Vive l’ortografe, vive la lengue fransaize !
L’été 2014 aura été chaud pour… l’orthographe ! Ou devrais-je écrire ortografe ?
Premier exemple, le nouveau grand parc ferneysien « La Tire », au pied du château de Voltaire. Une balade vous assurera une bonne rigolade. La mairie de Ferney-Voltaire a voulu rendre un hommage au philosophe des lumières en coulant dans le bronze six citations scellées dans le béton de l’allée centrale.
Résultat : 5 fautes d’orthographe ou de syntaxe pour 6 citations ! (peut mieux faire, le 6/6 était à portée !). Florilège :
- « Il est plus doux qu’on ne pense de planter, de semer et de bâtir » devient : « Il n’est plus doux qu’on ne pense de planter, de semer et de bâtir »
- « Rien ne se fait sans un peu d’enthousiasme » devient « Rien ne se fait sans peu d’enthousiasme » (le « un » a disparu)
- « La patrie est là où on vit heureux » devient « La patrie est où on vit heureux » (le « là » a disparu)
- « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères » devient « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont fréres » (avec un accent aigu)
- Ni l’abstinence ni l’excès ne rendent un homme heureux » devient « Ni l’abstinance ni l’excès ne rendent un homme heureux »
Deuxième exemple : Rentrée des classes à l’académie de Toulouse. La photo parle d’elle-même :
Jamais 2 sans 3 : la semaine dernière est sorti un rapport de l’Education nationale bourré de fautes. Des fautes inadmissibles comme des «s» oubliés, des mots mal orthographiés (pillier au lieu de pilier), des tas de coquilles… Et est-ce la première fois ? Que nenni ! Rappelez-vous du dossier de presse de Luc Chatel en 2009 ! (L’Express – Bonnet d’âne en orthographe pour Luc Chatel)
Voilà qui vaut bien un merci plein d’émotion à la grande maison de l’Education Nationale version Najat Vallaud-Belkacem…
Cela m’inspire plusieurs choses.
Tout d’abord la réforme de l’évaluation voulue par le très regretté Monsieur Benoit Hamon et qui à n’en pas douter sera reprise par la jeune et délicieuse Najat. Aujourd’hui, plus de zéro pointé, plus de classement, car ce serait prendre le risque de traumatiser nos chères têtes blondes (et aussi brunes), pire, d’être un révélateur des inégalités sociales. Dans les propos du ministère, citons « la dictée a pour objet d’évaluer la maîtrise de la grammaire et de la syntaxe ». Le terme syntaxe désignant l’agencement des mots dans la phrase, on voit mal comment une dictée pourrait mesurer la maîtrise qu’en ont les élèves ! Quelle maîtrise du sujet !
Avez-vous eu l’occasion récemment de parcourir un bulletin scolaire ?
Je me souviens du petit livret où figuraient une dizaine de notes correspondant aux matières étudiées (j’étais dans les derniers en orthographe – merci aux correcteurs de Vexilla – mais dans les premiers en rédaction !). Ce document donnait aussi le rang de l’élève. Les appréciations portées par le maître ou la maîtresse pointaient les efforts accomplis ou leur absence. C’était finalement bien clair pour tout le monde.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Un livret de CP contient 89 items regroupés en 18 chapitres notés de A (acquis) à D (non acquis), un livret de CM1 compte huit pages retraçant 280 (si, si : deux cent quatre-vingts) items répartis en 70 chapitres… Pour sûr, ce doit être beaucoup plus clair ! C’est ça la loi de simplification ??
Selon une étude de 2005, l’écart entre les résultats des élèves de 1987 et ceux de 2005 est en moyenne de deux niveaux scolaires. Les élèves de cinquième de 2005 font le même nombre de fautes que les élèves de CM2 vingt ans plus tôt. Les élèves de troisième de 2005, le même nombre d’erreurs que les élèves de cinquième de 1987. Le nombre de fautes augmente particulièrement pour l’orthographe grammaticale.
Etant donné que les enseignants qui arrivent aujourd’hui devant les élèves sont les premiers des générations qui n’ont pas bénéficié d’un enseignement formel systématique de la langue, il y a fort à parier que « l’objectif » de trois niveaux scolaires d’écart par rapport à 1987 sera bientôt atteint !
Les problèmes d’orthographe provoquent des difficultés de compréhension, une plus grande difficulté pour les jeunes à formuler leur pensée, une moins bonne communication… Ce n’est pas anodin ! On estime que dans certains quartiers, le vocabulaire utilisé est très faible, de l’ordre de 300 mots. A 14 ans, on connaît en moyenne 3 725 mots, mais nous n’en utilisons que 1 000 quotidiennement. Et d’ailleurs, l’écart entre les lettrés et les illettrés est impressionnant. Les lycéens français utiliseraient en moyenne entre 800 et 1 600 mots. Les adultes, eux, en utilisent 3 000. Alors qu’une personne cultivée en utilise près de 30 000, la moyenne nationale, quant à elle, s’élève à près de 5 000 mots.
Cela pose le problème de la communication d’un message politique dans notre démocratie, avec comme on le constate souvent, le détournement de sens (me vient à l’esprit les mots « progrès » et « progressisme »), les néologismes…
On prête à Confusius la citation suivante : « lorsque les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté ». Tout est dit…
Bonne rentrée !
Arnaud de Lamberticourt
PS : Au fait, une autre petite question : à votre avis, combien d’élèves de terminale connaissent leurs tables de multiplication ?