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Crise centrafricaine : la main de Khartoum ?

Les commentateurs et autres envoyés spéciaux font mine de découvrir les problèmes de la République Centrafricaine, anciennement connue sous le nom d’Oubangui-Chari (le pays est traversé par ces deux grands cours d’eau).

Or, ces problèmes ne datent pas d’hier. Ils ont même commencé trois mois avant la proclamation de l’indépendance, en 1960, lorsque le premier président, le charismatique Barthélémy Boganda, ancien député français, mourut dans un accident d’avion dont les causes ne furent jamais élucidées.

Depuis, ce pays, plus vaste que la France, est allé de mal en pis, malgré ses richesses (uranium, or, diamants). Un premier coup d’Etat militaire eut lieu  le jour de la Saint Sylvestre 1965, il porta au pouvoir l’ancien sous-officier français, Bokassa, en renversant son cousin, David Dacko. Le nouveau régime, de plus en plus ubuesque, transforma même la Centrafrique en empire en 1976, avec Bokassa Ier comme empereur. Les crimes de ce dernier finirent par indisposer ses alliés, dont son grand ami Giscard d’Estaing, et l’opération militaire française « Barracuda » le renversa en septembre 1979. L’ancien président Dacko, de retour au pays avec l’armée française, put revenir à la tête de l’Etat. Un nouveau coup d’Etat militaire le 1er septembre 1981 vit l’arrivée au pouvoir du général André Kolingba. Le vent de la Baule finit par souffler sur le pays, et des élections multipartites purent avoir lieu en 1993. Ange-Félix Patassé, ancien premier ministre de Bokassa fut élu président de la République. En 2001, il mata une tentative de coup d’Etat organisée par le général Bozizé, en faisant appel aux rebelles congolais de Jean-Pierre Bemba qui en profitèrent pour mettre la capitale à sac, multipliant viols et pillages. En 2003, la seconde tentative de Bozizé réussit, grâce à l’appui en sous-main de la France et du Tchad. En 2005, Bozizé obtint l’onction du suffrage universel en se faisant élire président. Mais son élection fut contestée, et une rébellion déchira le pays jusqu’aux accords de paix de 2007. Le régime de Bozizé, dictateur «mou », était caractérisé par le népotisme et  la corruption (ce qui n’était malheureusement pas une nouveauté !) Seul l’appui militaire tchadien et le soutien de la France lui permirent de se maintenir au pouvoir. Comble de malheur, la pire rébellion d’Afrique, la Lord’s Resistance Army (LRA) ougandaise, dirigée par le sinistre Joseph Kony, trouva refuge dans la partie orientale de la Centrafrique, après avoir été chassée d’Ouganda. Elle y enleva des centaines d’enfants  centrafricains, comme elle l’avait fait auparavant avec ceux d’Ouganda, du Sud-Soudan et du Congo/Zaïre. Comme dans ces derniers pays, elle y commit aussi d’affreux massacres.

C’est dans ce contexte de troubles et d’instabilité qu’en septembre 2012 apparut soudainement une nouvelle rébellion, dans les confins du nord-ouest du pays. Cette « Séléka » est en fait un agglomérat hétéroclite composé de bandes armées centrafricaines, tchadiennes et soudanaises, composées majoritairement de Musulmans (alors que la Centrafrique est très majoritairement chrétienne).  Son chef nominal, Michel  Djotodia, un Musulman, était auparavant consul de RCA à Nyala, au Darfour soudanais. En l’espace de quelques mois, les villes et les provinces tombèrent les unes après les autres, quasiment sans combat. Durant toute sa folle traversée de la Centrafrique, la Séléka pilla systématiquement tout ce qui pouvait être pillé : hôpitaux, administrations, ONG, missions et églises chrétiennes. La rébellion se rendit aussi coupable de nombreux massacres et viols. Une société appartenant au fils du président Jacob Zuma ayant signé un juteux contrat avec le régime Bozizé pour l’exploitation de mines de diamants, l’Afrique du Sud envoya son armée au secours du dirigeant centrafricain. Cette intervention tardive ne parvint pas à sauver le président, malgré des accords sur la transition signés à Brazzaville en décembre 2012. Le Tchad et ses militaires lâchèrent brusquement leur protégé Bozizé, l’armée sud-africaine subit de lourdes pertes et la Séléka entra à Bangui le 24 mars 2013.  C’est ainsi que Michel Djotodia put s’installer au palais présidentiel, après la fuite de Bozizé.

De tout ce qui précède, il est clair que le pouvoir de la Séléka et de son chef n’a aucune légitimité populaire, et qu’il est même la cause principale de la situation actuelle. Je n’hésiterais pas à avancer ici que la Séléka est probablement une création des « services » de l’armée soudanaise du régime du général el-Béchir, dans le but de prendre à revers le Sud-Soudan et son pétrole. En effet, depuis l’indépendance de ce pays en juillet 2011, le pouvoir de Khartoum cherche à le déstabiliser. Les graves évènements en cours dans cette jeune nation en sont d’ailleurs certainement la conséquence. La République Centrafricaine serait donc une victime « collatérale » du vieux conflit opposant le Nord et le Sud du Soudan et ayant pour enjeu le contrôle des revenus pétroliers.

En Centrafrique, l’armée française fait ce qu’elle peut et son intervention est venue à point nommé, alors que le conflit prenait des proportions dangereusement génocidaires. Cependant, pour le résoudre, il conviendrait d’en supprimer la cause : la Séléka. Cette dernière devrait être désarmée et cantonnée, et ses éléments étrangers renvoyés dans leurs pays d’origine. Enfin et surtout, Michel Djotodia devrait être envoyé se reposer en exil le plus rapidement possible. Le pays devrait être dirigé par une administration intérimaire sous supervision de l’ONU, comme ce fut le cas au Cambodge au début des années 90. Alors seulement les cinq millions de Centrafricains pourrait-il entrapercevoir le  bout d’un long, très long tunnel.

Hervé Cheuzeville

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