Social et économie

La débâcle

D’abord quelques craquements, puis le bruit de la glace qui se fissure et enfin le grondement des blocs qui s’entrechoquent ; la débâcle de la banquise non pérenne commence aux premiers jours du printemps, ou parfois plus tard lorsque l’hiver joue les prolongations.

Les craquements annonciateurs de la débâcle ne manquaient pas, désir d’indépendance de la Catalogne, euro oppressé sous le poids de la dette grecque, naufrage de Schengen, montée en puissance des « populistes » lors de l’élection du Parlement de Strasbourg… Au petit matin de la Saint Jean les craquements se muèrent en grondements et ce fut la débâcle, la dislocation de l’Union européenne éperonnée par un iceberg nommé « Brexit ».

Au lendemain du désastre, titre unique à la une des quotidiens « tout est à reconstruire ! ». Ce qui ne devrait pas demander trop de temps vu que, soixante ans après le traité de Rome les « Europes » sociale, fiscale, de l’énergie, de la défense, des Affaires étrangères, de la recherche… restent à construire faute de ne pas avoir préalablement défini l’identité européenne, ciment du « vivre ensemble ».

Pour les Européens unis le « vivre ensemble » se résume à entretenir des relations tarifiées entre vendeurs et acheteurs sur la place du grand marché ; il n’était pas possible d’espérer mieux en considérant les étapes de la construction européenne :

–          Mars 1957 – Le traité de Rome institue la Communauté économique européenne (CEE).

–          Mars 1979 – Création du Système monétaire européen (SME) avec l’Ecu (European Currency Unit).

–          Octobre 1991 – Création de l’Espace économique européen (EEE) qui regroupe les États de la CEE et ceux de l’Association européenne de libre-échange (AELE).

–          Février 1992 – Maastricht donne le coup d’envoi de l’Union économique et monétaire (UEM).

–          Janvier 2002 – Mise en circulation de la monnaie unique.

–          Janvier 2015 – Union bancaire européenne.

Quelques jours avant le scrutin du 23 juin, D. Tusk, président du Conseil de l’Europe se déclarait inquiet à l’idée d’un Brexit qui « marquerait le début de la destruction de l’UE mais aussi de la civilisation occidentale » ; en fonction de l’historique ci-dessus chacun appréciera les valeurs qui, selon ce Monsieur, fondent une civilisation.

Bien entendu le Brexit a et aura des conséquences sur le fonctionnement des institutions européennes, sur la défense communautaire, sur le système bancaire et les places financières.

À titre d’exemple, le projet de fusion dévoilé fin février 2016 entre le London Stock Exchange et la Deutsche Börse de Francfort stipule que le siège de la nouvelle entité sera à Londres.

Contestée dès l’origine par Paris et Rome, cette fusion l’est aujourd’hui par Berlin au motif que la première bourse d’Europe ne peut être dirigée depuis un siège extérieur à l’UE.

Néanmoins il importe de relativiser les choses ; d’abord parce que l’Angleterre est en dehors de la zone euro et ensuite parce que rien ne dit qu’elle ne restera pas membre de l’Espace économique européen.

À Bruxelles la priorité est de rompre au plus vite les amarres entre la grande île et le continent afin d’éviter la propagation du virus «exit » et de repartir sans tarder vers « plus d’Europe ». Avec l’assentiment de F. Hollande et M. Renzi qui souhaitent mutualiser leurs dettes souveraines au sein d’une Europe fédérale dotée de la cagnotte budgétaire allemande et celui de la chancelière suffisamment habile pour que Berlin devienne la capitale de l’Europe nouvelle, fondée sur l’euro « facteur essentiel de la convergence des économies et des niveaux de vie ».

Pour les fédéralistes le concept « plus d’Europe » repose sur le fait que, depuis les premières pièces métalliques frappées à Sardes au XIIe siècle avant J.C., l’histoire des monnaies montre qu’il n’y a jamais eu de séparation durable entre souverainetés monétaire et politique et pas de monnaie pérenne sans un État souverain qui en assure la garantie.

L’euro ne fait pas exception à la règle, reste donc à confier son avenir à un État souverain doté d’un Parlement, d’un budget spécifique, d’un ministère des Finances, d’un représentant unique au FMI et à la Banque mondiale.

À ce stade de l’exposé il me parait utile de reproduire ci-dessous quelques lignes de l’éditorial publié sous le titre « Inéluctable » dans le Cri du chouan d’août 2012 :

« La presse du 4 juin 2012 révélait que H.V. Rompuy, président du Conseil de l’Europe, J.M. Barroso, président de la Commission de Bruxelles, M. Draghi, président de la BCE et J.C. Juncker, président de l’Eurogroupe se mettaient discrètement au travail pour ébaucher le projet d’un ministère européen des Finances qui serait présenté au Conseil de l’Europe des 28 & 29 juin comme une première étape vers le futur gouvernement de l’Europe fédérale.

Globalement le projet des quatre présidents fut bien accueilli par les chefs d’État et de gouvernement présents au Conseil, d’autant plus que, fine mouche, A. Merkel coupait court à d’éventuelles objections en précisant qu’il s’agissait « d’une simple réflexion pour les cinq ou dix prochaines années »».

De fait rien ne pourrait être concrétisé avant les présidentielles et législatives de 2017 en Allemagne et en France. Après les élections européennes de 2014 le groupe de travail des quatre présidents se renforça avec l’arrivée de M. Schulz réélu le 1er juillet 2014 à la présidence du Parlement de Strasbourg. (Voir liste du « club des cinq » en fin d’édito.)

Afin de neutraliser les velléités centrifuges, le club des cinq rejettera sur le Brexit la responsabilité des maux qui accablent un demi-milliard d’Européens ; ensuite il communiquera sur le rôle bénéfique de l’euro pour l’ensemble de l’UE en insistant sur le fait que la pérennité de la monnaie unique exige qu’elle soit garantie par un État fédéral. Et enfin, quelques mois avant les élections européennes de 2019 il révèlera que « ça tombe à pic, nous avons déjà tout prévu ! » avec l’espoir que les bons peuples, émerveillés par la sage perspicacité de leurs élites, tomberont dans le panneau.

Tel sera le scénario scabreux conçu par le club des cinq qui, enfermé dans un splendide déni de réalité, persiste dans l’idée que le Brexit est la cause du divorce entre les peuples et l’Europe alors qu’il est la conséquence de la politique ultra libérale, réglementaire et arrogante d’une bureaucratie vassale des lobbies et des États-Unis.

Sur le plan de la monnaie, l’industrie de la finance a commencé sa révolution dans les années 70 grâce à de nouveaux instruments, produits dérivés, achat et vente à terme, titrisation, trading haute fréquence… avec pour conséquence un enrichissement monétaire sans production de richesses réelles. Ainsi les centaines de milliards € imprimés par la BCE pour relancer la croissance par l’inflation et l’investissement tournent en circuit fermé chez les industriels de la finance. Même la trouvaille des taux négatifs inventés par la BCE pour inciter les banques à produire du crédit auprès des entreprises reste sans effet sur l’investissement.

En résumé, d’un côté la finance n’est plus au service de l’économie et de l’autre l’Europe ne parvient pas à mettre sur pied une politique économique au service de l’intérêt général, faute de dirigeants doués « des valeurs de fond morales et élevées qui ne soient pas manipulables par des intérêts étroits et qui répondent à la nature immuable et transcendante de l’être humain ». (Benoit XVI, mars 2012 à Cuba). Immuables…, l’amour de la patrie et le lien avec les racines chrétiennes.

Il a bien fallu faire abstraction de « ces intérêts étroits » pour réconcilier la France et l’Allemagne sans lesquelles l’idée d’Union européenne ne serait pas concevable.

Or, que reste-t-il de l’amitié franco-allemande, quand à propos du pacte de stabilité,  F. Hollande mendie auprès de Bruxelles un délai de grâce pour ramener le déficit budgétaire du pays sous la barre des 3% du PIB inscrite au traité de Maastricht pendant que W. Schäuble exhorte la Commission à faire respecter les termes dudit traité ?

Et encore lorsque Bercy se réjouit d’emprunter à des taux proches de zéro pour financer les promesses électorales du président-candidat à l’heure où les autorités budgétaires allemandes critiquent la politique monétaire de la BCE ?

Si en 2017, la France et l’Allemagne ne portent pas au pouvoir des politiciens capables de surmonter les égoïstes divergences actuelles en se référant aux valeurs rappelées par Benoit XVI, il y a lieu de penser que l’Allemagne pourrait être le prochain pays à quitter l’UE.

Pierre Jeanthon

(1)    Club des cinq (nom de code d’une association de malfaiteurs) :

D. Tusk, ex Premier ministre Polonais, pilier de l’OTAN, président du Conseil de l’Europe depuis août 2014

M. Schulz, président du Parlement de Strasbourg depuis janvier 2012

J. Dijsselbloem, ex ministre Hollandais des Finances, président de l’Eurogroupe depuis janvier 2013

Inutile de présenter Messieurs J.C. Juncker et M. Draghi, bien connus des services de police et respectivement présidents de la Commission de Bruxelles et de la BCE.

Ndlr : Vous pouvez vous abonner au Cri du Chouan (bimestriel) en écrivant à France Royaliste – 81, Rue Louis Calbry – La Bourg – 14690 Le Bô.

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