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[Point de vue] Jérusalem-Est, ville palestinienne. Vraiment ?

Dans mon précédent article* consacré à l’actualité israélo-palestinienne, j’ai tenté de décrypter le double langage de M. Mahmoud Abbas, président de fait de l’Autorité Palestinienne. Les propos de ce dirigeant concernaient le droit de propriété palestinien qu’il revendique pour les Lieux Saints de Jérusalem, à savoir l’esplanade des Mosquées et le Saint-Sépulcre. Dans mon article, je crois avoir réussi à démontrer que cette revendication n’avait aucune base historique. Ces édifices religieux musulmans et chrétiens se trouvant tous dans la vieille ville de Jérusalem, dont la totalité est également revendiquée par l’État que M. Abbas rêve d’établir, il me faut maintenant essayer d’analyser le caractère  supposément palestinien de Jérusalem-Est.

Pour cela, je convie mes lecteurs à accomplir avec moi un petit voyage dans le passé proche et lointain.

C’est en 638 que les conquérants arabes firent leur entrée dans la ville, alors cité de l’empire byzantin. Cette première occupation arabe allait durer quatre siècles et demi, jusqu’à la prise de Jérusalem par les Croisés. Durant toute cette période, les nouveaux venus ne constituèrent jamais qu’une petite minorité de la population, la majorité demeurant grecque-orthodoxe. D’autres minorités peuplaient également la ville, en particulier les Juifs. Pendant la période croisée (1099-1187), Jérusalem fut la capitale du « Royaume latin de Jérusalem » et elle demeura une ville à majorité chrétienne, même si l’arrivée de nouveaux venus d’Europe occidentale et orientale et d’Asie mineure changea grandement la composition de la population. Lors de la troisième croisade, Jérusalem repassa sous contrôle chrétien, de 1229 à 1244. Puis, ce fut une nouvelle période de domination arabe, durant laquelle la population arabe s’accrut sensiblement. Notons au passage qu’en 1267, le rabbin catalan Nahmanide fonda la synagogue  Ramban, évènement qui prouve bien que des Juifs vivaient alors dans la Ville Sainte. Notons également que pendant ces deux périodes de domination arabe, Jérusalem n’a jamais été une capitale, ni même un chef-lieu de province. Cette ville faisait partie d’une entité administrative nommée Syrie ; la « Palestine » n’existait pas. En 1516, la ville passa sous contrôle ottoman. La Palestine n’exista pas davantage durant la période ottomane, et Jérusalem demeura une ville secondaire. La population juive augmenta sensiblement, avec l’arrivée de Juifs provençaux (du fait de l’annexion par Louis XI de la Provence au Royaume de France en 1486) et ibériques, après leur expulsion consécutive à la fin de la Reconquista (1492).  C’est sous le règne de de Soliman Ier, surnommé « le Magnifique » (qui régna de 1520 à 1566) que Jérusalem connut une embellie certaine : le pouvoir ottoman pourvut la ville d’aqueducs, de murailles et de portes, que l’on peut encore admirer de nos jours. Jérusalem reprit son déclin après la mort de ce sultan. Durant tout le XVIIIe siècle et la première moitié du siècle suivant, la population diminua. De 1832 à 1841, Jérusalem et la Terre Sainte passèrent sous contrôle égyptien. Muhammad Ali y fit installer de nombreux travailleurs égyptiens. Cette immigration en provenance de pays arabes s’intensifia durant la seconde moitié du XIXe siècle et se poursuivit jusqu’en 1948. En 1854, l’émir Abd el-Kader s’installa à Damas. 8500 Algériens le suivirent et s’installèrent sur l’axe Damas-Haïfa et autour du lac de Tibériade, ainsi qu’à Jérusalem. Les noms d’origine algérienne sont assez répandus chez les Palestiniens d’aujourd’hui, comme par exemple Al Maghribi ou Jazairi. Les familles qui portent ces patronymes sont vraisemblablement les descendants de ces immigrants. En 1860, l’empire russe acheva sa conquête du Caucase. De nombreux Circassiens musulmans, fuyant l’envahisseur, vinrent s’installer en Terre Sainte. On estime que 69% des actuels Palestiniens descendent d’immigrés arrivés entre 1840 et 1948 (Algériens, Marocains, Turkmènes, Tchétchènes, Kurdes, Azéris, Bosniaques, etc.) ; 19 % descendent quant à eux des populations musulmanes ayant fui la Reconquista de l’Andalousie, au XVIe siècle ;  les descendants des Musulmans arrivés au XIIe-XIIIe siècles (après les Croisades) représentent 9% des actuels Palestiniens ; 3% seulement, principalement des Chrétiens, sont les descendants des habitants qui vivaient en Palestine avant l’arrivée des Arabes. Un reportage de 1854 du « New York Daily Tribune » indiquait que la population de Jérusalem s’élevait alors à 15 000 âmes, dont 4 000 Musulmans (Turcs, Arabes et Maghrébins) et 8 000 Juifs. Ces derniers étaient donc, dès cette époque, majoritaires. À partir de 1870, de nombreux immigrants originaires du monde arabe affluèrent en Terre Sainte, attirés par les emplois créés par d’autres immigrants : les Juifs. Selon les archives ottomanes on dénombrait en 1905 à Jérusalem 11 000 Musulmans et 8 100 Chrétiens. 53% de ces Hiérosolymitains musulmans étaient nés en dehors de la Terre Sainte, ce qui constitue une preuve indéniable de la forte immigration en provenance du monde musulman. À partir de 1918, l’afflux de populations venues du monde arabe se poursuivit : le Mandat britannique offrait de nouvelles perspectives d’emploi, et les Sionistes continuaient à recruter de la main d’œuvre arabe. Entre 1870 et 1948, la population arabe de Palestine s’est accrue de 270%, contre 105% dans un pays comme l’Égypte, où le taux de natalité était pourtant plus élevé. Ces chiffres constituent une nouvelle preuve de l’importance de l’immigration arabe durant cette période couvrant la fin de la période ottomane et celle du Mandat britannique. En 1939, Winston Churchill ne déclarait-il pas : « Loin d’être persécutés, les Arabes ont afflué dans le pays au point où leur population a augmenté au-delà de ce que les Juifs du monde entier pourraient faire pour faire augmenter la population juive ».

Après la première guerre israélo-arabe de 1948, qui suivit la proclamation de l’État d’Israël, les Nations Unies décrétèrent que seraient considérés comme « Palestiniens » toute personne ayant résidé sur le territoire de l’ancien Mandat britannique durant les deux années précédant la fin dudit Mandat. De ce fait, tous les immigrés arabes, anciens comme récents, ainsi que leurs descendants furent reconnus comme « Palestiniens ».

Tout ce qui précède n’a pas pour but de nier aux « Palestiniens » leurs droits sur Jérusalem et le reste de la Terre Sainte, mais de les relativiser. Ces droits ne sont en effet pas plus légitimes que ceux des populations juives vivant sur cette même terre. Comme dans le cas des Arabes, plusieurs vagues d’immigration juive se sont succédé durant la période allant de 1870 à 1948. Pourquoi donc les immigrants arabes et leurs descendants devraient-ils être considérés par l’opinion publique internationale comme des habitants spoliés de leurs droits et les Juifs comme des colons n’ayant aucun droit sur ces lieux ?  On l’a vu, les Israéliens d’aujourd’hui ne sont pas plus des « colons » que la grande majorité des Palestiniens.

En 1948, la population de Jérusalem était majoritairement juive. La communauté juive de la Vieille Ville était multiséculaire. Cette année-là, à la suite de la première guerre israélo-arabe, cette Vieille Ville, c’est-à-dire la Jérusalem intra-muros (qui comprend le Mont du Temple, l’esplanade des mosquées, le Kotel[1] et le Saint-Sépulcre), se retrouva dans la partie de la ville contrôlée par la Jordanie. Tous les Juifs en furent chassés et les synagogues furent dynamitées. Jusqu’à la guerre des Six-Jours de 1967 et la réunification de Jérusalem par Israël, il n’y eut plus aucune présence juive dans la Vieille Ville. Durant ces 19 années d’occupation jordanienne, les Juifs n’eurent plus accès au Mur dit « des Lamentations ».   

La propagande palestinienne, puissamment relayée par des organisations gauchistes et des groupes antisémites du monde entier, présente comme illégitime toute présence juive dans la partie orientale de Jérusalem et, particulièrement dans la Vieille Ville.  Or, je crois avoir démontré que les Juifs ne sont pas davantage des « colons » que les Arabes qui y résident et que la présence juive dans cette ville est tout aussi « légitime » que celle des Arabes. Elle l’est peut-être même davantage, d’un point de vue strictement historique, puisqu’antérieure – et de loin –  à celle des Arabo-musulmans. J’ai frémis en entendant, il y a quelques jours, l’actuel grand mufti de Jérusalem prétendre que les Juifs n’ont jamais eu de temple sur l’actuelle esplanade des mosquées et que lesdites mosquées existent depuis la création du monde, selon lui ! Comment de telles inepties peuvent-elles être prononcées sans rire et, surtout, comment des millions de Musulmans dans le monde entier peuvent-ils y adhérer ?

Il est vrai que les grands muftis ont une tradition bien établie d’incitation à la haine antijuive. On se souviendra d’Amin al-Husseini, qui s’installa à Berlin durant la Seconde Guerre Mondiale, y rencontra Hitler et lui apporta son soutien. Quotidiennement, ce grand mufti répandait sa haine sur les ondes de Radio Berlin en arabe, appelant au meurtre des Juifs de Palestine.  Dans l’une de ses émissions, diffusée le 1er mars 1944, il déclara : « Arabes, soulevez-vous comme un seul homme et combattez pour vos droits sacrés. Tuez les Juifs là où vous les trouverez.  Cela réjouit Dieu, l’histoire et la religion. Cela sauve votre honneur. Dieu sera avec vous. »  Ce même mufti avait d’ailleurs pris une part active dans la « solution finale » en participant au recrutement de SS musulmans en Bosnie.

Depuis des années, les autorités musulmanes du Waqf[2], qui gèrent l’esplanade des mosquées, a accompli un véritable désastre archéologique en faisant réaliser des travaux dans le sous-sol. En construisant une mosquée souterraine, en creusant sans précaution et en y coulant du béton, elles sont parvenues à détruire une grande partie des preuves de l’existence du temple juif. Les spécialistes israéliens ont été contraints de passer au crible la terre et les déchets  évacués du site, dans l’espoir d’y retrouver quelques fragments de l’époque préislamique. Le but inavoué de ces travaux était certainement d’effacer à jamais toute trace du temple qui précéda en ces lieux les sanctuaires musulmans.

Amin al-Husseini en son temps et les dirigeants de l’Autorité palestinienne aujourd’hui, ainsi que ceux du Hamas et ceux du Waqf, n’ont de cesse d’affirmer, dans leur propagande, qu’Israël a l’intention de détruire la mosquée Al Aqsa et le Dôme du Rocher afin de pouvoir construire un temple sur leur emplacement. Si réellement les autorités israéliennes avaient nourri de telles intentions, elles auraient pu facilement accomplir ce forfait dès 1967, dans le feu des combats qui conduisirent à leur victoire sur les Jordaniens. Bien au contraire, Israël a maintenu le statu quo en permettant au Waqf de continuer à gérer l’esplanade des mosquées envers et contre tout. J’écris « envers et contre tout » car les prêcheurs islamistes ont profité de cette mansuétude pour y inciter à la haine d’Israël et des Juifs dans leurs sermons enflammés. La mosquée al-Aqsa a aussi été utilisée comme lieu de stockage de pierres et de cocktails Molotov destinés à être jetés sur les fidèles juifs venus prier au Kotel, qui se trouve au pied de la mosquée, ou contre les forces de l’ordre. 

Oui, certes, il existe en Israël des petits groupes messianiques qui rêvent de reconstruire le Temple à l’emplacement originel. Mais de tels rêves ne sont que… des rêves et, depuis 1967, ils n’ont jamais fait partie des programmes gouvernementaux israéliens. Bien au contraire, tous les gouvernements qui se sont succédé ont interdit aux Juifs d’aller prier sur l’esplanade des mosquées, afin de ne pas provoquer les fidèles musulmans.  La majorité des Israéliens a bien conscience que porter atteinte au statu quo reviendrait à déclencher un embrasement généralisé.

L’apaisement (pour ne pas dire la paix)  à Jérusalem et en Terre Sainte est possible. Il est possible à condition que les extrémistes musulmans et juifs soient marginalisés. Il est possible si la présence des Musulmans, des Juifs et des Chrétiens sur cette Terre promise, trop promise, est reconnue comme légitime par les uns et par les autres. Tant que certains seront convaincus d’avoir l’exclusivité de la légitimité, toute tentative de rapprochement sera illusoire. Jérusalem est une ville multimillénaire aux identités multiples. Elle est et demeurera une cité juive, chrétienne et musulmane.

Hervé Cheuzeville

NB : dans le troisième article de cette série, j’aborderai le traitement de l’actualité israélo-palestinienne par nos grands médias.

*Du même auteur, publié le 17 octobre 2015 : [Point de vue] Explication de texte



[1] Mur des Lamentations

[2] Fiducie, en arabe.

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