Chretienté/christianophobiePolitique

Religion et politique, par le R. P. Jean-François Thomas

Beaucoup de confusion règne autour des liens qui unissent, ou non, religion et politique. Encore davantage lorsqu’il s’agit de décider si un chrétien peut agir en politique tout en conservant et utilisant ses convictions religieuses. Le problème n’est pas nouveau car saint Paul déjà prend position et ses paroles ne sont pas forcément bien comprises lorsqu’il invitait le croyant à se détacher des affaires de ce monde. Le jésuite Leonardo Castellani, dans un texte de 1951, expose de façon claire et concise les tenants et les aboutissants de cette question qui a secoué au cours des siècles toute société chrétienne. Dans un contexte français républicain, l’entortillement est encore plus perfectionné puisque la valeur sacrée de « laïcité » ne souligne que les différences entre les ordres politiques et religieux, en refusant et en détruisant ce qui faisait leur union. Le jésuite argentin souligne que l’origine du problème est le « libéralisme démagogique » ou le « démocratisme », rappelant, au passage, que le protestantisme en est la cause. Il écrit :

« Les populations médiévales, au milieu de leur arriération, jouissaient explicitement et paisiblement d’un lien qui fait défaut aux populations modernes ; cette délicate synthèse n’était, au fond, rien d’autre que le dogme philosophique de l’hylémorphisme aristotélicien ; composition de la matière et de la forme, du corps et de l’âme, de la société et de l’État, de la politique et de la religion, et tout ce qui s’ensuit. La philosophie appelle cela “causalité réciproque”. La Réforme rompit cette synthèse. Pour le voir, il suffit de lire la lettre de Luther Von Weltiger Obrigkeit, datée de 1523. Luther était nominaliste en philosophie et simplet dans ses concepts ; il n’a jamais compris cet accord de la matière et de la forme ; ce faisant, il a brutalement scindé la religion et la politique, du moins en théorie. Quant à Calvin, qui avait vu la brutalité de cette coupure, il fit le contraire et les mélangea ». (« Politique et religion », dans la nouvelle édition 2023 du Verbe dans le sang).

L’origine du galimatias étant ainsi repérée, il faut bien reconnaître que l’émergence de la « démocratie » moderne n’a pas aidé certains chrétiens à résister contre l’esprit du temps. Les « démocrates-chrétiens » ont failli partout, tout simplement parce qu’ils se sont acoquinés uniquement avec le politique, prétendant, indument, qu’ils étaient aussi les « hérauts du christianisme » alors qu’ils se laissèrent rouler dans la farine du monde. En face, se dressent les partisans d’une politique hissée au rang de religion, politiques athées, absolues, idolâtres. Il y a aussi ceux qui, dans l’Église, réduisent le Corps mystique de Notre Seigneur à un parti politique ou à un simple moyen de mettre en œuvre leur politique. Ces dernières décennies furent fortement handicapées par cette dérive héritée du marxisme. Redonner à la religion toutes ses dimensions par rapport à la politique est une œuvre de salut public. Castellani précise :

« […] Soit la religion n’est rien, soit elle concerne toutes les activités humaines, et particulièrement celle qui dépend directement d’elle, qui est la morale, dont la politique représente une partie. La religion est une activité mentale dont l’objet est la vie même de l’homme, sa rectification substantielle et sa destination finale ; qu’on me dise s’il existe une seule activité humaine qui échappe complètement à cet objet, y compris travailler, manger, boire et s’amuser ; a fortiori, qu’on me dise comment pourrait y échapper l’ordonnancement de l’État en vue du bien commun, qui est le dessein du politique. »

La politique ne touche pas qu’aux choses strictement temporelles. Si tel était le cas, il serait normal de lui laisser les mains libres. Puisqu’elle s’arroge le droit de régenter des choses non temporelles, comme l’enseignement religieux, le mariage, le respect de la vie humaine etc., elle doit trouver devant elle et en son sein de catholiques qui la guident et l’inspirent. La scolastique avait bien vu que religion et politique était du même ordre que le lien entre forme et matière. La forme informe la matière sans l’écraser et sans se confondre avec elle : les deux ne font qu’un, tout en demeurant deux. Le même processus se réalise entre religion et politique. Donc pas de confusion entre politique et religion, et pas non plus de séparation radicale, ceci afin d’éviter les rêves libéraux, socialistes ou athées. D’où la nécessité de repousser les idéologies qui affirment que la religion est une affaire privée, que le prêtre doit demeurer dans la sacristie, que la morale ou les valeurs laïques peuvent remplacer la religion, que toutes les religions se valent puisque la vérité appartient au politique, que les catholiques ne sont pas différents des autres, et pas meilleurs en tout cas etc. Qu’il existe deux glaives ne signifie pas qu’ils ne se rencontrent jamais et qu’ils demeurent dans leur fourreau respectif. La riche histoire française des relations entre les rois et les papes prouve à quel point les deux pouvoirs sont non seulement imbriqués mais que les souverains, y compris lors des périodes les plus « gallicanes » ou sous la peine de l’excommunication, n’ont jamais considéré la politique comme pouvant s’émanciper du religieux, contrairement au régime républicain opposé à Dieu et au catholicisme. Robert le Pieux et Berthe de Bourgogne, au sein de leur mariage incestueux, acceptent la peine de sept ans de pénitence et reçoivent ensuite satisfaction de leur ascèse auprès du siège apostolique en 1003. Même en combattant le pouvoir régalien des papes, nos rois n’ont jamais songé abandonner ou trahir leurs convictions catholiques. Ils n’ont pas abouti à la conclusion que la religion était l’opium du peuple ou son asservissement.

À considérer toute forme politique comme étant du « monde », donc mauvais, le catholique prendrait le risque de ne pas être fidèle à sa mission qui est de tout ramener à Dieu, puisque tout vient de Lui. À rejeter comme impures toutes les actions politiques, il tournerait le dos à sa vocation qui est de tout résumer dans le Christ. Si nous croyons à la synthèse corps et âme, forme et matière, nous ne pouvons pas déchirer l’union légitime entre religion et politique. Encore faut-il distinguer sagement et prudemment entre choses temporelles et choses non temporelles. Laissons les premières sans regret à ceux qui les confondent avec la réalité. En revanche, ne lâchons rien sur le non temporel, comme nous l’ont montré les exemples éminents de bien des martyrs, des saints, tels saint Innocent Ier, sainte Catherine de Sienne, saint Ignace de Loyola et tant d’autres. Non point activisme politique désordonné, s’attaquant à tout ce qui bouge, mais tirs ciblés pour défendre ce qui n’est que du ciel et qu’aucun homme n’a le droit de toucher pour le défigurer. En sauvant l’âme, nous sauverons notre pays. Encore faut-il croire à l’âme, à sa vie propre. Comme l’écrivait Georges Bernanos : « Si les peuples deviennent fous, c’est que les prétendus sages sont trop bêtes. » (Lettre aux Anglais). Peu de choses appartiennent en propre à César en dehors de l’argent, création strictement humaine. Tout le reste doit retourner à Dieu.

P. Jean-François Thomas, s. j.

Une réflexion sur “Religion et politique, par le R. P. Jean-François Thomas

  • Très intéressant ce rappel du parallélisme entre religion et politique avec la forme et la matière. Pas de fusion ou de confusion entre les deux mais une proximité forte intégrée dans une dualité. La royauté capétienne a sans doute réussi l’équilibre le plus parfait entre la religion et la politique même si antérieurement cette proximité existait déjà comme dans l’Égypte ancienne par exemple ( cf. le livre de Serge Sauneron : les prêtres de l’ancienne Égypte – Seuil 1998). La modernité et a fortiori, la dite « post-modernité » ont voulu faire croire que la religion et la politique était sans rapport. On sait ici la fausseté et l’hypocrisie de cette posture puisque la république maçonnique a aussi ses prêtres cachés au fond des loges obscures. Je crois même que cette pseudo-religion a créé de toutes pièces ses « grands prêtres » que sont finalement des individus comme Soros ou Gates. Ils dominent ceux qui sont désignés comme « souverains » tels Biden, Macron, Trudeau et qui ne sont en fait que des hommes de paille. C’est peut-être la seule modernité véritable du rapport actuel de la religion et de la politique.

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