Politique

La Guyane, l’échec social de la Vème république ?

L’histoire de la Guyane est aussi mal connue que complexe, se conjuguant à la fois dans le passé et le présent. Ce département français d’Outre-mer, depuis 1946,  est secoué depuis plusieurs jours par des manifestations populaires inédites. En fond de toile de cette contestation, une situation économique, sociale et démographique croissante qui a mis le feu aux poudres dans ce territoire situé en Amérique du Sud. La Guyane est-elle aujourd’hui l’échec mis à nu de la politique ultramarine de la Vème république ?

C’est au XVIIème siècle, profitant d’une faille juridique dans le traité de Tordesillas de 1494 qui délimitait sur le continent sud-américain les frontières des possessions espagnoles et portugaises, que le roi Henri IV ordonne à une première expédition de débarquer sur les côtes de ce qui est l’actuel état brésilien du Pernambouc. Première incursion ambitieuse au sein d’un pays principalement peuplé d’amérindiens et qu’on allait baptiser lyriquement de « France équinoxiale ». Une tentative éphémère dont les portugais mettront une fin rapidement. C’est donc plus au Nord, sur l’île de Cayenne, que les français vont de nouveau se fixer en 1626 avant que la colonie ne devienne réellement une entité juridique sous le sceau de la couronne de France et sous l’impulsion du ministre Colbert, un demi-siècle plus tard. Les exportations de roucou, d’indigo, coton, canne à sucre, café, vanille ou bois exotiques permettent à la colonie de se développer. Introduit par des marchands Hollandais, venus des Pays-Bas qui tenteront à diverses reprises de s’emparer de la colonie française avec plus ou moins de succès, le commerce des esclaves va assurer le début d’une rente financière aux colons.

La révolution française inaugure les premières déportations de prêtres réfractaires, royalistes puis de tout opposant aux divers régimes politiques qui vont se succéder entre 1794 et 1805. La colonie est autant un mouroir naturel pour les prisonniers que pour les colons. Les maladies (notamment la malaria) déciment des populations entières et forge la réputation « d’enfert vert » de la colonie pourtant prospère. Le conventionnel André Pomme (1756-1842), directeur d’une ménagerie en Guyane est élu député de la colonie en 1792, peu après la chute de la monarchie. Ce montagnard va se relever redoutable. S’il abolit l’esclavage au nom de la République, il remplacera néanmoins les nouveaux affranchis dans les champs par des religieux belges et français. Le Consulat rétablira finalement l’esclavage dès 1802. Des milliers d’affranchis s’enfuient alors en Guyane hollandaise voisine et dont les descendants aujourd’hui peuplent principalement les berges du Maroni. Et si les planteurs trouvent dans la Restauration un soutien à leur politique coloniale, la monarchie de Juillet décidera en 1831 de donner des droits civiques à tous les hommes libres de couleur puis le 4 mars de la même année interdit sur le territoire national, la traite des esclaves. La résistance des colons et des contrebandiers est telle que le roi Louis-Philippe fait appliquer en Guyane la loi avec force. Les noirs saisis sur les bateaux négriers sont débarqués et affranchis sur place. Et le roi des français ira encore plus loin puisqu’en 1845, il octroie la possibilité aux esclaves de se constituer une épargne, grâce à la vente des produits issus de leurs petits abattis personnels, pour se racheter et obtenir leur liberté. La loi Mackau donnant même la possibilité aux esclaves d’avoir le droit à l’instruction.

La république récupérera  fallacieusement à son avantage les fruits de la monarchie des Orléans. Lorsque l’esclavage est aboli en 1848, l’économie de la Guyane s’effondre totalement. Il faut trouver une main d’œuvre de remplacement et c’est Napoléon III qui trouve la solution avec en 1852 la déportation institutionnalisée de forçats afin de combler ce besoin. Le bagne de Cayenne devient le symbole de la « guillotine sèche » et dont l’espérance de vie des bagnards ne dépassera pas les 5 ans.  Si le capitaine Dreyfus sera un des occupants célèbres de l’île du Diable, ce n’est qu’en 1935 que le bagne accueille son dernier prisonnier peu avant sa fermeture définitive.  Alors que des gisements aurifères sont découverts dans la colonie en 1855, c’est une véritable ruée vers l’or qui va durer jusqu’au déclenchement de la seconde guerre mondiale, causant la fermeture des dernières grandes plantations. Le précieux métal attire d’ailleurs encore tous les espoirs d’une immigration qui orpaille clandestinement au mépris de toutes règles écologiques dans la forêt amazonienne française non sans créer de nombreux conflits avec les populations locales ou les militaires qui traquent les filières. Un fléau que la Vème république n’arrive pas à endiguer en dépit de nombreux moyens techniques mis à la disposition de la gendarmerie.

Mais au début du XXième siècle, c’est l’affaire Jean Galmot qui passionne la colonie de Guyane. Cet ancien journaliste dreyfusard a débarqué ici en 1906 avec le titre d’une propriété de mine d’or entre les mains. Il va vite se mettre la société coloniale à dos dès lors que celle-ci apprend qu’il garantit aux guyanais de couleurs des prix d’achats proches des cours mondiaux et loin de ceux donnés par les colons. Son élection comme député de la Guyane en 1919 va attiser les haines. En avril 1921, il est accusé d’escroquerie dans l’affaire des rhums. Arrêté et renvoyé en France, son procès connaît de multiples rebondissements jusqu’en 1923 où il est libéré faute de preuves. La fraude électorale a gagné la colonie et lorsque Galmot se représente à la députation, le gouvernement français gangréné par le lobby colonial décide de déclarer vainqueur son adversaire, républicain laïque à la fois hostile aux catholiques et aux communistes. La mort soudaine et inexpliquée de Galmot en 1928, provoque des émeutes à Cayenne. Le procès qui s’en suit devient un réquisitoire contre le colonialisme racial. Parmi les avocats qui font aboutir à l’acquittement des 14 prévenus, se trouve un certain Gaston Monnerville (1897-1991) qui deviendra un député radical de Guyane et un secrétaire d’état aux colonies dans les années 1930, résistant à Vichy (qui occupe la colonie de 1939 à 1943), puis le premier homme de couleur à devenir le 2ème personnage de l’état républicain en étant Président du conseil de 1947 à 1958 puis du Sénat de 1958 à 1968.

L’accès de la départementalisation sur laquelle les guyanais avaient fondé de larges espoirs va se révéler un désastre économique. Sa balance commerciale déficitaire entraîne rapidement des coûts de productions élevés et le territoire peine à décoller économiquement (malgré le développement d’un programme spatial de renom à Kourou, devenu la vitrine officielle locale de la république). La décolonisation fait naître un désir d’indépendance chez certains qui réclament que la Guyane prenne son envol comme cela sera le cas en Guyane voisine britannique en 1966 ou hollandaise en 1973. En octobre 1974, le mouvement guyanais de décolonisation réclame ouvertement sa volonté d’accéder au pouvoir et de faire sécession. La république fait immédiatement arrêter les leaders indépendantistes 2 mois plus tard, qui projetaient de faire un attentat contre les installations pétrolières du département. Et ce pour une durée de 3 ans. Parmi les militants arrêtés du MOGUYDE, une jeune Christiane Taubira qui épousera le fondateur du mouvement et qui affirmera plus tard, qu’elle a vécu son combat dans la clandestinité. Avant de l’abandonner avec l’élection présidentielle de 1981 pour rejoindre les rangs de la gauche socialiste victorieuse. Députée de 1997 à 2012, date à laquelle elle devient ministre de la justice pendant 4 ans, Christiane Taubira renoue avec ses velléités indépendantistes. En 1993, elle fonde le parti indépendantiste Walwari qui accueille sa permanence parlementaire et qui est depuis 2004, la 4ème force politique au conseil régional de Guyane avec 5 élus sur 31. Une ministre de la république qui curieusement figurait encore en 2015 en 15ème position sur les listes de son mouvement indépendantiste lors des élections territoriales mais dont les maigres résultats lui ont fait perdre son mandat de conseillère régionale.

Passionaria des droits pour les homosexuels et de la reconnaissance de la traite des esclaves comme un crime de l’humanité (dont elle a fait voter une loi en ce sens en 2001), l’ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2002 sous les couleurs du Parti Radical demeure pourtant bien étrangement silencieuse alors que la révolte menace toute la Guyane. Et pas des moindres. « Seul territoire de la République qui connaisse un taux de croissance démographique qui la rapproche des pays du tiers-monde »  nous indique le webzine Atlantico, la Guyane reste encore le premier niveau de vie attractif de l’Amérique du Sud. La répartition des richesses locales demeurent toujours inégales et les métiers liés à « la fonction publique occupe la moitié des emplois dont les traitements de base sont pourtant de 40% au-dessus de ceux de leurs collègues métropolitains ». Mais loin d’être un « el dorado » rêvé, l’augmentation de la délinquance (8 fois supérieure à celle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à titre de comparaison) est un pur produit cumulé d’une immigration non maîtrisée et d’un chômage croissant (24% de la population actuelle) dans un territoire dont l’assemblée est dirigée par le Républicain Rodolphe Alexandre, exclu du parti socialiste en 2008. Et si il y’a bien une tentative avortée de royalisation des esprits en 2013 avec le soutien inattendu et public à l’Alliance royale du maire de Camopi Joseph Chanel puis son retrait soudain du parti, l’idée monarchique est bien loin de toute cette cacophonie actuelle.

L’apparition du collectif «500 frères contre la délinquance», créé après le meurtre d’un habitant d’un quartier populaire, nouveau-venu sur la scène politique locale, est symptomatique de la non-gestion de ce département par l’état qui l’a laissé volontairement aux mains de politiciens corrompus et de quelques indépendantistes utopistes en mal de reconnaissance officielle.  Vêtus de cagoules noires, ces militants qui prétendent pouvoir apporter des solutions aux problèmes guyanais ont des méthodes proches de celles de leurs cousins haïtiens sous l’ère Duvalier. Bien que son fondateur, un ancien gendarme, se défend d’être à la tête d’une pseudo- milice, tels des néo- « Tontons-macoutes », ils n’ont pas hésité à investir le 17 mars dernier le bâtiment de la collectivité territoriale alors que la ministre Ségolène Royal présidait une conférence. Où en intimidant les commerçants pour les forcer à baisser le rideau dans les rues de Cayenne, paralysant toute la région avec une grève générale massivement suivie. Devant l’intensité du mouvement, le quinquennat finissant de François Hollande a dépêché avec beaucoup de retard 2 de ses ministres dont celle de l’Outre-mer Ericka Bareigts.

Signe flagrant d’un affaiblissement du pouvoir de l’état, la ministre de l’Outre-mer a présenté ses excuses au peuple guyanais achevant de confirmer ainsi que la Vème république était désormais littéralement prise en otage par des grévistes aux méthodes musclées. Mais au-delà de la symbolique révolutionnaire dont se sont emparés très démagogiquement quelques candidats à l’élection présidentielle, ce conflit social ne révèle-t-il pas aussi les réelles difficultés que les différents départements et territoires d’Outre-Mer (DOM-TOM) ont à se faire entendre de la République ? Des problèmes pour lesquels l’état républicain a failli à sa tâche depuis des décennies, faisant des ultra-marins de Guyane, des oubliés de la métropole.

 

Frederic de Natal

 

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