort. Il s’emportait jusqu’à la furie contre tous ceux qui s’approchaient de lui ; il ne pouvait endurer qu’on le traitât en roi, et rompait les armes de France partout où il les trouvait dans sa maison ; il ne se souvenait ni de sa femme, ni de ses enfants, ni de lui-même, et ne souffrait ni ne connaissait personne, que Valentine, duchesse d’Orléans.
Plusieurs croyaient qu’il avait été ensorcelé, et attribuaient le maléfice à la duchesse ; on passa même jusqu’à cet excès, de chercher les magiciens pour lever les charmes ; et quelques-uns d’eux ayant trompé même la cour par des promesses insensées, furent punis de leurs impostures ; mais les personnes sages ne doutaient pas que la cause d’une maladie si étrange ne fut la fatigue et les inquiétudes que l’affaire de Bretagne avait causées au roi, et les désordres de sa jeunesse. On accusait le duc de Bourgogne de lui avoir laissé suivre ses inclinations par un excès de complaisance, et de l’avoir nourri dans la mollesse, afin qu’il lui abandonnât le gouvernement et les affaires : conseil pernicieux, dont on a peine à soupçonner un grand prince.
En ce temps, la Hongrie était presque toute ruinée par la puissance et par les victoires de Bajazet. Le roi Sigismond, frère de Venceslas, roi des Romains, envoya demander du secours à Charles avec grande instance ; il avait de temps en temps de bons intervalles, et il reçut très-favorablement cette ambassade. Touché des maux de ce royaume, il résolut d’y envoyer le connétable avec une grande armée. Jean, comte de Nevers, fils du duc de Bourgogne, âgé de vingt-deux ans, souhaita de la commander, et obtint facilement cette grâce par le moyen de son père. Couci se joignit à lui avec beaucoup d’autres seigneurs.
Étant arrivés en Hongrie, ils y eurent d’abord quelques bons succès, et assiégèrent Nicopolis, ville de Thrace, assise sur le Danube, qui se défendait vigoureusement. À ce siège, Couci défit vingt mille Turcs avec une poignée de gens, et le connétable jaloux le blâma d’avoir trop hasardé. Cependant Bajazet approchait â grandes journées avec une année nombreuse et un extrême désir de combattre. Le roi do Hongrie (1395) envoya proposer aux Français de laisser combattre l’avant-garde des Turcs à ses troupes, plus accoutumées à leur manière de faire la guerre que les Français : il leur dit qu’il espérait la battre sans beaucoup de peine ; qu’ensuite ils attaqueraient tous ensemble le corps de bataille, qui était le fort de l’armée, et le déferaient aisément après le premier désordre. Couci dit d’abord que le roi leur donnait un très-bon conseil, et qu’il fallait le suivre.
Le connétable, irrité de ce qu’il avait parlé le premier, contredit son sentiment par jalousie ; il disait que les Hongrois voulaient avoir la gloire de la journée, et qu’il était honteux aux Français d’être venus de si loin pour recevoir un tel affront. « Combattons donc, » conclut-il, « et n’attendons pas les Hongrois ; nous avons assez de force pour vaincre l’ennemi tout seuls. » Sur cela, nos gens animés donnèrent sans attendre, et d’abord ils tuèrent une grande quantité de Turcs ; mais ils ne purent pas conserver longtemps leur avantage, et ils furent enfin accablés par la multitude.
Sigismond se mit à crier que la témérité des Français avait tout perdu, et en même temps il vit ses troupes, au nombre de soixante mille hommes, prendre la fuite sans avoir combattu. Presque tous les Français furent tués ; mais ils ne le furent pas impunément, car on voyait vingt ou trente Turcs renversés auprès de chacun des nôtres. Jean, comte de Nevers, Philippe d’Artois, Couci et plusieurs autres personnes de marque, furent prisonniers. Bajazet voulait faire mourir le jeune comte. On dit qu’un de ses devins l’en empêcha, disant qu’il ferait lui seul plus de mal à la chrétienté que Bajazet avec toutes ses forces. Mais ces sortes de prédictions se répandent ou plutôt s’inventent ordinairement après coup ; et ce qui sauva le comte, fut l’espérance qu’eut Bajazet de profiter de sa rançon. Il sauva la vie aussi au connétable, à Couci et à quelques autres. Il fit venir le reste des prisonniers, les uns après les autres, pour leur faire couper le cou en sa présence, malgré les gémissements de tous les Français, qui ne purent le fléchir.
Tel était l’état de nos affaires du côté de la Hongrie. En Italie, la ville de Gênes se soumit au roi, ne pouvant plus soutenir les divisions de ses citoyens, ni l’oppression et les violences de ses voisins. En Angleterre, il y avait de grands troubles. Richard souffrait beaucoup de l’humeur séditieuse de ses peuples, et de leurs mouvements continuels, fomentés par le duc de Glocestre. Ainsi, il songea à se fortifier par une alliance avec la France, et demanda en mariage Élisabeth, fille de Charles, qui n’avait alors que sept ans. Les oncles des deux rois, c’est-à-dire le duc de Bourgogne el le duc de Glocestre, traitaient la paix ensemble ; et quoique le dernier reçut les présents magnifiques que le roi faisait, il n’en était pas pour cela plus traitable. Il disait que les Français étaient trop subtils, et qu’ils enveloppaient tellement les choses par des paroles ambiguës, qu’il n’y avait dans les traités que ce qu’ils voulaient.
A la fin, Richard, fatigué d’une si ennuyeuse négociation, et voulant absolument avoir la princesse, résolut de mettre fin à tant de langueurs ; et, comme on ne put s’accorder sur les articles de paix, il conclut une trêve pour trente ans. On convint aussi d’un lieu où les rois se verraient, et où Charles mènerait sa fille à Richard. Celle entrevue se fit à Ardres en 1396, avec beaucoup de magnificence et de cordialité entre les deux rois. Charles, qui en ce temps-là se portait bien, parut fort honnête et fort sensé à Richard et aux Anglais, et il en reçut tous les honneurs possibles, ayant partout eu la première place, que Richard refusa constamment, même dans le logis de Charles, lorsqu’il le visita.
Cependant les prisonniers de Hongrie ayant payé leur rançon, revinrent en France. Il n’y eut que le connétable qui mourut à Micalizo en Natolie. Sa charge fut donnée à Louis de Sancerre, maréchal de France, et Boucicaut fut fait maréchal. Le comte de Nevers raconta à Charles et à toute la cour le discours que Bajazet lui avait tenu en le renvoyant : « Je sais, » lui disait-il, « que vous êtes grand seigneur. La honte d’avoir été battu vous portera quelque jour à renouveler la guerre ; mais je ne veux point vous demander votre parole de ne rien entreprendre contre mon empire ; allez, et dites partout que Bajazet attend de pied ferme ceux qui oseront l’attaquer, et qu’enfin il est résolu de subjuguer tous les Francs (c’est le nom que donnent les Orientaux aux Chrétiens d’Occident), et de faire manger son cheval sur l’autel de Saint-Pierre. »
Voilà les menaces que faisait Bajazet : insensé qui ne prévoyait pas le malheur qui lui était préparé par Tamerlan, roi des Tartares, qui, étant entré dans son pays, le défit, le fit prisonnier, et l’enferma (si nous en devons croire quelques auteurs qui ont écrit cette histoire) comme une bête farouche dans une cage de fer ; il le menait ainsi de ville en ville, et ce prince mourut enfin de chagrin et de désespoir. Le jeune comte racontait encore que Bajazet leur avait beaucoup parlé des divisions de la chrétienté, qui la perdaient sans ressource, et qu’il se moquait de la folie des Chrétiens, qui souffraient depuis si longtemps ces deux Papes, dont les querelles causaient de si grands troubles à l’Église.
En ce temps Charles et les autres princes s’appliquaient sérieusement à mettre fin à ce schisme, et les discours de Bajazet animèrent le zèle de toute la cour ; mais il n’y avait aucune espérance de guérir un si grand mal, si on n’employait des remèdes extraordinaires. Car depuis que Clément VII, élu à Fondi contre Urbain VI, eût transporté le siège à Avignon sous le règne de Charles V, ces deux Papes étant morts, les successeurs qu’on leur donna soutinrent les deux partis. Boniface IX fut mis en la place d’Urbain, et Benoît XIII en celle de Clément, à condition toutefois qu’il renoncerait à la papauté, si les cardinaux de son obédience le jugeaient nécessaire au bien de l’Église. Cependant les deux partis faisant toujours de nouveaux Papes, le schisme se perpétuait par ces élections, et on n’y voyait aucune fin.
Charles, pour remédier à un si grand mal, fit assembler le clergé de France ; et cette assemblée résolut qu’on obligerait les deux Papes à céder le pontificat pour faire une nouvelle élection, du consentement des deux partis. La France, qui embrassa ce décret, attira d’autres royaumes dans le même sentiment. Venceslas, roi des Romains et de Bohème, vint à Reims communiquer avec le roi des moyens de mettre la paix dans l’Église. Charles alla à sa rencontre, en chassant, jusqu’à deux lieues de la ville, et l’y reçut magnifiquement.
Ce prince, adonné au vin, n’avait d’ailleurs aucune inclination digne de sa naissance et de sa grandeur ; il fut peu estimé en France. Charles néanmoins fut content de lui, parce qu’il s’attachait fort à procurer la paix de l’Église, promettant que non-seulement l’Allemagne et la Bohème, mais encore son frère, le roi de Hongrie, suivraient les sentiments de la France. Le roi le renvoya avec de magnifiques présents, contre l’avis du duc de Bourgogne, qui disait que toutes ces libéralités étaient inutiles, et qu’il ne fallait pas espérer que les Allemands tinssent leur parole. Le roi d’Angleterre entra dans le même dessein ; mais quelque instance que pût faire Charles auprès des deux Papes par ses ambassadeurs, il ne put jamais en tirer que des paroles sans exécution, quoique les cardinaux des deux partis se fussent rangés à ses sentiments.
Comme on vit que ces moyens ne servaient de rien ; la France en vint à cette extrême résolution, de soustraire l’obédience à l’un et à l’autre Pape. Mais cela même étant inutile, le maréchal de Boucicaut, qui était à Avignon, eut ordre d’user de la force contre Benoît, qui paraissait le plus opiniâtre et de se rendre maître de la ville. Le peuple abandonna Benoît, et le contraignit de se retirer dans le château, où Boucicaut l’assiégea et le réduisit à d’étranges extrémités, sans que jamais il voulût fléchir.
(1398) Pendant ce temps le duc de Glocestre avait excité de nouveaux troubles en Angleterre. Il décriait, autant qu’il le pouvait (1390), le roi son neveu, disant qu’il n’était point propre à régner, et qu’il ne se souciait point des affaires de son royaume, pourvu qu’il fut avec des femmes et dans ses plaisirs ; que loin de faire la guerre aux Français comme ses prédécesseurs, il s’était laissé gagner par leur argent, et que ses favoris avaient été corrompus par les mêmes voies pour leur livrer Calais. Par ces discours il animait tous les peuples contre Richard, principalement ceux de Londres, et il avait même conçu le dessein de mettre un autre roi à sa place.
Richard, ayant découvert ce complot, fit arrêter le duc à Londres, et l’ayant ensuite fait transporter à Calais, il le fit mourir. Cette action indigna tout le monde contre Richard. On disait que si le duc de Glocestre, par un si grand attentat contre le roi, avait mérité la mort, il ne fallait pas le perdre sans lui faire son procès. Que ne devaient pas craindre les particuliers, si le sang et la dignité d’un oncle du roi n’avaient pu le mettre à couvert d’une mort injuste et précipitée ? et que fallait-il attendre après cela d’un prince si violent, sinon qu’il fit mourir les bons et les mauvais à sa fantaisie ?
Les ducs de Lancastre et d’York, quoiqu’ils approuvassent les desseins de leur frère, furent fort irrités de sa prison, et s’emportèrent au dernier point, quand ils apprirent sa mort. Mais Richard soutint la chose avec tant de force et si hautement, qu’ils furent contraints de plier ; ainsi leur autorité étant abattue, le roi commença à régner plus impérieusement que n’avaient fait ses prédécesseurs. Le peuple en fut indigné, ceux de Londres principalement se plaignaient que les anciens droits du royaume étaient abolis, et tout tendait à la guerre, si les séditieux eussent trouvé un chef.
Les affaires étant en cet état, Henri comte d’Erbi, fils du duc de Lancastre, maltraité par le roi, et chassé du royaume, pour une querelle particulière, se retira en France. Les Londoniens, qui l’aimaient passionnément, souffrirent son éloignement avec une extrême impatience. Le duc de Lancastre étant mort, Richard se saisit de ses biens, ce qui acheva d’aigrir contre lui ceux de Londres et tous les Anglais. De là il se forma une faction pernicieuse au roi et à l’État. Ceux qui avaient le principal crédit dans ce parti pendant l’absence de Richard, qui était occupé à dompter quelque partie de l’Irlande, rappelèrent secrètement Henri qui avait pris le nom de duc de Lancastre. Aussitôt qu’il fut arrivé en Angleterre, tous les seigneurs et tous les peuples se joignirent à lui.
Cependant Richard avait achevé la conquête d’Irlande, et revenait avec une armée victorieuse, persuadé qu’à son arrivée les séditieux seraient dissipés. Le contraire arriva, et son armée s’étant débandée, il fut contraint de se retirer dans un de ses châteaux. Le duc de Lancastre s’y présenta, et comme on n’osa lui en refuser l’entrée, il emmena Richard, qu’il renferma dans la tour de Londres, où le duc de Lancastre fut déclaré roi, sous le nom de Henri IV, du consentement unanime des seigneurs et du peuple. Le seul duc d’York s’y opposa, comme prétendant avoir droit à la couronne, ce qui causa dans la suite de longues contestations entre ces deux maisons. Tout cela se passa si promptement, que Charles ne put donner aucun secours à Richard.
A peu près en ce temps, l’empereur Venceslas fut déposé par décret des électeurs, comme un prince fainéant et incapable de gouverner. On mit en sa place Robert de Bavière. Les nouvelles de la prison de Richard étant portées en France, le roi, touché du désastre de son malheureux gendre, retomba dans son mal plus violemment que jamais. Mais il apprit un peu après qu’il avait été tué, soit que Henri l’eût ordonné de la sorte, soit qu’il l’eût seulement permis ou dissimulé. Ceux de Bordeaux qui aimaient Richard, furent vivement touchés de ses malheurs, ce qui fit craindre en Angleterre qu’ils ne se rendissent aux Français ; mais ils demeurèrent dans l’obéissance, parce qu’on les traitait doucement, et qu’ils voyaient leurs voisins, qui dépendaient de la France, maltraités de leurs gouverneurs.
Henri, qui aimait la guerre et qui méprisait les forces de la France sous un roi imbécile, ne laissa pas toutefois de prolonger la trêve, ne voyant pas ses affaires encore assez établies. La jeune reine d’Angleterre fut renvoyée au roi son père avec ses joyaux et tout ce qu’elle avait eu en dot. Le duc de Bretagne mourut, et le duc de Bourgogne alla dans cette province, d’où il amena en France le nouveau duc, gendre du roi, après avoir mis garnison française dans toutes ses places.
Il vint une ambassade de la reine de Danemark, qui demandait une fille du sang de France pour son fils, croyant procurer un avantage extraordinaire à la maison de Danemark, par une alliance qui en ferait descendre les princes d’une race si grande et si héroïque. Le duc de Bourbon promit sa fille, qui mourut cependant avant que le mariage pût être accompli. Manuel, empereur de Constantinople, vint en France en 1400, pour demander du secours contre les Turcs. Charles alla au-devant de lui, et ils entrèrent à Paris à côté l’un de l’autre. L’empereur le reçut avec une magnificence digne de la grandeur des deux princes ; mais si on lui fit beaucoup d’honneur, on n’était pas en état de lui donner un grand secours, parce que la France n’était pas alors en fort bon état.
La jalousie s’étant mise entre les ducs de Bourgogne et d’Orléans, et la querelle en étant presque venue aux dernières extrémités, l’affaire fut différée plutôt que terminée par l’entremise de leurs amis. Après cette paix, le duc d’Orléans, qui ne désirait que de se signaler quelque action hardie, pour venger la mort de Richard, envoya défier le roi d’Angleterre à un combat de cent hommes contre cent hommes. Henri répondit assez fièrement qu’il ne recevait de défi que de personnes de son rang, que les rois ne se battaient point par ostentation, et qu’ils ne faisaient rien que pour l’utilité publique ; qu’au reste il souhaitait que le duc fût aussi innocent envers le roi son frère, que lui l’était envers le roi Richard. Ensuite, pendant l’absence du duc de Bourgogne, le duc d’Orléans prit son temps pour se faire donner par le roi le gouvernement de l’État ; ce que les gens sages désapprouvèrent, parce qu’encore qu’on aimait ce jeune prince, qui était bien fait, agréable et plein d’esprit, on ne lui trouvait pas le jugement assez mûr pour une si grande administration.
En effet, aussitôt qu’il eut l’autorité absolue (1406), il se conduisit avec beaucoup d’emportement ; il fit des dépenses extraordinaires pour contenter son ambition et l’avarice des siens. Il voulut même établir de nouveaux impôts, alléguant le consentement de ses deux oncles ; mais le duc de Bourgogne l’en désavoua par un écrit public, et l’édit fut révoqué. Depuis ce temps-là le duc d’Orléans fut toujours de mauvaise humeur contre son oncle, poussé par Valentine sa femme, et par les jeunes gens qui le gouvernaient.
Parmi ces divisions arriva la mort du duc de Bourgogne, qui tut fort regretté de tous les gens de bien, parce qu’encore qu’il eût ses défauts, il soutenait les affaires par son autorité et par sa prudence. Jean, son fils aîné, lui succéda. La même inimitié qui avait été entre l’oncle et le neveu, demeura entre les deux cousins. Jean, d’un naturel altier, hardi, ambitieux, qui voulait tirer à lui toute l’autorité, affaiblit d’abord le crédit du duc d’Orléans, et établit puissamment le sien par un double mariage, donnant sa fille au Dauphin, et ménageant pour son fils une des filles du roi. Il gagnait le cœur de tous les peuples, parce qu’il s’opposait publiquement à tous les impôts que le duc d’Orléans voulait établir.
Le grand crédit du duc de Bourgogne augmentait la jalousie que le duc d’Orléans avait contre lui, de sorte qu’il songea à se fortifier, en s’unissant étroitement avec la reine. Charles était dans un état qui aurait même fait compassion à ses ennemis. Quelquefois on le voyait comme un furieux ; mais le plus souvent il était dans une stupidité et une insensibilité prodigieuse, le corps tout plein d’ulcères et de vermines, chose qu’on ne peut penser sans horreur, et il fallait se servir de la force pour le mettre proprement. Il revenait quelquefois, et gouvernait son Etat comme il pouvait, mais toujours fort faiblement.
La reine et le duc d’Orléans, voulant se rendre maîtres des affaires, prirent le temps que le duc de Bourgogne était éloigné, pour emmener le Dauphin à Melun, et gouverner sous son nom pendant la faiblesse du roi. Comme ils étaient en chemin, survint le duc de Bourgogne, bien accompagné, et il ramena à Paris le jeune prince. Cette action brouilla les deux ducs au dernier point. Ils armèrent de part et d’autre, et les troupes firent des désordres épouvantables autour de Paris, principalement celles du duc de Bourgogne. Mais enfin ils se remirent au jugement du duc de Berry, du roi de Sicile et des autres princes, et l’affaire fut accommodée sans que les esprits fussent calmés.
Ces brouilleries domestiques furent suivies de la guerre avec les Anglais. La trêve étant expirée, les Français attaquèrent vigoureusement la Guienne. Comme le connétable d’Albret, qui avait été élevé à cette charge, en 1103, après la mort de Louis de Sancerre, s’était rendu célèbre pour quelques avantages qu’il avait remportés dans cette province, le duc d’Orléans, avide de gloire, voulut y aller commander. Sa négligence fit qu’il laissa passer la saison propre pour la guerre, et les personnes sages lui conseillèrent de remettre l’entreprise à l’année suivante ; mais ce prince léger préféra à leurs sentiments le conseil des jeunes gens de son âge.
Etant arrivé en Guienne, il épouvanta ceux de Blaye, qui ayant promis de se rendre à condition que le duc prendrait aussi la ville de Bourg, il crut que rien ne lui serait difficile ; mais il trouva de la résistance à Bourg, il y souffrit de grandes incommodités par les pluies continuelles : on était dans la boue jusqu’à la ceinture ; la maladie se mit dans le camp, et tous les gens de guerre se moquaient du prince qui s’était engagé si mal à propos dans cette entreprise.
Leur mépris se tourna en haine, quand ils virent qu’on ne les payait point, et que le duc jouait publiquement leur argent. Alors ne sachant que faire, il tenta vainement de gagner par argent les assiégés. Il fut enfin contraint de lever le siège avec beaucoup de confusion, et demeura exposé à la risée de tous ses ennemis, principalement du duc de Bourgogne.
Ce duc, d’un autre côté, ayant voulu assiéger Calais, et les choses nécessaires lui ayant manqué, il en accusa le duc d’Orléans. Ainsi l’aigreur et la haine que ces deux princes avaient l’un pour l’autre s’augmentait de jour en jour, et leur réconciliation ne fut jamais sincère. Souvent par l’entremise des princes ils se donnèrent la foi l’un à l’autre, s’envoyèrent mutuellement leurs ordres de chevalerie, selon la coutume du temps, comme une marque d’amitié inviolable. Ils jurèrent même la paix sur le Saint Sacrement en communiant ensemble ; mais tout cela ne servit de rien.
Le duc de Bourgogne, par un attentat horrible, résolut de se défaire du duc d’Orléans et aposta pour cet effet des assassins qui le massacrèrent le 23 novembre 1407, à huit heures du soir, dans la vieille rue du Temple, à Paris, comme il sortait peu accompagné de chez la reine, logée alors à la rue Barbette, dont il reste encore une porte dans cette rue. Aussitôt qu’il vit paraître des hommes armés, l’épée à la main, il crut les arrêter en criant qu’il était le duc d’Orléans. Ils répondirent que c’était à lui qu’ils en voulaient, et ce prince fut ainsi assassiné de la manière du monde la plus cruelle. La cour et la ville furent effrayées d’un si horrible assassinat, et le prévôt de Paris eut ordre de faire dans tous les hôtels des princes une exacte perquisition des meurtriers.
Le duc, troublé des remords de sa conscience, ayant trouvé chez le roi le duc de Berry et le roi de Sicile, les tira à part, et leur avoua que c’était lui qui avait fait cette méchante action. Son crime leur fit horreur, et ils lui dirent de se retirer. La duchesse d’Orléans vint se jeter aux pieds du roi avec ses enfants pour lui demander justice, et remplit toute la cour de ses plaintes.
Cependant le duc de Bourgogne était arrivé à Lille, où ayant appris que quelques-uns avaient témoigné de la joie de la mort de Louis, bien loin de demander grâce, il osa soutenir l’action. Il vint lui-même à Paris pour ce dessein, et dans l’assemblée des princes, où le Dauphin représentait le roi qui était malade, il fit soutenir par Jean Petit, docteur en théologie de Paris, que le duc d’Orléans était un tyran, ennemi déclaré du roi et de l’État, qu’aucun homme de bien ne devait laisser en vie, et lui, moins que personne, attaché au roi à tant de titres, puisqu’il était de son sang, étant deux fois pair et doyen de pairs, car il était comte de Flandre, premier pair de France en qualité de duc de Bourgogne.
Le docteur, pour prouver ce qu’il avançait, accusa le duc d’Orléans et sa femme d’avoir ensorcelé le roi ; et il était véritable que ce prince, dans sa jeunesse, par une curiosité criminelle, consultait souvent ceux qui se disaient devins et sorciers. Petit ajoutait que Louis avait fait empoisonner le Dauphin, qu’il avait pillé le royaume et voulait l’envahir ; il n’oublia pas même le malheureux ballet des Sauvages, ni le feu mis à leur habit par l’imprudence du duc, qu’il qualifiait une malice et un attentat. Par ces fausses raisons il soutenait que cet infâme assassinat méritait une récompense, et il se tourna ensuite du côté du duc de Bourgogne pour être avoué.
Jean approuva hautement le discours, comme prononcé par son ordre. Une si horrible impudence et du prince et de son docteur fit frémir tous les gens de bien ; et cependant le roi, étant revenu de son mal, accorda la grâce au duc, tant sa faiblesse était déplorable même dans ses bons intervalles, et tant le duc de Bourgogne s’était rendu redoutable aux autres princes de la maison royale.
Après cela Jean alla à Liège pour défendre l’évêque Louis de Bourbon, son parent, contre les Liégeois. La reine, pendant son absence, fit venir Valentine de Milan pour demander justice. Le roi révoqua la grâce accordée au duc de Bourgogne, et ordonna qu’il fût procédé contre lui selon la rigueur des lois ; mais, quand la nouvelle vint qu’il revenait victorieux et tournait droit à Paris avec son armée, Charles, voyant les Parisiens portés pour le duc, alla à Tours avec la reine et le Dauphin.
Jean entra dans Paris au milieu des acclamations de tout le peuple, et aussitôt il envoya des ambassadeurs à Tours. Ils y furent fort bien reçus, et le roi commençait à souhaiter que l’affaire s’accommodât. La duchesse d’Orléans mourut, déplorant la misère où elle laissait ses enfants, et ne plaignait pas moins que ses enfants propres, Jean, bâtard de son mari, en qui elle avait toujours remarqué beaucoup d’esprit et un grand cœur ; elle disait qu’il était seul capable de venger la mort de son père. Ce fut ce célèbre comte de Dunois, d’où est venue la maison de Longueville, illustre par les services qu’elle a autrefois rendus à l’État ; elle est depuis peu tout à fait éteinte.
Les jeunes princes n’eurent plus la force de poursuivre leur affaire depuis la mort de leur mère (1409). Le roi s’avança à Chartres. Jean s’y étant rendu, le supplia de lui pardonner ce qu’il avait fait pour le bien de sa personne et de son État ; c’est ainsi qu’il parlait de son exécrable action. Le Dauphin et sa femme, fille de Jean, ayant intercédé pour lui, Charles ordonna qu’une des filles du duc de Bourgogne épouserait Philippe, comte de Vertus, second frère du jeune duc d’Orléans, et au surplus leur défendit de se rien demander les uns aux autres. Les jeunes princes, voyant la faiblesse du roi et la leur, furent obligés pour lors d’acquiescer à cette sentence ; et ainsi la cour, agitée par les dissensions des princes, goûta un peu de repos.
En ce temps on tint un concile à Pise, pour remédier au schisme. Benoît, étroitement assiégé et pressé par Boucicaut dans le château d’Avignon, comme nous l’avons déjà dit, souffrit avec un courage invincible le triste état où il se vit réduit ; et s’étant enfin échappé, il se retira en Aragon, où il était reconnu. Il y rétablit ses affaires, et ramena beaucoup de peuples à son parti ; il fut même de nouveau reconnu par les Français, qui commencèrent à avoir du scrupule de leur soustraction.
A Rome, Boniface IX étant mort, Innocent VII et ensuite Grégoire XII furent élevés au pontificat. Après diverses négociations entre Grégoire et Benoît, comme il n’y avait aucune espérance que ni l’un ni l’autre ne voulût renoncer à la papauté, quoiqu’ils l’eussent souvent promis, la plupart des nations chrétiennes leur refusèrent l’obéissance. Les cardinaux des deux collèges s’assemblèrent à Pise, où, d’un commun consentement et de l’autorité du concile, ils déposèrent les deux Papes comme schismatiques, et élurent Pierre de Candie, Cordelier, archevêque de Milan et docteur en théologie de l’université de Paris, qui fut appelé Alexandre V. Ils crurent par ce moyen remédier au schisme ; mais au contraire le mal augmenta : au lieu de deux Papes on en fit trois ; et ainsi la chrétienté fut divisée en trois parties, avec une aigreur plus grande qu’auparavant.
Pendant ce temps-là la ville de Gênes se révolta contre le roi. Boucicaut en était gouverneur, et s’était acquis beaucoup d’autorité sur les citoyens et parmi ses voisins. Étant sorti de la ville pour secourir le duc de Milan et le comte Pavie, qui s’étaient mis sous la protection du roi, le marquis de Montferrat, leur ennemi, pour faire une diversion des forces de France, vint assiéger Gênes, où il entra par intelligence avec les Doria et les Spinola, deux puissantes maisons de cette ville. Tous les Français furent égorgés. Le sénat envoya demander pardon au roi, et rejeta la faute sur la populace, qui avait, disait-il, été poussée à cette violence par la tyrannie de Boucicaut. Il est vrai qu’il tenait la main un peu ferme aux Doria et aux Spinola, qu’il connaissait portés à la révolte. Au reste, comme il n’était pas moins sage que vaillant, il gouvernait les affaires avec beaucoup d’équité. Mais quelques autres Français, par leur conduite emportée et licencieuse, rendaient toute la nation odieuse aux Lombards.
En France, les querelles des princes se renouvelèrent (1410). Charles confia à la reine le gouvernement du royaume, et lui donna pour conseils les ducs de Berry et de Bourgogne. Il mit aussi le Dauphin entre les mains du dernier, qui crut que par ce moyen il allait être maître absolu du royaume : à quoi il avait toujours aspiré. Le duc de Berry et le duc de Bourbon en eurent tant de jalousie, qu’ils se retirèrent de la cour. Les princes d’Orléans espérèrent de trouver quelque appui dans cette division, et se joignirent au duc de Berry. Le duc de Bretagne et le comte d’Armagnac embrassèrent le même parti. On l’appela le parti des Orléanais, que les Parisiens nommaient Armagnacs, à cause que le comte d’Armagnac avait beaucoup de troupes auprès de Paris, qui faisaient de grands dégâts.
Les princes ligués écrivirent en commun une grande lettre au roi contre le duc de Bourgogne. On arma puissamment de part et d’autre. Le duc de Bourgogne avait autour de Paris grand nombre de gens de guerre, qui pillaient tout dans le pays, sans que le duc eu fit aucune justice. Le roi commanda aux Orléanais de poser les armes et de licencier leurs troupes. Ils n’obéirent pas à cet ordre ; mais l’hiver étant proche, le comte de Savoie prit ce temps pour négocier la paix, et accommoda l’affaire, à condition que tous les princes demeureraient chez eux, et ne viendraient point à Paris ni à la cour, si le roi ne les y mandait par lettres patentes.
Cet accord fâcha le duc de Bourgogne, qui avait toujours dans l’esprit le dessein de gouverner l’État. Un peu après, le roi en changea le gouvernement, et le donna à des évêques et à quelques seigneurs. Ils étaient d’avis de le remettre au Dauphin ; mais le duc de Berry s’y opposa, à cause de l’extrême jeunesse du prince. La paix ne dura pas longtemps. Les princes d’Orléans se plaignirent de ce que le conseil était composé des partisans du duc de Bourgogne, et demandaient qu’on les éloignât. Cette demande renouvela les inimitiés. Ils envoyèrent délier Jean à un combat particulier. Il répondit fort insolemment, à son ordinaire, en soutenant toujours son assassinat. La guerre se ralluma, et le duc de Berry y entra avec les mêmes princes qui l’avaient suivi la première fois. Charles ordonna qu’on obéît au duc de Bourgogne, qui leva une grande armée, avec laquelle le roi en personne, accompagné du Dauphin, alla assiéger les princes dans Bourges.
Pendant ces guerres civiles, l’étranger n’entreprenait rien, et la trêve, continuée avec les Anglais, mettait l’État en repos de ce côté-là. Mais cette considération n’empêcha pas le roi d’Angleterre d’envoyer du secours au duc de Berry, qui lui en avait demandé. Peu de temps après, la paix se fit malgré le duc de Bourgogne, qui faisait d’étranges menaces à ceux de Bourges : car, ayant d’abord brûlé leurs faubourgs, il destinait toute cette ville au feu et au carnage ; et déjà il commençait à en réduire en poudre, par ses batteries, les maisons et les murailles ; mais on fit entendre au Dauphin qu’il ne devait pas souffrir qu’il ruinât une ville qui serait un jour son héritage, parce que le duc de Berry n’avait point d’enfants mâles. Il témoigna assez aigrement ses pensées au duc de Bourgogne, et se plaignit hautement de lui, comme de l’auteur des guerres civiles. Le duc, étonné, n’osa passer outre, et on commença dès lors à parler d’accommodement. Il se fit une entrevue entre les ducs de Berry et de Bourgogne, séparés l’un de l’autre par une barrière.
Ce fut un spectacle mémorable d’y voir le duc de Berry, âgé de soixante et dix ans, armé de toutes pièces, qui, d’abord qu’il vit son neveu, lui dit que son père et lui n’avaient pas accoutumé de se voir avec ces précautions. « Il n’y avait point, » dit-il, « de barrière entre nous, et nous avons toujours vécu en parfaite intelligence. » Lorsqu’on fut entré en matière, il dit que ni lui ni les siens n’étaient point rebelles envers le roi, qui n’était pas en état de rien commander ; que s’il eût été en bonne disposition, il n’aurait pas laissé la mort de son frère impunie; qu’au reste cette guerre ne regardait pas le roi; que c’était une guerre particulière entre les princes, où l’État n’avait point de part; qu’il leur était permis d’assembler et de faire marcher leurs troupes, sous leurs ordres particuliers, sans que cela troublât la paix du royaume : c’est ainsi que se défendait le duc de Berri. Il ajouta que la seule faute qu’il avait commise était d’avoir fermé les portes de Bourges au roi et au Dauphin, et qu’il leur en demandait pardon très humblement.
Après quelques conférences la paix fut faite (1411), à condition que le traité de Chartres serait exécuté. Ce qu’il y eut de changé fut que le duc d’Orléans devait épouser la fille du duc de Bourgogne, parce qu’Isabelle, sa femme, fille du roi, était morte en couches en 1409 Cependant l’autorité royale étant affaiblie par l’infirmité du roi, les bouchers, fomentés sous-main par le duc de Bourgogne, excitèrent des troubles à Paris, et une grande partie du peuple se joignit à eux.
On fit beaucoup de bruit d’une grande requête que présenta l’Université, touchant les désordres de l’État. Cette compagnie se mêlait, en ce temps, trop avant dans les affaires, à cause de la faiblesse du gouvernement et de la considération qu’on avait pour un si grand corps.
Un peu après, le roi d’Angleterre eut une grande maladie. Etant tombé en faiblesse, son fils crut qu’il était mort, et prit la couronne qui était sur son lit (car c’était la coutume : les rois la portaient toujours, ou du moins ils l’avaient auprès d’eux). Le roi, revenu de sa défaillance, demanda sa couronne, qu’il ne vit plus auprès de lui (1413). Henri, son fils aîné, lui dit franchement que, comme il le croyait mort, il l’avait prise comme en étant le légitime héritier. « Comment y auriez-vous droit, » répondit le roi, « puisque vous savez que je n’y en ai jamais eu moi-même ? » À ces mots, le fils répondit : « Vous l’avez gagnée par les armes, et c’est aussi par les armes que je prétends la conserver. —Dieu en jugera, » dit le roi, « et je le prie de me faire miséricorde. » Il expira en disant ces mots. Henri V du nom entra en possession du royaume, et se fit couronner à Londres.
A Paris, les bouchers et les autres factieux vinrent trouver le Dauphin, et lui demandèrent insolemment quelques-uns de ses gens qu’ils voulaient faire châtier. Ils les appelaient traîtres à leur patrie, et les accusaient de tous les désordres de l’État. On fut contraint de les livrer à cette furieuse faction, tant le peuple fut emporté ou la cour effrayée. Le Dauphin en rejeta la faute sur le duc de Bourgogne, et lui dit de faire cesser les séditieux. Il fut étonné de voir tous ses secrets éventés et le Dauphin irrité contre lui. Sa crainte augmenta encore quand il vit que ce prince, qui jusque-là était gardé par les Parisiens, se mit à la garde des Orléanais.
Les factieux ne laissaient pas de se fortifier tous les jours ; et ayant pris un chaperon blanc pour marque de la faction, le roi et le Dauphin furent contraints de les imiter. Ils revinrent quelque temps après au nombre de douze mille. Celui qui était à leur tête, et qui portait la parole, reprocha publiquement au Dauphin ses mœurs corrompues et sa mauvaise éducation : il eut même la hardiesse de lui donner une liste de soixante personnes qu’on destinait au supplice comme traîtres à l’État. On leur en livra vingt, entre lesquelles étaient Louis de Bavière, frère de la reine, et l’archevêque de Bourges, son confesseur. Le Dauphin les redemanda avec larmes, et principalement le duc de Bavière : mais ses instances furent inutiles.
L’université de Paris, voyant que les choses se poussaient trop loin, et qu’il n’y avait plus de mesures, se sépara d’avec les rebelles. Ils furent si puissants qu’ils firent approuver leur attentat par lettres patentes. Mais enfin les gens de bien, ennuyés de tant de troubles, s’étant réunis avec le Dauphin, il se rendit maître dans Paris, et délivra les prisonniers. Comme le duc de Bourgogne vit son parti ruiné, il entreprit d’enlever le roi sous le prétexte d’une promenade à Vincennes, où il l’avait engagé ; mais ayant manqué ce coup, et voyant toutes ses menées découvertes, il se retira en Flandre.
Après sa disgrâce, le duc d’Orléans espéra qu’on lui ferait quelque justice de la mort de son père, et quitta le deuil qu’il avait porté jusqu’alors, quoiqu’il y eût six ans que son père fût mort. Jean, duc de Bretagne, vint à la cour. Il y eut une dispute pour la préséance entre lui et le duc d’Orléans. Ils étaient ducs l’un et l’autre, et tous deux de la maison royale ; mais le duc d’Orléans étant plus proche du roi, le premier rang lui fut adjugé. Le comte d’Alençon, prince du sang, fut fait duc pour lui donner le pas devant le duc de Bourbon, lequel, quoique plus éloigné que lui de la couronne, avait droit de le précéder par sa qualité de duc.
Le duc de Bourgogne écrivit au roi sur les faux soupçons qu’il disait qu’on avait de lui, et aux bonnes villes, sur ce qu’on maltraitait la Dauphine sa fille, et sur ce qu’on tenait le Dauphin en servitude. Comme il vit que le peuple était ému par ses lettres, il marcha à Paris avec son armée, et dit partout que le Dauphin l’avait mandé. Plusieurs personnes le croyaient ainsi ; mais soit que la chose fût fausse, ou que le prince eût changé d’avis, il ordonna à son beau-père, de la part du roi, de poser les armes. Il refusa d’obéir, et le roi envoya contre lui ses déclarations par tout le royaume.
On recommença plus que jamais à poursuivre le meurtre du duc d’Orléans, et on lui fit un service ; ce qu’on n’avait encore osé faire, parce qu’on craignait le duc de Bourgogne. Le roi y assista dans un oratoire, sans être vêtu de deuil. L’oraison funèbre fut prononcée avec un applaudissement universel, par Jean Gerson, chancelier et docteur célèbre en l’université de Paris, homme fort éloquent pour ce siècle et très opposé au duc de Bourgogne, parce qu’il ne pouvait souffrir l’audace avec laquelle il soutenait son crime.
Le duc de Berry fit prévôt de Paris, Tanneguy du Châtel, autrefois fort ami du duc de Bourgogne, et alors son ennemi déclaré, homme d’une extrême hardiesse, et qui avait fait de grandes actions à la guerre. D’abord il désarma les Parisiens et leur ôta les chaînes des rues. Ceux du parti du duc de Bourgogne qui avaient tant tourmenté les Orléanais furent à leur tour durement traités. Le roi de Sicile renvoya avec mépris Catherine, fille du duc de Bourgogne, que son fils devait épouser.
Charles donna au Dauphin le gouvernement du royaume (1414). Le duc de Berri le trouvant mauvais à cause de la jeunesse du prince, en porta ses plaintes au parlement. Cette compagnie répondit que cette affaire ne le regardait pas, et que c’était au roi d’en ordonner par l’avis de son grand conseil : c’est ainsi qu’on appelait le conseil du roi.
Charles marcha ensuite avec le Dauphin contre le duc de Bourgogne, et prit en passant Soissons, qui tenait pour le duc. Il prit aussi Bapaume ; et comme il assiégeait Arras, la comtesse de Hainaut, sœur du duc de Bourgogne, vint trouver le roi, gagna le Dauphin et fit la paix. Elle fut peu avantageuse au duc, qui fut obligé de rendre Arras, et dans le pardon accordé à ceux de son parti, cinq cents furent exceptés ; mais elle fut glorieuse au roi, et nécessaire à l’État, parce qu’on avait sujet de craindre les Anglais. La trêve avec l’Angleterre étant près d’expirer, Henri envoya une ambassade à Paris, pour demander en mariage Catherine, fille aînée du roi, et faire des propositions de paix (1415). Charles se trouva obligé par là à envoyer l’archevêque de Bourges ambassadeur en Angleterre, pour témoigner qu’il serait bien aise que le mariage de sa fille servit à unir les deux couronnes. Lorsque Henri donna audience au prélat, il chargea l’archevêque de Cantorbéry de déclarer de sa part qu’avec la fille du roi il voulait avoir en pleine souveraineté la Normandie, la Guienne, et tout ce que les Anglais avaient autrefois possédé en France, sinon que la guerre serait immortelle, et qu’il n’y mettrait jamais de fin jusqu’à ce qu’il eût chassé le roi de son royaume. La division de nos princes et leurs haines irréconciliables inspiraient cette fierté aux Anglais.
L’archevêque répondit qu’il était étonné qu’on lui fit de si étranges demandes ; que le roi son maître voulait la paix, mais qu’il ne craignait pas la guerre, et que Henri, qui le menaçait de le chasser de son royaume, se verrait lui-même chassé de tontes les terres qu’il possédait dans la domination française. Après avoir fait cette réponse, il demanda son congé et s’en retourna.
Le roi d’Angleterre descendit en Normandie avec une grande armée, et après un long siège il prit Harfleur, place forte à l’embouchure de la Seine, qui, par cette situation, était comme la clef de la Normandie. Charles convoqua sa noblesse, et donna rendez-vous à toute l’armée à Rouen, où il alla avec le Dauphin. Il manda aussi au duc de Bourgogne d’envoyer ses troupes. Ceux qui gouvernaient ne pouvaient souffrir qu’il fût appelé lui-même, ou qu’il approchât du roi, de peur que sa puissance ne nuisit à leur crédit. D’ailleurs on avait lieu d’appréhender les mauvais desseins d’un prince si turbulent et si dangereux. Il répondit qu’il était prêt de venir conduire lui-même ses troupes à l’armée royale, mais non pas de les envoyer.
Cependant il venait de tous côtés au roi des gens de guerre, et les Anglais, épouvantés de voir marcher contre eux une armée beaucoup plus grande que la leur, ne songeaient qu’à gagner Calais ; mais les défilés les embarrassaient, et ils manquaient de toutes choses. Ils n’étaient pas moins en peine comment ils feraient pour passer la Somme. Nos gens gardaient le passage de Blanquetaque avec tant de troupes, qu’il n’y avait aucune apparence qu’on pût les chasser; mais eux-mêmes s’imaginant que les Anglais avaient passé en un autre endroit, abandonnèrent leur poste et leur laissèrent la rivière.
Les deux armées se rencontrèrent à Azincourt, dans un endroit fort serré. Les Français allaient dispersés deçà et delà sans aucune précaution, méprisant le petit nombre des Anglais ; mais dans des lieux si étroits ils étaient incommodés par leur multitude. Notre gendarmerie était tellement serrée, qu’à peine pouvaient-ils mettre l’épée à la main : ils étaient aussi très-fatigués d’avoir passé à cheval toute la nuit et d’être pesamment armés. Les archers qui étaient au nombre de dix mille, et qui eussent fait un grand effet dans un espace plus considérable, ne pouvaient alors s’étendre pour tirer.
En cet état, le roi d’Angleterre chargea, la cavalerie en désordre se renversa sur l’avant-garde, et celle-ci sur l’arrière-garde. Toute l’armée fut ébranlée ; chacun abandonna son rang, sans être retenu par la honte ni par le respect des chefs : ainsi en un moment tout fut mis en déroute. Le connétable d’Albret et les deux frères du duc de Bourgogne, l’un duc de Brabant, et l’autre comte de Nevers, furent tués avec beaucoup d’autres princes et de grands seigneurs. Henri fut en grand péril dans ce combat ; car comme le duc d’Alençon allait tuer le duc d’York, qu’il avait blessé et porté par terre, Henri accourut au secours de son oncle ; le duc d’Alençon le frappa sur la tête et lui abattit la moitié de sa couronne. En même temps, les gardes se jetèrent sur lui, et, comme il voulait se rendre, il fut percé de plusieurs coups. Plusieurs seigneurs de marque périrent dans le combat ; mais il y en eut beaucoup davantage d’égorgés ensuite.
Henri voyant, après la déroute, quelques gros des nôtres qui faisaient mine de vouloir renouveler le combat, commanda que chacun tuât ses prisonniers. Là il se fit un grand carnage de nos gens désarmés, qui imploraient en vain la pitié et la bonne foi des victorieux. Les Anglais, après que la victoire leur fut assurée, en dépouillant les morts trouvèrent le duc d’Orléans fort blessé et à demi mort. Le roi d’Angleterre ayant vu les prisonniers à Calais, leur déclara qu’il croyait devoir sa victoire aux châtiments que Dieu avait voulu faire de tous leurs excès, car ils n’avaient épargné ni les choses saintes ni les profanes, et il n’y avait aucune sorte de crimes qu’ils n’eussent commis.
Le duc de Bourgogne apprit à Dijon la mort de ses deux frères, dont il parut se consoler par la prison du duc d’Orléans, par la mort du connétable et celle des autres princes, dont la plupart étaient ses ennemis. Il offrit cependant de se joindre à Charles avec trente mille hommes, pour venger la mort et l’affront de la France ; mais ceux qui gouvernaient les affaires firent renouveler, pour l’éloigner de la cour, les défenses faites aux princes de s’approcher de Paris ; et comme il hésitait s’il obéirait, le Dauphin en vint contre lui jusqu’aux menaces : ce qui ne l’empêcha pas de venir ravager les environs de Paris et de piller la ville de Lagny ; mais les troupes du roi l’obligèrent de se retirer honteusement dans son comté d’Artois. Etant ainsi retiré en France, il fit défier le roi d’Angleterre à un combat, et lui envoya son gantelet, selon la coutume du temps.
Henri fit tout ce qu’il put pour la calmer, et répondit que ce n’était point ses gens qui avaient tué ses deux frères ; qu’il s’en prit plutôt aux Français, par la main desquels ils étaient morts ; qu’au reste, il ne s’enorgueillissait point de la victoire que Dieu lui avait donnée, et qu’il ne voulait en rien se comparer à un aussi grand prince que le duc de Bourgogne. Ainsi, par de douces paroles, il entretenait les divisions de la France et apaisait la colère de ce prince, qui, possédé d’un esprit d’ambition et du désir de la vengeance, conclut, quelque temps après, un traité avec l’Angleterre. Cependant le Dauphin Louis mourut eu 1415, fort peu regretté des Français, parce qu’ils le voyaient toujours s’enfermer dans les lieux les plus retirés du palais avec quelques-uns de ses domestiques, comme s’il eût évité la société et la vue des hommes, d’ailleurs, ils craignaient ses débauches, sa fierté, son humeur particulière, et son esprit rude et difficile.
Pendant ces troubles, l’empereur Sigismond travaillait à mettre fin au schisme, avec le secours des rois et principalement de Charles. Pour cela, il se tenait un concile général à Constance. Jean XXIII, qui avait succédé à Alexandre V, et que la plus grande partie de la chrétienté reconnaissait, avait convoqué solennellement cette assemblée, et avait promis de s’y soumettre. L’empereur y assistait en personne et avait entrepris de finir cette affaire : il craignait que par l’élection d’un nouveau Pape les divisions des Chrétiens ne s’accrussent, comme il était arrivé à Pise. Afin donc d’avoir le consentement de toutes les nations chrétiennes, il fit un voyage en Aragon, pour obliger le roi à se soumettre au concile et au Pape qui y serait élu, en abandonnant Benoît, à qui il obéissait.
Il passa par la France, où il fut reçu avec tous les honneurs dus à un si grand prince (1416). Il alla au parlement de Paris, où le roi voulut bien qu’il tînt sa place ; ce qui, cependant, fut trouvé fort mauvais. Ce jour-là il s’agissait d’une terre que personne ne pouvait posséder, s’il n’était chevalier. Comme un gentilhomme qui la demandait ne l’était pas, et qu’il allait perdre son procès, Sigismond le fit approcher, et l’ayant fait chevalier en pleine audience, il lui fit ensuite adjuger la terre.
Le conseil du roi trouva cette action trop hardie : on disait que c’était faire un acte de souverain, ce que l’empereur ne devait pas entreprendre dans un royaume étranger, et on blâma le parlement de l’avoir souffert ; mais ceux qui parlaient ainsi ne faisaient pas réflexion que ce n’était pas le roi seul qui faisait des chevaliers, et que dans son royaume les princes français ou ceux qui étaient à la tête des armées, et quelquefois même les reines, donnaient l’ordre de chevalerie ; aussi fut-on attentif à ne pas permettre à l’empereur de faire des actes de juridiction impériale sur les terres de France. Lorsqu’il voulut à Lyon créer duc Amé, comte de Savoie, les officiers du roi s’y opposèrent et l’obligèrent d’aller faire cette cérémonie à Chambéry.
Sigismond ayant demeuré quelque temps à la cour de France, alla ensuite à Calais pour traiter avec le roi d’Angleterre de la paix des deux royaumes. Les Français rejetèrent ses propositions et ne voulurent pas même consentir à une trêve. Ils n’en veillèrent pas pour cela avec plus de soin aux affaires de la guerre, et perdirent l’occasion de reprendre Harfleur qui manquait de toutes choses. Cependant le duc de Bourgogne, suivant ses premiers desseins, avait toujours dans l’esprit de se rendre maître de Paris, de la personne du roi et des affaires. Comme il méditait ces choses, il se présenta une occasion de soutenir les Parisiens qui penchaient déjà beaucoup de son côté, on mit de nouveaux impôts par lesquels les esprits des peuples furent irrités plus que jamais contre le conseil du roi.
Les esprits étant aigris, le duc fit si bien par ses émissaires, que ceux de sa faction résolurent de se saisir de la personne du roi, de tuer la reine, le duc de Berry, le roi de Sicile, et en fin tous ceux qui gouvernaient. Ils choisirent le vendredi saint pour exécuter ce détestable projet, tant le respect des lois et de la religion était anéanti dans leur esprit. Dieu en ordonna autrement : l’entreprise fut découverte, et les auteurs de la sédition furent punis. Peu de temps après, Jean, duc de Berry, mourut, et donna lieu au duc de Bourgogne de prétendre plus ouvertement au gouvernement de l’État. Il alla à Calais, sous prétexte d’y visiter l’empereur et de lui rendre hommage du comté de Bourgogne ; mais son dessein était de faire un accord secret avec le roi d’Angleterre. En même temps, pour ne rien oublier, il fit sa paix avec Jean, devenu Dauphin par la mort de Louis, son frère aîné ; il ne comprit pas dans ce traité le roi de Sicile, avec qui il ne voulait aucun accord, se ressouvenant toujours de l’injure qu’il lui avait faite de lui renvoyer sa fille.
Sigismond, voyant qu’il ne pouvait venir à bout de faire la paix entre les deux rois, continua son voyage et retourna à Constance. Ce fut alors qu’en passant par Lyon il y voulut faire duc le comte de Savoie, comme nous l’avons remarqué. Le Dauphin Jean mourut, et les mesures du duc de Bourgogne furent rompues. Ses espérances étant ruinées de ce côté-là, il se prépara de nouveau à faire la guerre. Il écrivit aux villes des lettres, par lesquelles il s’obligeait, si on se joignait à lui, à modérer les impôts, à rétablir le commerce, à réformer les abus, et à toutes les autres choses qu’ont accoutumé de promettre ceux qui veulent faire servir le prétexte du bien public à leurs intérêts.
Châlons, Reims, Chartres, Troyes, et beaucoup d’autres villes importantes se rendirent à lui. Ses partisans faisaient des séditions et des meurtres partout, et il n’y avait point de ville qui ne fût troublée par des divisions cruelles : tout était permis à ceux qui se déclaraient Bourguignons, et sous le nom d’Armagnac chacun se défaisait de son ennemi. C’est ainsi que la France déchirait elle-même ses entrailles.
Sur ces entrefaites, Louis, roi de Sicile, mourut, et la puissance du duc fut augmentée, parce qu’il n’avait plus de concurrent dans la famille royale. Toute l’autorité était entre les mains du comte d’Armagnac, homme de résolution, mais très-odieux au peuple, à cause des impôts excessifs qui se levaient. Toutes les villes autour de Paris se rendirent au duc de Bourgogne, qui déclara alors que le gouvernement appartenait à lui seul, à cause de l’empêchement du roi (car c’est ainsi qu’on parlait de sa frénésie) et du bas âge de Charles, Dauphin, qui avait à peine quatorze ans.
Les Anglais, voulant profiter des divisions de la France, descendirent en Normandie avec cinquante mille hommes. Les Français alors furent fort fâchés d’avoir laissé échapper l’occasion de faire la paix, et voulurent y travailler par toutes sortes de moyens ; mais les Anglais, voyant que la France se détruisait elle-même de ses propres mains, ne se contentèrent plus d’une partie du royaume, et croyaient déjà posséder le tout. Ils prirent Honfleur et Caen avec quelques autres places de Normandie.
Le comte d’Armagnac les laissait faire, et ne résistait qu’au duc de Bourgogne, qui, de son côté, ne songeait ni à repousser l’ennemi, ni à défendre sa patrie, mais à gagner des villes, et fomenter des séditions, et à augmenter, autant qu’il pouvait, les forces de son parti. Dans ce dessein, il se joignit à la reine ; Charles l’avait reléguée à Tours, et avait fait noyer un gentilhomme avec lequel on prétendait qu’elle avait plus de familiarité qu’il ne convenait. Jean donna à cette princesse le moyen de s’échapper des mains de ses gardes : il favorisa sa retraite, et la conduisit à Chartres. Il tâche ensuite d’entrer par force dans Paris ; mais il n’était pas aisé d’abattre le comte d’Armagnac, qui savait se défendre et qui avait pour lui le nom et l’autorité du roi. Ainsi le duc fut repoussé et se retira à Troyes, d’où la reine écrivit aux bonnes villes, comme régente du royaume. Elle fit connétable Charles, duc de Lorraine, et se saisit de tous les revenus du roi. Parmi ces divisions, les Anglais, qui ne trouvaient rien qui s’opposât à leurs conquêtes, prirent Évreux, Falaise Bayeux, Lisieux, Avranches, Coutances et quelques autres villes.
Cependant l’empereur, comme nous venons de le dire plus haut, était retourné à Constance, et avait si bien fait connaître partout l’autorité du concile, que tous les Chrétiens étaient d’accord de s’y soumettre. Les choses étant en cet état, les Pères élurent pour Pape Martin V, et ce schisme déplorable et scandaleux qui, durant l’espace de quarante ans, avait causé tant de maux à la chrétienté, fut heureusement fini (1418). Comme les Français avaient beaucoup contribué à la paix de l’Eglise, le Pape voulut aussi contribuer à celle de la France, et envoya deux cardinaux pour traiter l’accommodement entre le roi et le duc de Bourgogne. Le traité fut conclu, et la paix publiée malgré le comte d’Armagnac, qui s’y opposa pour son malheur. Le parti du duc de Bourgogne se fortifiait tous les jours, et enfin on lui ouvrit une porte par laquelle ayant fait entrer ses gens, il se rendit maître de Paris.
Les factieux allèrent droit à l’hôtel Saint-Paul, où le roi logeait, et l’emmenèrent au Louvre, où ils mirent bonne garnison. Il se seraient assurés du Dauphin, si Tanneguy du Châtel ne les eût prévenus et n’eût pris ce jeune prince entre ses bras, tout endormi, pour l’enlever hors de Paris. Le peuple mutiné fit un carnage effroyable des Armagnacs : on ne voulait pas même leur donner la sépulture. C’était, disait-on, des excommuniés, parce que le connétable avait suivi le parti de Benoît XIII. Pour lui, il se réfugia chez un bourgeois.
Lorsqu’on eut publié à son de trompe un ordre à quiconque le recèlerait de le rendre, sur peine de la vie, celui chez qui il s’était caché le découvrit : il fut tué aussitôt après avec Henri de Marle, chancelier de France. La reine entra dans Paris accompagnée du duc de Bourgogne, et envoya inviter le Dauphin de venir demeurer avec elle. II lui répondit qu’il lui rendrait toute sorte de respect, mais qu’il ne pouvait se résoudre à rentrer dans une ville souillée de tant de crimes, et encore toute sanglante du meurtre de tant de grands personnages. Le duc de Bourgogne lui-même n’était plus le maître du peuple qu’il avait ému. C’est ainsi qu’une populace, qui a une fois rejeté le frein de l’obéissance, s’emporte comme un cheval indompté, et devient redoutable même à ceux qui l’ont excitée.
Le duc de Bourgogne, qui s’était chargé de gouverner l’Etat, demeura à Paris avec le roi et la reine. Le Dauphin de son côté, s’étant retiré à Tours, résolut de faire la guerre au duc de Bourgogne, par le conseil de Tanneguy du Châtel, et il prit la qualité de régent. Les Anglais continuèrent la conquête de la Normandie et assiégèrent Rouen. Ceux de dedans étant fort pressés, ils envoyèrent demander du secours au duc de Bourgogne, et faute d’être assistés, ils songèrent à capituler. Comme le roi d’Angleterre ne les voulut recevoir qu’à discrétion, ils résolurent de faire une brèche à leurs murailles, de sortir ensuite de la ville avec leurs femmes et leurs enfants, et de passer au travers du camp ennemi après avoir mis le feu dans leur ville. Henri étant averti de cette résolution désespérée, les reçut à composition avec des conditions honnêtes.
(1419) Après la prise d’une ville si fameuse, les Anglais se persuadèrent qu’ils pourraient faire une paix aussi avantageuse qu’ils voudraient. On négocia une entrevue des deux rois. Le roi d’Angleterre devait s’avancer à Mantes, et celui de France à Pontoise ; Meulan, qui est entre ces deux villes, fut choisie pour être le lieu de la conférence. Charles ne s’y put point trouver, à cause qu’il était malade, et la reine vint à sa place. Elle eut toujours le premier rang, en quelque lieu qu’elle fût, même chez elle.
Henri souhaitait avec ardeur d’avoir en mariage Catherine, dont la beauté l’avait touché. Les Français offrirent de remettre les affaires au même état qu’elles étaient par le traité de Brétigny. Les Anglais ne voulurent point recevoir ces offres, et firent de si injustes propositions, que le duc de Bourgogne ne pouvait plus supporter leur orgueil. Il fut impossible de rien conclure, à cause principalement que beaucoup de places que les Anglais demandaient et qu’on leur offrait, étaient entre les mains du Dauphin. Ce prince voyant qu’on traitait de la paix avec l’Angleterre, pour empêcher l’accommodement fit aussi faire des propositions de sa part au duc de Bourgogne, et il lui envoya Tanneguy du Châtel pour l’inviter à une conférence. Elle se fit en pleine campagne, et les deux princes jurèrent une paix éternelle.
Peu de temps après la conférence de Meulan, les Anglais prirent Pontoise. Le Dauphin renvoya Tanneguy du Châtel à Troyes, pour inviter le duc de Bourgogne à une nouvelle conférence à Moutereau-sur-Yonne. Jean hésita longtemps s’il irait ; mais enfin il s’y résolut. Comme il en approchait, il rencontra quelques-uns de ses gens, qui lui dirent que tout était trop avantageux pour le Dauphin au lieu de la conférence, et qu’ils ne lui conseillaient pas de s’y exposer. Il s’arrêta et tint conseil, où les uns étaient d’avis qu’il passât outre, et les autres l’en détournaient. Il ne savait à quoi se résoudre, enfin il s’écria qu’il ne pouvait croire qu’un Dauphin de France, héritier d’une si grande couronne, fût capable de manquer de parole et de faire une méchante action. Il ajouta que quand il devrait périr, il aimait mieux la mort, que de donner lieu par ses défiances à renouveler les divisions du royaume.
La dame de Giac, qu’il aimait et qui était en sa compagnie, l’encourageait fort et le pressait d’aller à la conférence. Enfin étant arrivé à Montereau, on lui livra le château pour sa sûreté. Après y avoir laissé la plus grande partie de sa suite, il continua son chemin avec peu de monde. Aussitôt qu’il eut passé la première barrière, Tanneguy vint à lui, et lui dit avec un visage riant que Monseigneur l’attendait, tout prêt à le recevoir. Il passa une autre barrière, et l’ayant vu fermer à clef, il eut peur. Il dit alors en regardant les siens et touchant sur l’épaule de Tanneguy : « Voilà en qui je me fie. » Lorsqu’il se fut approché du Dauphin, il le salua fort profondément, et se mit à genoux devant lui selon la coutume.
Le Dauphin le regardant avec mépris, ne lui dit rien que de dur ; un gentilhomme lui cria rudement : « Levez-vous, vous n’êtes que trop respectueux. » Comme il se releva, il ne trouva pas son épée à son gré, et y ayant mis la main, quelqu’un s’écria encore : « Quoi ! l’épée à la main devant Monseigneur ? » En même temps Tanneguy donna le signal, et lui abattit le menton d’un coup de hache ; les autres l’achevèrent. Archambaud de Foix, sieur de Noailles en Bigorre, et frère du captal de Buch, voulut défendre le duc et fut tué avec lui. Ainsi mourut un méchant prince par une méchante action, qu’on doit regarder comme un effet de la Justice de Dieu, qui avait différé jusqu’à ce temps la punition du détestable assassinat commis douze ans auparavant eu la personne du duc d’Orléans.
On dit qu’il avait été trahi par sa propre maîtresse. Ce qui donnait lieu à ce soupçon, c’est qu’elle avait été trouver le Dauphin quelque temps avant la mort du duc, et s’était retirée auprès de lui après sa mort. Ce qui doit apprendre aux princes combien peu ils doivent se fier à ces sortes de personnes. Après une si horrible perfidie, le Dauphin, pour se justifier, écrivit aux villes que le duc lui avait parlé insolemment, et qu’il avait même voulu mettre l’épée à la main en sa présence ; ce qui avait obligé ses gens à le tuer.
Quelque soin que l’on prît de déguiser une si mauvaise action, elle fut détestée de tout le peuple. On eut en horreur les conseillers du Dauphin, qui avaient abusé de sa facilité et de sa jeunesse pour lui faire violer la foi publique par un meurtre si abominable, lui que sa naissance obligeait plus que personne à la respecter. Le roi, poussé par sa femme, condamna par un édit le crime de son fils, et défendit à toutes les villes de lui obéir.
Philippe, appelé le Bon, fils et successeur de Jean, vint demander justice au roi (1420), et eut permission de s’accommoder avec le roi d’Angleterre, pour venger la mort de son père. Après avoir fait son accommodement particulier, il fit celui de la France avec l’Angleterre, avec le secours de la reine, en moyennant le mariage de Henri avec Catherine. Par cet accord, Charles déclara le Dauphin indigne de sa succession à cause de l’assassinat qu’il avait commis ; il établit le roi d’Angleterre régent du royaume, et lui donna le gouvernement des affaires dont son empêchement ordinaire ne lui permettait pas de prendre soin ; enfin il le reconnut pour successeur, laissant aussi la couronne à ses enfants, quand même il n’en aurait pas de Catherine.
On ne peut ici s’empêcher de déplorer la condition de la France. Son roi appelle les étrangers, anciens ennemis du nom français, et les rend maîtres du royaume au préjudice de son fils. Le duc de Bourgogne, prince du sang, qui avait un droit si proche à la couronne, ôte ce droit à sa maison, pour le donner à une main étrangère, et procure lui-même la confirmation authentique de l’injustice qu’on lui faisait. Au reste, les bons Français qui savaient les lois anciennes de la monarchie ne furent point ébranlés par cette disposition du roi ; ils savaient qu’il n’avait pas le pouvoir de disposer de son royaume en faveur des étrangers contre les lois fondamentales de l’État ; et d’ailleurs il paraissait très-déraisonnable que Charles, qui n’était pas en état de gouverner son royaume, fût en état de le donner.
Après le mariage accompli, on vit le roi et la reine abandonnés de tout le monde, et n’ayant auprès d’eux que quelques vieux domestiques pour les servir, pendant que tout le pouvoir et tout l’honneur de la royauté étaient entre les mains du roi et de la reine d’Angleterre, et que les villes venaient tous les jours leur rendre hommage. Le Dauphin fut appelé à la table de marbre, pour le meurtre du duc de Bourgogne, et déclaré, par arrêt du parlement, incapable de succéder au royaume. Il appela de cet arrêt à la pointe de son épée, c’est-à-dire qu’il prétendait soutenir son droit par les armes.
Henri passa en Angleterre (1421) pour en ramener des hommes et de l’argent. Le duc de Clarence, son frère, qu’il avait laissé gouverneur de Normandie, s’étant avancé en Anjou, pour combattre les Dauphinois, fut battu et tué avec le duc de Sommerset et beaucoup d’autres seigneurs. Philippe, duc de Bourgogne, combattit plus heureusement : les Dauphinois eurent d’abord l’avantage ; mais le duc, ayant rallié cinq cents chevaux, rétablit le combat et mit les ennemis en déroute, après avoir pris deux chevaliers de sa propre main.
Henri, à son retour d’Angleterre avec vingt-quatre mille archers et quatre mille chevaux, prit Meaux après un long siège. Catherine, sa femme accoucha d’un fils ; mais ce roi fortuné et si glorieux tomba malade peu de temps après, au grand regret de tous les siens, mourut (1422) au milieu de ses victoires et dans la force de son âge, pendant qu’il songeait à conquérir les restes de la France, qu’il tenait déjà presque toute. Lorsqu’il sentit approcher sa dernière heure, il ordonna du gouvernement des deux royaumes, et recommanda, sur toutes choses, à ceux à qui il laissait l’autorité, de ne fâcher jamais le duc de Bourgogne, et de ne point rompre avec lui pour quelque considération que ce fût, parce que toute la guerre de France dépendait de l’amitié et de la fidélité de ce prince.
La mort de Henri fut bientôt suivie de celle de Charles. Il mourut à Paris, le 21 octobre 1422, aussi malheureusement qu’il avait vécu. Dans l’abandon où il demeura, il ne conserva aucun reste de sa première majesté. Charles, son fils et son successeur légitime, était éloigné. Sa pompe funèbre fut déplorable en tout : on n’y vit point paraître les princes du sang en deuil, suivant la coutume ; la plupart étaient prisonniers en Angleterre, les autres étaient dispersés deçà et delà, ayant en horreur la domination étrangère. On voyait en leur place un prince étranger, c’est-à-dire le duc de Bethfort, frère du roi d’Angleterre défunt, qui se disait régent du royaume.
A la fin du service de Charles, on entendit avec douleur crier un héraut : « Dieu fasse paix à l’âme de Charles VI, roi de France ; Dieu donne bonne vie à Henri VI, roi de France et d’Angleterre, notre souverain seigneur. » Tous les bons Français gémissaient d’entendre nommer un étranger au lieu du légitime héritier de la couronne, comme si on eût enterré avec le roi toute la maison royale. Chacun avait l’esprit occupé des malheurs où la France était plongée, et les maux qui la menaçaient paraissaient encore plus grands que ceux qu’elle avait soufferts.
Commentaire de la rédaction :
Les descriptions des règnes deviennent de plus en plus longes et précises au fur et à mesure qu’on se rapproche du temps de la rédaction : à la fin du XVII seul trois siècles nous séparent du règne de Charles VI, comme trois siècles nous séparent du XVIIIe, qui fonde encore, pour notre malheur, notre temps révolutionnaire.
De même, la France connut sous Charles VI une grande et profonde crise, et Bossuet prend son temps pour exposer un moment si important pour la France et ses rois.
Bossuet a le talent très chrétien de présenter les faits sans fards, et pour l’utilité maximale du Dauphin, pour qu’il en prenne des enseignements, que ce soit par des modèles ou des contre-modèles.
Nous nous rendons compte combien des passions humaines et un manque de vie chrétienne vient comme causer maux sur maux, que ce soit dans les dissensions politiques internes, et la vengeance inconsidérée sur Clisson, ou les jalousies qui conduisent à l’échec en Hongrie, ou encore une crainte excessive du roi de se faire attaquer, ce qui provoque sa première crise – et qui montre l’ambiance délétère à la Cour dans ces temps-là.
On semble oublier que la charité prime sur la justice, et que la justice, surtout des grands, quand elle est trop pointilleuse témoigne plutôt d’un excès d’amour propre et de désirs de vengeance par orgueil plus qu’un véritable désir de justice…
La France était grande, le Roi le premier souverain de la chrétienté, et le pays en paix et prospère : les catastrophes qui se succèdent sont avant tout dûes à des péchés sans repentance et des persévérances de haines et de jalousie.
La « folie » du Prince peut témoigner de cet état de fait : manquant de vie chrétienne, mais tout de même très chrétien, n’aurait-il pas été accablé par toutes ces intrigues politiques, et le poids formidable de la charge royale, poids dont un souverain chrétien ne peut qu’avoir conscience (là où un souverain païen soit l’évacue en la déléguant et en se responsabilisant, soit la fait disparaître en décrétant que le bien commun c’est lui et c’est qu’il décide, se croyant avant l’heure comme dans un jeu vidéo où on peut faire ce qu’on veut sans conséquences). Un Charles VI, peut-être plus faible dans la foi que son prédécesseur ou ses aïeux, fut peut-être accablé de ce poids et de cette crainte, qu’une douce confiance en Dieu et une profonde vie de prière devrait pourtant apaiser… Dieu lui a certainement fait la grâce de le rendre « fou », pour le sauver, et pour punir ses serviteurs de tant de méchanceté, tout en demandant au peuple français de se repentir et de réparer toutes ces fautes… Jeanne d’Arc, en ce sens, est le sommet de cette grâce donné par Dieu, puisqu’où abonde le mal surabonde le bien ; et cela permit de reconfirmer l’élection.
Alors dans nos temps difficiles, souvenons-nous de ces temps passés, aussi difficiles. Certes, aujourd’hui toutes les structures fondamentales de la nature politique de notre royaume sont niés : on nie l’autorité, on nie l’obéissance, on nie « l’esprit collectif », à vue humaine on voit mal comment cela ne peut pas se finir par de grands troubles, qui nous forceront à retrouver un semblant de respect de la loi naturelle, pour nous permettre, par la grâce, de retrouver le profond esprit de sacrifice chrétien.
Bref, la paix anglais inespéré et une certaine prospérité vienne comme souligner combien les catastrophes qui se préparent viennent de la faute des français, oublieux des promesses du baptême de Clovis… Mais Dieu est fidèle dans ses promesses.
L’époque est en tout cas édifiante pour nos temps, sous plusieurs aspects.
L’illégitimité du nouveau roi d’Angleterre va convaincre son fils de continuer à usurper, non seulement le trône d’Angleterre, mais aussi le trône de France : comme quoi, le risque, quand on commence à mal agir, c’est d’agir toujours plus mal pour mieux cacher et justifier son illégitimité première… La République actuelle ne cesse de faire cela : illégitime dans son essence, elle est forcée d’être toujours plus violente pour justifier son existence.
La France sous Charles VI qui est un roi qui ne peut pas exercer produit comme une démocratie aristocratique complètement désordonnée, sans que le Roi ne puisse faire justice, ou la faire mal quand il est conscient, par faiblesse. Avec les schismes de l’Église qui s’approfondissent, l’Église ne parvient plus non plus à contenir le vieil homme des politiques, qui font peu à peu une course à l’ambition, à la païenne – quoique, ce qui est extraordinaire, avec lenteur, respectant encore les trêves, ne pouvant aller trop loin dans le scandale et le déshonneur, etc.
Enfin, nous avons un enseignement important : il ne faut jamais se venger, et rendre le mal pour nle mal (assassinat du duc d’Orléans), car ensuite un cercle vicieux s’enclenche, et le duc de Bourgogne s’enferre dans une logique d’autojustification délétère au point d’en faire un ambitieux tyran, qui vendra son âme à l’Angleterre…
Dieu devait bien aimer la France, pour permettre une chute si lente : entre sacrilèges pour des faux serments sur le saint-sacrement, les jalousie, colères et ambitions assumées, dans un esprit très peu chrétiens et le reste, le bon Dieu a quand même donné à la France du temps (le roi d’Angleterre respectant la trêve) : et Dieu a fait comme il fait aujourd’hui ; les français se sont punis tout seul par leurs propres péchés, et par l’orgueil d’une démocratie aristocratique de très mauvais aloi.
On remarque aussi combien le système féodal permet de freiner la chute : les ambitions sont forcément entravées par les liens de fidélité, les forces des seigneurs qui continuent à être bien chrétiens et les multiples coutumes.
Soulignons que les anglais, aussi mauvais soient-ils, ne font que pousser leur avantage devant les haines et les divisions des français, et des princes de sang. Ils ont tous du sang royal, et profite de la sacralité du roi : quand ils oublient d’être chrétien, cela les convainc d’abuser de leur force sacrale…
Bossuet ne cache pas la réalité piteuse de ces temps, pour mieux souligner la main divine qui veille derrière les ingratitudes humaines, en éliminant quand il le faut les hommes les plus dangereux (comme le dauphin Louis). Les bouchers, Paris, le duc de Bourgogne, l’Angleterre montrent bien que les méchancetés humaines, la folie parisienne, la félonie anglaise, les divisions et la révolution ne sont pas nouvelles : simplement la révolution de l’époque ne pouvait pas aller contre la sacralité du roi, elle ne pouvait que vouloir l’utiliser…
Remercions enfin le bon Dieu d’avoir mis dans notre histoire ce passage obscur, car il permit la venue de Jeanne, et il permit de rendre encore plus éclatante les lois fondamentales du Royaume, qui nous permettent à nous aussi de reconnaître notre roi, sans que nous ne puissions jamais le choisir.
Le bon Dieu veille, et sachons que chaque péché que nous faisons, et plus ils sont gros, et plus ils deviennent gros du fait de la dignité dévolue (par exemple l’assassinat du duc de Bourgogne par le Dauphin), plus il va falloir faire pénitence, et si la pénitence n’est pas précédée par une réparation volontaire et une humiliation volontaire, alors Dieu enverra la punition : ici le traité de Troyes. La punition est bonne, puisqu’elle permet d’affermir la légitimité royale dans un contexte plus que difficile.