Europe / international

Hissène Habré condamné : et les autres, tous les autres ?

Lundi 30 mai 2016, à Dakar,  s’est produit un évènement historique. Hissène Habré, président du Tchad de 1982 à 1990, a été condamné à la prison à vie après avoir été reconnu coupable de crimes contre l’humanité, de torture et de viols. Cette condamnation conclut un long marathon judiciaire ayant débuté le 30 juin 2013  avec l’arrestation d’Habré, réfugié au Sénégal depuis son renversement en décembre 1990. Le verdict a été rendu par les Chambres africaines extraordinaires, constituées par l’Union Africaine, spécialement pour juger l’ancien dictateur.    

Ayant vécu plusieurs années au Tchad, je ne peux pas rester indifférent à cette condamnation. Elle est réellement historique, car c’est la première fois qu’un ancien chef d’État est jugé et condamné en dehors de son pays à l’initiative d’une instance panafricaine. Je ne peux cependant m’empêcher de penser aux parrains occidentaux qui permirent à Hissène Habré de parvenir et de se maintenir au pouvoir, de Ronald Reagan à François Mitterrand. Ou à son ancien bras droit, qui continue à présider aux destinées du Tchad 26 ans après avoir renversé son ancien patron et avoir une nouvelle fois manipulé les résultats, lors des récentes élections présidentielles. 

Par le passé, d’autres ex-présidents furent punis, parfois de manière très expéditive, mais ce fut par la justice de leur propre pays.

On se rappellera en particulier du général-président Fred Akuffo, sommairement exécuté avec d’autres hauts responsables ghanéens, en juin 1979, après le coup d’État du chef d’escadrille Jerry Rawlings.  Ou encore, en septembre de la même année, le jugement expéditif du dictateur fou de Guinée Équatoriale, Macias Nguema, fusillé après le coup d’État de son neveu et actuel président. Pire encore fut la mort complaisamment filmée, en septembre 1990, de l’ancien sergent-chef putschiste libérien, Samuel Doe, achevé d’une balle dans la tête par un chef rebelle, après d’atroces tortures et mutilations, alors que le  Libéria était ravagé par une épouvantable guerre civile. L’ex-président puis empereur centrafricain, Jean Bedel Bokassa eut davantage de chance, puisqu’il fut condamné à mort par une cour légalement constituée, après un procès relativement correct, en 1987. Sa peine fut ensuite commuée en prison à vie, puis en dix années de réclusion. Il bénéficia même d’une amnistie, en 1993. Il est inutile de revenir sur les conditions ignobles dans lesquelles, en 2011, le tyran libyen Kadhafi fut liquidé, après 42 années de pouvoir sans partage. En 2012, Charles Taylor, ancien chef de guerre et président libérien devint le premier chef d’État à recevoir une sentence de la justice internationale depuis les procès de Nuremberg et de Tokyo qui suivirent la fin de la Seconde Guerre Mondiale : le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone le condamna à une peine de 50 ans de prison pour son rôle dans la guerre civile sierra léonaise. Un autre ancien chef d’État africain est quant à lui en train d’être jugé hors d’Afrique par la Cour Pénale Internationale. Il s’agit de Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire. Ce qui fait le caractère unique du jugement et de la condamnation d’Hissène Habré est que son procès est dû à une initiative de l’Union Africaine et à la bonne volonté du pays où l’ancien dictateur tchadien croyait avoir trouvé refuge, le Sénégal.

Il s’agit donc d’un message clair envoyé à nombre de chefs d’État africains qui, en cherchant à se maintenir au pouvoir, commettent des crimes pouvant souvent être qualifiés de crimes contre l’humanité. Ils savent désormais que la justice continentale pourrait finir par les rattraper, même des années après la fin de leurs régimes. Si ce message peut avoir un effet bénéfique, en enseignant la prudence et un comportement plus respectueux des droits de l’Homme aux dictateurs, il peut aussi avoir un effet pervers en les convainquant de tout faire pour demeurer au pouvoir, de peur d’avoir à faire face, après leur chute, à la justice.

Ils sont en effet nombreux, sur le continent africain, les dirigeants qui pourraient avoir à répondre un jour de leurs crimes.

Tout près de l’endroit où Hissène Habré a été condamné, il est un dictateur qui foule quotidiennement aux pieds les droits de l’Homme les plus fondamentaux. Il s’agit de Yahya Jammeh, ubuesque président de la Gambie depuis son putsch de 1994. Ce petit pays est enclavé dans le Sénégal.

Hissène Habré est tenu pour responsable de la mort d’environ 50 000 de ses concitoyens. Que dire alors de Paul Kagame, à l’origine de massacres, de guerres et d’invasions, qui firent des millions de morts, au Rwanda et en République Démocratique du Congo ? Ce même Kagame qui est en ce moment fort occupé à attiser les braises de la crise politique burundaise, laquelle crise pourrait déboucher sur une nouvelle et sanglante guerre civile.

Que dire de l’Ougandais Yoweri Museveni qui donna les moyens à Kagame de prendre le pouvoir au Rwanda, au prix d’une guerre qui se transforma en génocide (1990-1994) ? Museveni qui devait ensuite envoyer l’armée de son pays participer à l’invasion et au pillage du Congo/Zaïre voisin, aux côtés de l’armée de son complice Kagame. Museveni, lui-même arrivé au pouvoir au terme de cinq années d’une épouvantable guerre civile (1981-1986) qui fit davantage de victimes que la sanglante dictature d’Idi Amin Dada des années 70. Museveni, en 30 ans de règne, a toujours su réprimer l’opposition et frauder aux élections, afin de se maintenir à la présidence.

Que dire d’Omar Hassan el-Béchir, le général-président soudanais, au pouvoir depuis 1989, responsable de la poursuite et de l’aggravation de la guerre au Sud-Soudan jusqu’en 2005 et du déclenchement d’une autre guerre, au Darfour celle-là. Ce dernier conflit, qui dure depuis 2003, continue à causer la mort et la désolation dans cette partie occidentale du Soudan. Le total combiné des victimes des guerres du Sud et du Darfour s’élève à des millions. En 2008, El-Béchir fut le premier chef d’État en exercice à être inculpé par la Cour Pénale Internationale. Le mandat d’arrêt international dont il fait l’objet ne l’a nullement empêché de demeurer au pouvoir et de continuer à voyager tranquillement sur le continent.

Que dire du Sud-Soudan devenu indépendant en 2011, ravagé par une nouvelle guerre depuis 2013 ? Elle oppose les anciens chefs rebelles qui menèrent la lutte de libération face à l’armée de Khartoum. Devenus respectivement président et vice-président du nouvel État, Salva Kiir et Riek Machar pourraient eux aussi avoir un jour à répondre des tueries de masse, souvent à connotation tribale, qui se déroulent dans leur pays, loin des caméras des médias internationaux.

Que dire d’Issayas Afeworki, le dictateur érythréen qui a transformé  son pays en caserne depuis l’indépendance arrachée en 1993, réprimant toute opposition réelle ou imaginaire. L’homme fort d’Asmara provoqua une épouvantable guerre de frontières avec son voisin éthiopien, entre 1998 et 2000,  causant la mort de 100 000 soldats des deux pays. Afeworki peut aussi être tenu pour partiellement responsable de la tragédie en cours en Méditerranée, puisque une forte proportion des migrants et réfugiés qui s’y noient quotidiennement sont des Érythréens fuyant son implacable régime.   

Que dire enfin des présidents des deux Congo, ou de celui du Burundi, qui répriment et emprisonnent afin de se maintenir au pouvoir ? Ou de celui du Zimbabwe, qui, à 92 ans, s’accroche encore à son fauteuil présidentiel après 36 ans de règne et qui, lui aussi, fait usage de la force pour écraser toute opposition, après avoir ruiné et affamé un pays qui faisait jadis fonction de grenier de l’Afrique australe ?

Enfin, il est un ancien chef d’État que le monde semble avoir oublié et qui pourtant fit basculer l’Éthiopie dans une tragédie sans nom durant les 14 années que dura son sanglant régime (1977-1991) : il s’agit de Mengistu Haïlé Mariam. Bien que condamné à mort par contumace en 2006, il continue à couler des jours paisibles dans son exil doré. Il est vrai qu’en fuyant son pays, il fit un choix plus avisé que celui de son collègue tchadien : c’est en effet au Zimbabwe de son vieil ami Robert Mugabe que trouva refuge  celui qui fut jadis surnommé le « négus rouge »!

Hervé Cheuzeville

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.